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Deux hommes pêchent le saumon au filet
Cela fait des décennies que les scientifiques tentent de déterminer les causes exactes du déclin de certaines populations de saumons sauvages du Pacifique. (Amy Romer), Author provided

Les fermes piscicoles transmettent des virus aux saumons sauvages du Pacifique, une espèce menacée

Le saumon du Pacifique est une espèce fondatrice de l’écosystème côtier de la Colombie-Britannique. Depuis des milliers d’années, il constitue une source essentielle de nutriments et d’énergie pour certains des animaux emblématiques du Canada, dont les ours et les épaulards. Depuis quelque temps, il partage ses eaux avec des parcs en filet remplis de saumons de l’Atlantique non indigènes élevés pour la consommation.

Certaines populations de saumon sauvage du Pacifique sont en forte baisse depuis le début des années 1990. Ainsi, plus de la moitié des populations de saumon quinnat du sud de la Colombie-Britannique sont en voie de disparition ou menacées. Les scientifiques tentent depuis des années d’identifier les causes exactes de ce déclin.

Les épaulards résidents du Sud vivent également dans la même zone et sont classés parmi les espèces menacées depuis 2005. Ces mammifères se nourrissent principalement de saumon quinnat, dont la régression contribue à leur propre déclin.

Pour essayer de comprendre ce qui pourrait avoir engendré ces baisses de population, des scientifiques, dont je suis, cherchent à savoir s’il n’y a pas un lien avec le nombre croissant d’élevages de saumon au large des côtes de la Colombie-Britannique. Nous sommes préoccupés par le fait que des agents pathogènes pourraient se propager du saumon d’élevage au saumon sauvage et contribuer à ce déclin à grande échelle.

Dans une nouvelle étude publiée dans Science Advances, nous avons découvert qu’un virus du saumon courant dans les piscicultures a été introduit dans le sud de la Colombie-Britannique il y a environ 30 ans et qu’il se transmet depuis du saumon d’élevage au saumon sauvage.

Les fermes piscicoles et les virus

La quantité et la densité des saumons atlantiques dans les exploitations piscicoles entraînent un risque élevé de maladie. Étant donné que les virus et autres agents pathogènes sont très communs dans les élevages de saumon, certains scientifiques qualifient ceux-ci d’ « installations de culture de pathogènes ». Les groupes environnementaux et les membres de l’industrie ont régulièrement des débats à savoir si ces agents pathogènes se répandent et provoquent des maladies dans les populations de poissons sauvages.

L’un des virus les plus évoqués est l’orthoréovirus pisciaire (RVP), courant dans les exploitations salmonicoles et qui cause des maladies cardiaques chez le saumon atlantique. Pourtant, le gouvernement et les groupes industriels soutiennent que le RVP est « endémique en Colombie-Britannique » et qu’il pose « tout au plus un risque minime » pour le saumon rouge du fleuve Fraser. Les conclusions des rapports sont souvent extrapolées de façon erronée à toutes les espèces.

Un saumon sur une table de laboratoire
Les scientifiques dissèquent les tissus de saumons sauvages du Pacifique pour effectuer des analyses moléculaires et séquencer les génomes viraux. (Amy Romer), Author provided

Le mot « endémique » a deux significations. Les écologistes l’utilisent pour décrire les plantes et les animaux indigènes d’une région, alors que les épidémiologistes l’utilisent pour désigner la présence continue et stable d’un agent infectieux dans une zone définie. Quel que soit le sens retenu, notre analyse a montré que ni l’un ni l’autre ne correspondait à la réalité.

L’empreinte génétique des virus

Le séquençage du génome peut servir à étudier l’évolution d’un virus — comme nous l’avons vu avec la pandémie de SARS-CoV-2. Nous avons appliqué les mêmes techniques pour suivre le parcours de différentes lignées de RVP à différentes échelles, entre des océans, mais aussi localement, entre diverses populations de saumons au large de la côte de la Colombie-Britannique.

Les virus ont un taux élevé de mutations et, au fil du temps, leurs génomes accumulent des changements génétiques. Ces modifications du génome permettent de comprendre l’origine et la dispersion de virus prélevés dans des lieux différents.

Une lignée de RVP que l’on trouve couramment dans le Pacifique Nord-Est est venue de l’Atlantique Nord. Nous estimons qu’elle a été introduite pour la première fois dans les eaux côtières de la Colombie-Britannique assez récemment, il y a une trentaine d’années. Cela correspond à la période où l’on a importé des œufs de saumon atlantique de l’Europe vers la Colombie-Britannique, ce qui a contribué au lancement de la salmoniculture dans la province.

Une carte montrant le mouvement de l’orthoréovirus de la Piscine de la Norvège vers la côte ouest de l’Amérique du Nord et de l’Amérique du Sud
Transmission mondiale de l’orthoréovirus pisciaire. (Gideon Mordecai), Author provided

Deux sources de données penchent fortement vers une transmission du virus entre le saumon d’élevage et le saumon sauvage. Les saumons quinnats sauvages sont plus susceptibles d’être infectés par le RVP s’ils se trouvent à proximité d’élevages de saumons. Et une analyse génomique a révélé que les saumons d’élevage et les saumons sauvages sont infectés par les mêmes variants, ce qui suggère une transmission continue.

Une analyse plus poussée des génomes du RVP dans les eaux de la Colombie-Britannique indique que le nombre d’infections a augmenté de deux ordres de grandeur dans la région depuis une vingtaine d’années, tendance qui correspond à la croissance des élevages, où presque tous les poissons sont atteints.

Tous les variants du virus, y compris le type de RVP trouvé en Colombie-Britannique, provoquent des lésions cardiaques chez le saumon atlantique. Des recherches ont permis de découvrir la même maladie associée au RVP dans les élevages de saumon atlantique.

Un seul virus, deux maladies

Plus important encore pour l’écologie de la Colombie-Britannique, on a établi un lien entre le RVP et une autre maladie qui affecte le saumon du Pacifique. Chez le saumon quinnat, le RVP est associé à la « jaunisse/anémie », une maladie qui résulte de l’éclatement des globules rouges et qui entraîne des dommages au foie et aux reins.

Malgré les preuves de l’existence d’un lien entre le RVP et des maladies du saumon atlantique et du saumon quinnat, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) ne classe pas le RVP comme un agent pathogène. Cela permet d’ensemencer les fermes piscicoles en mer avec des poissons atteints par le virus.

Nos recherches montrent que les élevages de saumon sont une source d’infection pour les poissons sauvages et fournissent des preuves qui appuient les pressions pour minimiser les interactions entre la salmoniculture et les poissons sauvages. Étant donné que les sciences et le processus décisionnel du MPO ne sont pas indépendants, je crois que la réglementation de l’industrie de l’aquaculture devrait être séparée de la responsabilité du MPO de protéger le saumon sauvage.

Les maladies liées aux poissons d’élevage ont un impact non seulement sur la santé des saumons sauvages, mais aussi sur les espèces qui en dépendent, comme l’épaulard résident du Sud, une espèce menacée. Avec autant de facteurs en jeu, la conservation du saumon s’avère un défi de taille. Mais une petite augmentation de la survie des saumons juvéniles qui migrent des rivières vers l’océan peut se traduire par des millions de saumons adultes supplémentaires qui retournent dans leurs frayères, une ressource vitale pour l’écologie et les habitants de la côte de la Colombie-Britannique.

This article was originally published in English

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