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Les effets sur la santé des futurs voyages interplanétaires

L’ingénieure Samantha Cristoforetti de l'Agence spatiale européenne à bord de la Station Spatiale Internationale. ESA / NASA, Author provided

Cet article est republié dans le cadre de la prochaine Fête de la science (du 5 au 13 octobre 2019 en métropole et du 9 au 17 novembre en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « À demain, raconter la science, imaginer l’avenir ». Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Avec la récente annonce du président Trump de renvoyer des astronautes sur la Lune dans les 5 ans et en particulier la première femme américaine via le programme Artemis, l’exploration spatiale habitée est plus que jamais sur le devant de la scène. En Allemagne, une étude en collaboration entre la NASA, l’agence spatiale européenne (ESA) et l’agence spatiale allemande (DLR) vient de commencer pour étudier les effets sur la santé des futurs voyages interplanétaires depuis le plancher des vaches.

Pendant deux mois, 24 volontaires vont devoir rester allongés dans un lit légèrement incliné, la tête vers le bas. Pendant tout ce temps, les sujets ne seront pas autorisés à se lever et devront donc tout faire dans cette position : manger, se laver, dormir, mais surtout se soumettre à tout un tas d’expériences scientifiques. Il s’agit d’une étude inédite sous plusieurs aspects, puisqu’elle sera la première à évaluer l’efficacité de la gravité artificielle pour contrecarrer les effets néfastes de l’apesanteur sur le corps humain et également la première étude d’une telle ampleur à souhaiter respecter une mixité parfaite dans le groupe de sujets suivi.

Chambre d’un volontaire avec un lit incliné à 6 degrés, la tête vers le bas. Crédits : DLR. Author provided

A quoi sert cette étude ?

Que ce soit dans la science ou dans la science-fiction (2001, l’Odyssée de l’espace ; Interstellar), la gravité artificielle est toujours apparue comme étant potentiellement la solution miracle qui permettrait aux astronautes de mener une vie quasi-normale dans l’espace, tout en limitant les dérèglements physiologiques.

Cette solution théorique n’avait encore jamais été testée en pratique et c’est ce que comptent faire la NASA, l’ESA et le DLR à travers cette étude. À terme, le but est de savoir si les futurs vaisseaux interplanétaires doivent être conçus pour être capable de générer de la gravité artificielle ou non.

Vidéo de présentation de l’étude (DLR).

La deuxième originalité de cette étude est de suivre un groupe de sujets composé à 50 % de femmes, alors que la plupart des campagnes de ce type sont entièrement masculines. Tous ceux qui ont été surpris de savoir que la première sortie dans l’espace entièrement féminine devait se produire en 2019 (soit 54 ans après la première sortie dans l’espace), puis choqués d’apprendre que cette même sortie 100 % féminine avait été annulée, réalisent certainement à quel point les femmes représentent encore une minorité du corps des astronautes (à peine plus de 10 % de ceux ayant déjà volé).

Certaines études ont déjà montré que l’adaptation des hommes et des femmes dans l’espace était différente : certains aspects étant plus favorables aux femmes, d’autres aux hommes. Cependant les scientifiques manquent encore cruellement de données de femmes pour pouvoir tirer des conclusions statistiques fiables. L’un des objectifs de cette étude est donc de mieux comprendre les différences physiologiques hommes/femmes en préparation des futurs vols spatiaux, qui s’annoncent être de plus en plus mixtes.

Enfin, au même titre que la recherche médicale dans l’espace de manière générale, ce genre d’étude vise à exposer le corps humain à des conditions inhabituelles, afin de mieux comprendre les mécanismes qui régissent la physiologie humaine et d’être capable d’agir sur ceux-ci en cas de besoin. L’impact scientifique ne se limite donc pas à l’exploration spatiale, mais a des conséquences sur une multitude d’autres disciplines comme la lutte contre les maladies cardiovasculaires ou encore l’ostéoporose.

En quoi est-ce que cela reproduit les conditions spatiales ?

Après des millions d’années d’évolution, on peut sans aucun doute supposer que rien n’a été laissé au hasard pour que le corps humain devienne cette merveilleuse machine, qui est aujourd’hui parfaitement adaptée à nos conditions de vie. Parmi de nombreuses questions existentielles, on peut se demander pourquoi le cœur trouve sa place si haut dans le corps, alors que la nature fait habituellement si bien les choses et que le corps humain aurait été bien plus symétrique avec un cœur situé sous le nombril.

Mais ce serait oublier que l’ordinateur de bord du corps humain (le cerveau) se situe tout en haut dans la tête et que c’est l’organe principal qui conditionne le bon fonctionnement de tous les autres. L’être humain étant bipède et la gravité étant dirigée la plupart du temps de la tête vers les pieds, il est plus difficile pour le cœur de faire monter du sang au cerveau que d’en faire descendre vers les pieds. C’est donc afin de facilement pouvoir alimenter le cerveau en oxygène et en nutriments que le cœur a trouvé sa place de choix dans la poitrine, plus proche de la tête.

Thomas Pesquet et ses collègues flottant à bord de la Station spatiale internationale (ESA/NASA). Author provided

Dans l’espace, l’apesanteur a la fâcheuse tendance de tout faire flotter et plus aucune force ne pousse le sang plutôt vers les pieds que vers la tête. Par rapport aux conditions terrestres normales, la tête reçoit alors plus de sang, tandis que les jambes en reçoivent moins. Ce phénomène, qui résulte en une cascade d’adaptations du système cardiovasculaire, peut effectivement être reproduit en s’allongeant sur un lit incliné à un angle optimal de 6° la tête vers le bas.

Mais revenons à cette notion d’un corps adapté à nos besoins et réfléchissons à ce que chacun fait tous les jours : se lever le matin, courir jusqu’au métro, passer 15 minutes dans la file de la cantine, faire des efforts pour ne pas s’affaler sur son fauteuil au bureau… Tous les jours nous utilisons tout un tas de muscles, en particulier ceux de la posture et de la marche, sans forcément nous en rendre compte. Et tous ceux qui vont à la salle de sport en sont bien conscients : quand on utilise beaucoup un muscle, il se développe ; quand on ne l’utilise plus, il fond comme neige au soleil.

Il suffit alors d’avoir en tête les images des astronautes dans l’espace pour réaliser qu’à flotter ainsi toute la journée, la plupart de leurs muscles sont sous-utilisés. Une petite pichenette contre un mur et ils s’envolent sans effort à l’autre bout de leur module. En restant allongé pendant deux mois, les muscles de la posture et de la marche sont également sous-utilisés. On s’attend donc à observer des changements musculaires et osseux semblables à ceux que subissent les astronautes dans l’espace.

Cœur, muscles, os, vue, nutrition, équilibre, capacités cognitives ou psychologie : tant de paramètres qui seront étudiés pendant cette étude et qui permettront aux agences spatiales et aux scientifiques de préparer les futures missions spatiales de longue durée, et notamment vers Mars.

Comment produire de la gravité artificielle ?

Le jour où des astronautes arriveront sur Mars, il ne faut évidemment pas s’attendre à ce qu’un comité d’accueil soit là pour les aider ou bien que les martiens leur aient préparé une petite fête de bienvenue. Il faudra donc qu’après six mois de voyage dans l’espace, les futurs astronautes soient capables de se débrouiller seuls et ce, sans mettre en danger leur santé ou leur mission. Cependant, jusqu’à présent les agences spatiales n’ont toujours pas trouvé la recette miracle pour préserver l’état de forme général des astronautes et qu’ils puissent gambader sans risque dès leur retour à la pesanteur. Pourtant, elles rivalisent d’ingéniosité pour trouver des « contremesures » efficaces : alimentation, sport, médicaments, etc. Prochaine étape : tester la gravité artificielle !

La centrifugeuse qui sera utilisée quotidiennement sur une partie des sujets (DLR).

Si vous avez déjà joué sur un tourniquet en étant enfant (ou même adulte), alors vous avez sûrement déjà expérimenté de la gravité artificielle. En effet, quand on fait tourner un objet rapidement, on crée ce que l’on appelle une « force centrifuge » qui a tendance à repousser les objets en rotation vers l’extérieur. C’est exactement cette force que l’on ressent quand on lutte pour ne pas se faire éjecter d’un tourniquet en rotation. Si vous avez oublié vos souvenirs du jardin d’enfants, alors dîtes-vous que c’est également cette force qui vous pousse en direction de la portière gauche quand vous prenez un virage serré vers la droite en voiture, ou elle encore qui fait s’aplatir la pâte à pizza quand un pizzaïolo la fait tourner en l’air.

Ce n’est donc rien d’autre qu’un grand tourniquet (en l’occurrence, une centrifugeuse), qui va être utilisée pour créer de la gravité artificielle pendant cette étude d’alitement prolongé. Chaque jour une partie des volontaires va tourner pendant 30 minutes sur celle-ci, afin de stimuler leur corps avec une force qui se rapproche de celle de la pesanteur terrestre. À la fin de l’étude, les scientifiques compareront alors l’état de santé des sujets qui auront reçu leur dose de gravité artificielle tous les jours avec celui des sujets qui seront simplement restés alités sans avoir droit à leur tour de centrifugeuse quotidien.

Les candidatures sont ouvertes

Le recrutement est encore ouvert pour prendre part à la deuxième partie de l’étude, qui commencera le 2 septembre 2019. Encore 8 femmes et 4 hommes sont recherchés. Votre mission, si vous l’acceptez : accorder 89 jours de votre vie, dont 60 en étant allongé dans un lit incliné à 6° la tête vers le bas, afin d’aider les futurs astronautes et favoriser la recherche médicale.

Les candidats doivent avoir entre 24 et 55 ans, savoir parler allemand, être en bonne santé, non-fumeurs et mesurer entre 1,53 et 1,90m pour un IMC de 19 à 30 kg/m2. À la clé : la modique somme de 16 500 euros !

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