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Les jardins de Giverny, source d’inspiration infinie

Bassin aux Nymphéas. Giverny. Author provided

Le village de Giverny, très souvent réduit au jardin de Claude Monet, renvoie à des perceptions ou des constructions symboliques et imaginaires nourries par un large corpus et ce depuis le XIXe siècle : articles de presse, romans, romans policiers, bandes dessinées, beaux livres, films, émissions audiovisuelles et même une chanson de Chris Rhéa qui parle de jardin et d’amour.

Si le mot « Giverny » se retrouve dans le titre de nombreux documents, c’est donc en tant que jardin et en lien avec le peintre. Ce jardin (ou ces jardins, le jardin étant séparé en deux parties : le clos normand derrière la maison et le jardin d’eau avec ses nymphéas un peu plus loin) a toujours été présenté comme exceptionnel, parce qu’il est l’œuvre d’un grand peintre, sa source d’inspiration et une clé de compréhension de ses tableaux.

Giverny : un jardin extraordinaire

Pour ce qui concerne les jardins, les descriptions sont presque toujours dithyrambiques et jouent sur l’accumulation des verbes, des adjectifs ou des noms de plantes, notamment pour le clos normand. En cela, les descriptions du jardin rappellent la peinture par touches colorées successives des tableaux impressionnistes.

Par exemple, dans le roman de Patrick Granville, Falaise des fous (2018), le narrateur se rend dans les jardins de Giverny en 1909 et décrit ainsi le clos normand :

« Tout est bouclé, vrillé, spiralé, tricoté, pomponné de petites feuilles de rosiers nervurées. »

De même, dans le roman de Michel Bussi Nymphéas noirs (2011), la beauté des jardins n’est pas mise en doute :

« Je ne vais pas raconter d’histoires, bien entendu que le jardin est magnifique. La cathédrale de roses, le fond des dames, le clos normand et ses cascades de clématites, le massif de tulipes roses et de myosotis… Autant de chefs-d’œuvre… »

Notons que dans la BD tirée du roman (Cassegrain et coll. 2019), les nymphéas font l’objet de dessins presque pleine page dès le début de l’ouvrage, comme un produit d’appel.

Déjà à l’époque de Monet, son jardin faisait l’objet de toutes les admirations, en témoignent les propos de Marcel Proust dans un article du Figaro daté du 16 juin 1907 :

« Enfin, si […] je puis voir un jour le jardin de Claude Monet, je sens bien que j’y verrai, dans un jardin de tons et de couleurs plus encore que de fleurs, un jardin qui doit être moins l’ancien jardin-fleuriste qu’un jardin-coloriste. »

L’écrivain devait en effet rendre visite à Monet à Giverny mais, pour raisons de santé, il ne le fera jamais. Cela ne l’empêchera pas d’imaginer ce jardin et de s’en inspirer pour la description d’un bassin aux nymphéas dans Du côté de chez Swann, parlant des nymphéas :

« Il semblait les avoir fait fleurir en plein ciel ».

Maurice Guillemot, journaliste et critique d’art, contemporain de Monet, a pu visiter le jardin d’eau de Giverny :

« Sur le miroir immobile des nénuphars flottent des plantes aquatiques […] d’un exotisme étrange ».

Beaucoup de beaux livres exploitent largement la beauté des jardins à travers leur iconographie. On peut citer par exemple Le jardin de Claude Monet à Giverny de Fabrice Moireau (2006) composé presque uniquement d’aquarelles. Réalisé en concertation avec les jardiniers de Giverny, le parti pris du livre est indéniablement le jardin.

Quant à l’ouvrage de Dominique Lobstein (1983) : Un maître en son jardin, Claude Monet à Giverny, il ne comporte que des photos du jardin et de la maison, sans une seule reproduction de tableau.

Ainsi, les jardins sont extraordinaires en eux-mêmes et font l’objet d’ouvrages spécifiques où l’iconographie est dominante. Un autre aspect des jardins réside dans leur lien avec Claude Monet.

Œuvre à part entière et source d’inspiration

Le clos normand, jardins de Monet.

Monet est donc un jardinier : « Cet homme que nous voyons à Paris un peu laconique et froid, devient ici tout autre. » (Arsène Alexandre, Le Figaro, 9 août 1901)

En 1915, dans son film Ceux de chez nous, Sacha Guitry (1915), ami du peintre, dit de lui : « Monet n’avait qu’un seul luxe : ses fleurs. Son jardin était un des plus beaux jardins du monde ».

En 1924 paraît sous forme de fascicule une longue interview de Marc Elder qui est allé à la rencontre de Monet, chez lui, à Giverny. Parlant de l’artiste, il dit :

« C’est la silhouette du bon jardinier, trapu, d’aplomb, évoquant à la fois la force sylvestre et les clartés d’avril. Mais s’il se retourne, vous voyez son œil aiguisé, volontaire, tranchant, imprévu dans la bonhommie apparente. » (Elder, 1924 : 9-10)

Monet lui-même déclare en 1904 : « Hormis la peinture et le jardinage […] je ne suis bon à rien » (Le Temps, 7 juin 1904). Georges Truffaut, célèbre jardinier, le confirme à sa façon en 1913 : « La plus belle œuvre de Claude Monet est, à mon avis, son jardin » (Jardinage, nov. 1924 : 104).

Le jardin est également remarquable en tant que source d’inspiration pour le peintre, comme élément constitutif de son œuvre, dont il fait finalement partie.

« Jusqu’à la fin de sa vie, le jardin de Monet a été une œuvre en mutation, à l’image de son propre travail : il était comme une première et vivante esquisse. » (Proust, 1907)

Dans le roman de Xavier Girard (2010), on voit que si les jardins servent d’inspiration à Monet, c’est au prix d’un travail précis afin de produire dans la nature ce que le peintre veut inscrire sur sa toile :

« Dès l’aube, il donne ses ordres à son chef jardinier […]. Le “Bassin” est une machine de haute précision, un dispositif à l’ingénierie fragile qui nécessite un entretien journalier […] L’accomplissement de son rêve de jardin coloriste est à ce prix. » (Girard, 2010 : 34)

Plus loin, l’auteur pose en termes clairs la question :

« Reste bien sûr de savoir si la science jardinière de Monet a inspiré le peintre ou si, à l’inverse, sa peinture a fait de lui un jardinier qui prendrait exemple sur la peinture. » (Girard, 2010 : 39)

Dans le roman de Frédéric Révérend, La drolatique histoire de Gilbert Petit-Rivaud (2016) qui se situe au début du XXe siècle, les jardins sont étroitement liés au besoin de sensations du peintre :

« La luxuriance voulue par Monet, c’était cette origine de la vie, cet érotisme sans copulation et poussé au paroxysme […] un spectacle toujours affriolant propre à stimuler les sens de l’artiste vieillissant. » (Révérend, 2016 : 209)

Livres Giverny. Auteur

Giverny pour comprendre Monet

La visite des jardins semble également indispensable pour mieux comprendre l’œuvre du peintre. Les contemporains de Monet ne s’y trompent pas : « Et cela […] montre combien il n’était pas inutile de connaître le jardin du peintre pour bien comprendre son œuvre » (Arsène Alexandre, Le Figaro, 1901 : 35).

Dans les ouvrages consacrés à Monet comme dans les catalogues d’expositions, les incitations tacites à se rendre à Giverny afin d’embrasser la totalité de l’œuvre de Monet, et pour mieux la comprendre, ne manquent pas.

Par exemple, dans le catalogue de l’exposition « Monet chefs-d’œuvre » (2018) du musée Marmottan Monet, l’accent est mis sur le rôle joué par les jardins sur l’œuvre de l’artiste :

« Dès lors, il aménage son premier atelier et dessine les contours de son jardin tel un tableau vivant, motif de prédilection qu’il peindra jusqu’à la fin de sa vie. En créant ce paysage, Monet souhaite réaliser ses nouvelles ambitions, à savoir toucher l’impalpable : l’air et la lumière. »

Dans le livre de Christoph Heinrich intitulé sobrement Monet (2019), il est dit en termes proches :

« On sent clairement une force ordonnatrice à l’œuvre dans ce jardin comme dans les œuvres du peintre. […] Il compose un tableau coloré sur des plates-bandes parallèles. »

Dans ces ouvrages, les nombreuses photographies d’un Monet déjà âgé, dans son jardin ou sur son pont japonais, côtoient les représentations des tableaux. L’effet miroir ainsi créé invite déjà à se rendre à Giverny pour embrasser l’œuvre de Monet dans sa totalité. C’est également ainsi qu’il est représenté sur la couverture des deux bandes dessinées du corpus.

Dans le roman de Patrick Granville, le lien avec l’œuvre du peintre est fait lors de la description des jardins d’eau :

« Le bassin de Giverny est ce puits ridicule d’une soixantaine de mètres à son maximum, enserré dans sa rive.[…] Un vieillard éternellement scrute sa fontaine ténue, la sonde, l’ouvre, y élargit des horizons impossibles où il lutte et s’épuise. De cette nappe horticole et dérisoire, l’infini est sorti. »

Enfin, Adrien Goetz, dans Intrigue à Giverny (2014) fait reconnaître à ses personnages l’intérêt d’une visite :

« Ici, c’est plus simple : il n’y a rien, mais c’est le vrai Monet. Un Monet qui est partout dans l’air, dans la terre, dans les mouvements et les ombres, dans l’eau. »

Le format audiovisuel n’est pas en reste. De nombreux reportages ont été consacrés aux jardins de Monet depuis le film de Sacha Guitry. Giverny a notamment fait l’objet d’une émission de télévision de la série Secrets d’Histoire (2011) présentée par Stéphane Bern, laquelle retrace la vie du peintre. Si l’on y parle beaucoup de Giverny c’est, encore une fois, du jardin dont il est principalement question.

Dans le cadre d’un autre reportage animé par S. Bern, (Visites privées, 2016), Sylvie Patin, conservatrice générale au musée d’Orsay, spécialiste de la peinture impressionniste, est interrogée sur la préférence : musées parisiens ou maison de Monet à Giverny ? :

« Après être passé à Giverny vous avez une approche très différente et vous comprenez qu’en fait cette peinture qu’on dit être à l’origine de l’abstraction, non pas abstraite, n’a rien d’abstrait parce qu’elle est totalement la peinture de son jardin, et notamment les nymphéas, l’eau avec les reflets du ciel, le ciel n’est pas absent, il est dans l’eau… »

Le pont japonais de Claude Monet. Wikipedia

Dans le film de Woody Allen, Minuit à Paris (2011), le héros se trouve au musée de l’Orangerie, à l’époque contemporaine et y décrit, avec flamme, la recherche de Monet peignant sans cesse le même motif. Il fait, au passage, la promotion de Giverny, si près de Paris.

Enfin, dans le documentaire La maison d’Alice : Claude Monet à Giverny (Philippe Piguet, 2010), Alice Monet est citée dans une lettre adressée à son mari : « Le jardin est ton autre atelier, elle est là ta palette ».

À travers leurs propos et leur iconographie, l’ensemble des documents étudiés donne des jardins de Monet à Giverny une image idéale, romantique et ne fait que créer et renforcer le mythe d’un jardin extraordinaire qui est une œuvre d’art à part entière et qu’il faut donc absolument visiter.

L’impressionnisme est un courant plébiscité par le grand public, certains disent que c’est en raison de sa joliesse et de la facilité avec laquelle il peut être compris. Giverny offre donc tous les avantages : celui du mythe d’un jardin idéal et d’une œuvre impressionniste au sein de laquelle on peut se promener par un beau jour d’été à moins d’une heure de Paris.

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