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Les défis de la Zone de libre-échange africaine sont aussi sécuritaires

En plus des aspects économiques, la ZLEC comporte aussi des enjeux sécuritaires. Issouf Sanogo / AFP

L’engagement dans la Zone de libre-échange continentale africaine implique pour les États de renoncer à une partie importante de leur souveraineté. Pourtant, dans un contexte de violences généralisées, les souverainetés étatiques n’ont jamais été autant défiées. Les acteurs contestataires de l’État sont des mouvements rebelles, des groupes terroristes, djihadistes, des milices d’autodéfense, des criminels transnationaux, etc. Ces acteurs sont principalement caractérisés par leurs capacités de mobilité. Ils se jouent des frontières et de la souveraineté territoriale des États.

A l’heure où il est exigé de certains États de renforcer leur présence dans les zones frontières et périphériques, le libre-échange continental des biens et des personnes ne constituera-t-il pas une véritable préoccupation ?

Le casse-tête de la sécurisation des frontières

A l’intérieur du continent, des milliers de kilomètres de frontières sont autant d’espaces de violences. Les États en situation de conflit armé – par exemple la Libye, le Mali, le Niger, le Nigéria, le Burkina Faso, la Centrafrique, le Soudan, la République démocratique du Congo, la Somalie – ont en partage des milliers de kilomètres avec d’autres États.

Cela explique que les conflits au Mali, en République démocratique du Congo finissent par affecter toute la communauté régionale, avec comme conséquence des millions de déplacés et de réfugiés. La bande sahélo-saharienne, le golfe de Guinée, les Grands lacs, la Corne d’Afrique sont autant d’espaces de conflictualité.

Par conséquent, les problèmes de circulation des biens et des personnes dans ces zones sont moins liés au problème infrastructurel qu’à des questions de gouvernance, de paix et de sécurité. Ces zones frontières et périphériques parce qu’elles sont vulnérables, du fait à la fois de la faible présence de l’État, mais aussi et surtout, par le fait qu’elles constituent des espaces de transit et de trafic en tout genre (tel le Sahel), sont demeurées très conflictogènes. Un libre-échange inclusif devra éviter de limiter les échanges commerciaux aux capitales régionales.

Le défi des grands foyers de tension

Ces questions sécuritaires se posent dans le cyberespace. Avec une Afrique en plein processus de digitalisation et de numérisation, l’assurance de la cybersécurité dans le commerce électronique – une affaire des entreprises mais encore plus des États - doit inciter à l’investissement.

Mais, pour l’essentiel, les préoccupations sécuritaires sont d’ordre physique avec une économie de la guerre encore à l’ordre du jour. Les anciens foyers de tensions – Tchad, Golfe de Guinée – sont encore des espaces du métier des armes où les comportements de mercenariat, de banditisme, de criminalité transnationale se mêlent, dans des contextes où des milliers de jeunes sont faciles à recruter, sur des terrains où l’abondance de ressources minières exportables. La fragilité des armées nationales, le faible revenu économique par habitant sont des conditions permissives au recours à la violence pour obtenir des biens économiques et politiques.


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Depuis le début des années 2000, le terrorisme se nourrit des conflictualités internes aux États sous-tendues par des frustrations relatives, du déni de reconnaissance des identités de certains groupes, du manque de redistribution des richesses nationales. Son intensification ces dernières années exclut, dans une bonne partie de ces États, des opportunités que pourrait offrir la Zone de libre échange continentale.

La lutte contre le terrorisme a conduit à la militarisation de grands espaces. Les violences dites terroristes s’ajoutant aux guerres civiles classiques liées aux violences communautaires, aux violences post-électorales, aux violences sécessionnistes, constituent de véritables défis à relever pour aspirer à une égalité de circulation des biens et des personnes au sein de la ZLEC.

Dans un continent où tout est presque priorité, la sécurité des personnes et des biens ne saurait attendre encore. L’intégration doit s’accompagner de mécanismes de pacification des régions soumis au péril des conflictualités. L’intégration doit contribuer à renforcer la puissance des États. Mais la ZLEC est-elle réellement l’outil pertinent pour transformer l’Afrique en un grand espace de libre circulation ?

La ZLEC peut-elle pacifier le continent ?

En attendant de voir les résultats qu’engendrera la Zone de libre-échange, les expériences d’intégration dans d’autres espaces continentaux – Union européenne, Accord de libre-échange nord-américain ( par ailleurs remplacé par l’Accord États-Unis-Mexique-Canada), Association des nations de l’Asie du Sud-Est – ont eu comme résultat la pacification des relations inter-étatiques.

Les échanges commerciaux favorisent-ils la paix ? L’atteinte de l’objectif de l’Union africaine contenu dans l’Agenda 2063 « une Afrique vivant dans la paix et dans la sécurité » peut-elle être facilitée par l’opérationnalisation de la ZLEC. Sur les 54 États africains qui ont signé l’accord, pas moins d’une vingtaine sont concernés directement ou indirectement par des violences politiques (terroristes, communautaires, sécessionnistes).

Sommet des Présidents des pays du G5 Sahel, cadre institutionnel de coordination régionale en matière de politiques de développement et de sécurité. Olympia De Maismont/AFP

L’objectif de « faire taire les armes d’ici 2020 » ne sera sans doute pas atteint. C’est en cela que les questions sécuritaires, tout en posant des défis à la zone de libre-échange, pourraient trouver leur solution en celle-ci. Face aux interventionnismes sécuritaires et développementalistes des partenaires extérieurs, la ZLEC peut être considérée comme un renouveau paradigmatique dans les processus de pacification du continent pour plusieurs raisons.

D’abord, l’accroissement des échanges entre les États et les peuples aura pour avantage de créer des intérêts mutuels et des biens communs. Ensuite, les interdépendances encourageront les acteurs à régler leurs différends à l’aide des lois, des normes du marché et de la concurrence – ce qui crée des perceptions et relations de rivalité et non d’inimitié. L’atmosphère des affaires par la culture des contrats et des règles d’échanges sera hostile aux comportements de pillage des ressources naturelles auquel s’adonnent des acteurs illégaux – souvent en lien avec des États.

Enfin, tout ceci (les règles de jeu, les normes, les interdépendances, les intérêts mutuels) contribuera à la consolidation des institutions qui protègent les biens et les personnes, même s’il faudra que les futures richesses générées par ces échanges profitent aux populations. La paix par le commerce sera-t-elle enfin expérimentée en Afrique ?

Les questions sécuritaires doivent pouvoir être considérées de manière globale. La sécurité humaine recouvre à la fois les dimensions militaires, économiques, sociétales et environnementales. Le libre-échange a toujours posé des défis sécuritaires qu’il ne serait pas prudent d’ignorer dans le cadre du plus grand marché continental du monde. Cependant, développer l’Afrique par le commerce intra-africain sera peut-être – qui sait ? – l’autre nom de la paix en Afrique.

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