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Photographie d'un lac entourant un site minier.
Lac entourant un site minier au Nord-du-Québec. (Maxime Thomas), Fourni par l'auteur

Les effets invisibles des activités humaines sur la nature

Les discussions tenues lors de la récente COP15 ont permis, encore une fois, de mettre en lumière les conséquences des activités humaines sur la faune et la flore. De nombreuses espèces sont forcées de migrer, voient leurs populations décliner, ou, pire, sont en voie d’extinction. Par exemple, les populations de caribou forestier (Rangifer tarandus) sont en déclin en raison de la dégradation de leurs habitats par les coupes forestières.


Cet article fait partie de notre série Forêt boréale : mille secrets, mille dangers


La Conversation vous propose une promenade au cœur de la forêt boréale. Nos experts se penchent sur les enjeux d’aménagement et de développement durable, les perturbations naturelles, l’écologie de la faune terrestre et des écosystèmes aquatiques, l’agriculture nordique et l’importance culturelle et économique de la forêt boréale pour les peuples autochtones. Nous vous souhaitons une agréable – et instructive – balade en forêt !


Cependant, les conséquences des activités humaines ne sont pas toujours visibles. Avant d’être poussées au déclin, certaines espèces peuvent s’adapter aux perturbations de leur habitat, mais jusqu’à un certain point. C’est notamment le cas des plantes, qui n’ont pas l’option d’éviter les perturbations de leur environnement en se déplaçant, et doivent donc subir les conséquences des activités humaines.

Nos travaux en écologie forestière, réalisés à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), nous permettent de faire la démonstration des effets invisibles des activités humaines sur la flore boréale.

S’adapter, mais pas sans conséquences…

La capacité d’adaptation des plantes est une arme à double tranchant. D’un côté, elle permet de retarder le déclin des populations dû aux activités humaines. De l’autre, elle peut nous conduire à sous-estimer les conséquences des activités humaines sur l’environnement. Ni vu, ni connu !

Lorsqu’une espèce s’adapte aux perturbations de son habitat, ses propriétés nutritionnelles et médicinales peuvent changer. En effet, les plantes produisent des composés chimiques en réaction aux perturbations de leur habitat. Certains de ces composés peuvent avoir des effets nocifs sur la santé des personnes qui consomment les plantes. Les toxines contenues dans les graines de l’if du Canada et dans les feuilles du kalmia à feuilles étroites en sont de bons exemples en forêt boréale.

D’autres composés sont, au contraire, recherchés pour leurs vertus sur la santé humaine. Par exemple, les antioxydants, très prisés dans l’alimentation pour leurs effets bénéfiques sur la santé, ont comme fonction première de protéger les plantes du soleil et de divers polluants. On peut penser par exemple aux polyphénols contenus dans certains petits fruits de la forêt boréale, comme le bleuet et la canneberge.

… en particulier pour les communautés autochtones

Les personnes dont l’alimentation est constituée de plantes sauvages sont particulièrement touchées par les changements de composition chimique induits par leur adaptation aux perturbations. C’est le cas des communautés autochtones, qui cueillent des dizaines d’espèces sur leurs territoires traditionnels pour usages alimentaires et médicinaux.

Pour étudier les conséquences de l’adaptation des plantes sur leurs propriétés chimiques, nous avons réalisé un projet en partenariat avec trois communautés autochtones du nord-ouest du Québec. Les membres de ces communautés nous ont suggéré de travailler sur le thé du Labrador, en raison de son importance culturelle pour la consommation et de ses usages médicinaux. Les feuilles du thé du Labrador sont utilisées sous forme d’infusion pour traiter de nombreux maux, tels que l’arthrose, le diabète ou les problèmes rénaux. Ces vertus sont attribuables à des antioxydants présents en grande quantité dans les feuilles de thé du Labrador : les flavonoïdes.

Plants de thé du Labrador en forêt
Le thé du Labrador est une plante de sous-bois, de 30 à 120 cm de hauteur. Elle se trouve dans les environnements forestiers humides au Canada et dans le Nord des États-Unis. (Maxime Thomas), Fourni par l’auteur

Des perturbations aux effets contrastés

Les membres des communautés rencontrées nous ont fait part de leurs inquiétudes concernant les conséquences de deux perturbations humaines sur leurs territoires : le passage de lignes de transport hydroélectrique, et l’exploitation de sites miniers. Les lignes de transport hydroélectrique provoquent une ouverture artificielle de la forêt, qui surexpose les plantes au soleil. Les sites miniers génèrent quant à eux une pollution aux métaux lourds. Dans les deux cas, le thé du Labrador s’adapte en produisant des flavonoïdes.

Plants de thé du Labrador sous une ligne de transport hydroélectrique
Les plantes sous les lignes hydroélectriques sont bien plus exposées au soleil que dans la forêt avoisinante. (Maxime Thomas), Fourni par l’auteur

Après avoir analysé la composition chimique de plants de thé du Labrador échantillonnés sur les territoires des trois communautés autochtones, nous avons trouvé un effet contrasté des perturbations humaines. D’un côté, les plantes sous les lignes de transport hydroélectrique produisaient davantage de flavonoïdes pour se protéger du soleil. De l’autre côté, les plantes près des sites miniers produisaient moins de flavonoïdes, en raison d’une dégradation de leur métabolisme par les métaux lourds.

Avant de conclure hâtivement que les plantes sous les lignes de transport hydroélectrique sont meilleures pour la santé, il faut prendre d’autres facteurs en considération. Par exemple, des produits chimiques potentiellement néfastes pour la santé humaine peuvent être utilisés pour entretenir les lignes de transport hydroélectrique, tels que le triclopyr ou le glyphosate.

L’analyse des flavonoïdes ne fournit qu’une partie de l’histoire, et d’autres analyses, notamment sur la teneur en polluants des plantes, doivent être réalisées pour avoir un portrait complet des effets des perturbations sur les propriétés des plantes.

La biodiversité est importante pour le fonctionnement des écosystèmes, et aussi pour les services qu’elle rend aux humains. Les peuples autochtones possèdent des connaissances pointues sur les plantes et leur environnement, qu’on aurait avantage à valoriser.

Les perturbations humaines affectent à la fois les plantes, les bénéfices qu’elles fournissent et les savoirs autochtones qui en dépendent.

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