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Espace mondial

Les infortunes sécuritaires de la politique étrangère française

Le président Hollande lors du défilé du 14 juillet 2013. Marie-Lan Nguyen/Wikimedia

La France a du mal à se définir par rapport à la puissance, en tout cas depuis la dernière Guerre mondiale. Coup sur coup, la défaite de 1940, l’avènement de la bipolarité et des « super-grands », les déséquilibres croissants entre budgets militaires, les humiliations subies durant les guerres coloniales et, tout simplement, le déclin de la puissance militaire comme principe universel de régulation : autant d’éléments qui ont constamment pesé sur la volonté de propulser la France dans les hauts rangs de la hiérarchie militaire mondiale…

Le Général de Gaulle était conscient de ce piège tendu par l’Histoire et cherchait, en écho, à substituer la « grandeur » à la classique puissance. Faite de symboles et de principes (notamment l’indépendance nationale, activée avec la sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN en 1966), cette affiche nouvelle ouvrait aussi à des pratiques inédites ou ranimées : diplomatie « mondialiste », diplomatie d’influence, rayonnement par l’image…

Cette « grandeur » avait un prix : respecter sa finalité sans la soumettre à d’autres considérations. Or promouvoir partout dans le monde la culture et la science françaises, défendre et illustrer sa langue, témoigner de ses discours ne peuvent en rien servir d’étais à des projets de puissance, ni d’instruments de ralliement à des options diplomatiques. On a eu toujours du mal à comprendre, à Paris, que le fameux soft power échouait pathétiquement lorsqu’on en faisait l’auxiliaire de coups politiques.

Coca-Cola n’a jamais rallié ceux qui s’en délectent aux dédales du néoconservatisme, et la dévotion portée à l’inspecteur Columbo n’a jamais aidé George W. Bush dans ses funestes options. Corneille ou Racine, Renoir ou Brassens ne seront jamais les missi dominici des coups diplomatiques pensés à l’Élysée ou à Matignon. Le triste naufrage de la politique de grandeur dans les médiocrités de la « Françafrique » est là pour en témoigner à sa manière. La grandeur ne sert qu’elle-même et les valeurs qu’elle porte : c’est en elle-même et par elle-même qu’elle construit ses victoires. Ce qui est déjà beaucoup : il serait temps de s’en souvenir.

Restauration martiale

Cette incompréhension a conduit les gouvernements récents vers un dangereux recentrage. Si la grandeur ne restaurait pas la puissance, autant retourner aux sources de celle-ci… L’intégration atlantique revint à la mode et la France reprit son siège à l’OTAN. Sur le terrain, les armes prirent peu à peu le dessus sur les lettres : jamais la France n’a autant mobilisé de moyens militaires actifs au sein des pays du Sud. Le tout sécuritaire eut sa revanche sur l’idée de grandeur… Cependant, ce retour à une politique de puissance qui ne peut être que limitée se révèle coûteux : il crée des effets négatifs qui attaquent la substance même de la politique étrangère française.

Tout d’abord, encadrer une politique d’influence par des référents sécuritaires trop prononcés conduit à annihiler celle-ci. La France ne peut pas s’embastiller derrière des remparts imprenables et revendiquer en même temps le statut de puissance attractive. On le sait à travers les tourments qui dissuadent les meilleurs étudiants étrangers de venir approfondir leurs études dans l’hexagone. On le perçoit à l’écoute de nos collègues étrangers qui répugnent à se soumettre à l’inquisition humiliante des délivrances de visa.

Le cercle est toujours aussi vicieux : il faut disposer, à l’instar des États-Unis, de ressources très confortables pour pouvoir conjuguer soft power et hard power sans que celui-ci vienne annuler celui-là… La langue américaine n’a pas souffert des années néoconservatrices, mais le français continuera à régresser s’il n’est pas soutenu par une vraie politique culturelle n’apparaissant pas comme le simple appendice de projets de puissance.

En outre, cette politique de restauration martiale n’aboutit que rarement à des résultats efficaces et probants. Davantage dirigée contre des acteurs sociaux que des États, elle aiguise la rancœur des uns et le scepticisme des autres ; elle banalise l’idée de puissance militaire là où la mémoire collective a tendance à retenir un passé colonial que la France a du mal à faire oublier. On sait combien la francophonie ne s’est pas relevée des chocs militaires les plus brutaux dont la France avait pris l’initiative : elle a ainsi quasiment disparu de l’Algérie et du Vietnam…

Sécurité humaine

Le risque est d’autant plus lourd que ce réflexe sécuritaire prend forme dans son profil militaire le plus classique, manquant ou ignorant le tournant qu’a représenté l’invention par le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) de l’idée de sécurité humaine. Celle-ci, reposant sur l’idée de libérer les hommes et les femmes de toute forme de peur, donnait la part belle à la sécurité alimentaire, sanitaire et bien d’autres encore.

Raisonner en termes de sécurité humaine reste compatible avec une politique d’influence, car la démarche se détourne de la coercition et, en s’adressant à des besoins humains qu’il s’agit de satisfaire, crée des comportements sociaux d’adhésion que les praticiens de la vie internationale ont trop souvent négligés. Hélas, ni la France, ni l’Union européenne n’ont jamais accordé crédit à un tel concept que se sont réservé en fait les pays scandinaves, ou le Canada avant Stephen Harper.

En délaissant cette voie, la France perd sa principale chance d’avoir une politique étrangère bénéficiaire et crédible. C’est d’autant plus regrettable que nous disposons de vrais réseaux pour cela : des acteurs de coopération culturelle hors pair, à travers les alliances françaises, des conseillers de coopération et d’action culturelle (COCAC) expérimentés, mais aussi une littérature, une langue, une production artistique qui ne sont pas données à tous. Déjà disparus des lycées ou presque, Corneille et Racine vont-ils quitter le monde ?

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