Être au service de l’inclusion : telle est l’ambition affichée par les organisateurs des Jeux olympiques de Paris 2024. Il s’agit d’abord d’élargir comme jamais la participation des femmes, avec les premiers Jeux strictement paritaires de l’histoire. Il s’agit ensuite de donner une ampleur nouvelle aux Jeux paralympiques mettant en lice des personnes en situation de handicap et de rendre le spectacle accessible à de tels spectateurs. Il s’agit enfin de promouvoir le sport en dépit des barrières sociales. L’objectif déclaré du Mouvement olympique est même de léguer une société plus inclusive après les Jeux.
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Une telle aspiration ne se comprend que par réaction à des exclusions qui naguère allaient de soi et ne paraissent plus légitimes aujourd’hui.
On ne s’étonnera pas que pareil désir soit sans équivalent dans les antiques concours d’Olympie, quelle qu’ait été leur longévité plus que millénaire (VIIIe siècle avant notre ère – IVe siècle de notre ère). Partant des valeurs d’aujourd’hui, on pourrait même dire que la participation aux « Jeux » reposait sur un certain nombre d’exclusions.
Un concours sans Barbares
Comme les Jeux modernes, qui les ont imités sur ce point, les Jeux antiques étaient des compétitions physiques (athlétiques et hippiques) organisées tous les quatre ans entre les ressortissants de multiples États. Première différence, cependant : ces États étaient tous des États grecs. Rappelons-le : ce qu’on appelle la Grèce antique n’était pas un État comme l’est aujourd’hui la Grèce moderne, mais un monde composé de centaines de cités-États distinctes et dispersées avec chacune leur territoire et leur régime politique : un Marseillais, un Athénien, un Spartiate, un Byzantin étaient grecs, tout en étant des étrangers l’un pour l’autre, avec des citoyennetés distinctes.
Ces cités ne formaient pas un ensemble politique, mais une communauté d’ordre culturel : elles avaient une même langue (le grec), le sentiment d’une parenté de sang, des mœurs identiques (en matière alimentaire, matrimoniale, vestimentaire ou athlétique), mais aussi des cultes et des sanctuaires communs. Le sanctuaire d’Olympie était l’un de ces sanctuaires dits panhelléniques, un sanctuaire de Zeus où tous les quatre ans se tenait ce que les Grecs appelaient proprement « le Concours olympique » (ho Olympikos agôn).
Cet ensemble de compétitions se déroulait dans le cadre d’une fête religieuse et on le désignait souvent en ne signalant que ce cadre : les Olympies (ta Olympia) ou « le concours en l’honneur de Zeus d’Olympie ». Cette dimension religieuse et cultuelle, qui n’est plus de mise aujourd’hui, était un phénomène banal dans l’Antiquité grecque : c’est aussi dans le cadre de concours en l’honneur d’un dieu qu’étaient représentées tragédies et comédies. Le concours d’Olympie n’était pas le seul concours panhellénique, mais c’était le plus important, le plus ancien, le plus prestigieux et le seul à être exclusivement physique (contrairement aux Jeux pythiques de Delphes, par exemple, il ne comportait pas d’épreuve musicale).
Les compétitions d’Olympie n’étaient pas ouvertes à toute l’humanité, que ce fût pour y participer ou pour y assister. La première condition pour y prendre part était d’être grec. Il n’y avait donc pas de non-Grecs, de ceux que les Grecs appelaient des « Barbares » : pas de Gaulois, de Phéniciens, de Thraces ou d’Égyptiens, peuples avec lesquels les Grecs avaient pourtant des échanges réguliers. Les Grecs voyaient dans l’athlétisme une pratique proprement grecque et l’exclusion des non-Grecs permettait de renforcer la frontière mentale qu’ils traçaient entre eux et les Barbares. L’une des caractéristiques de l’athlétisme grec était la nudité des athlètes, dans laquelle les Grecs voyaient aussi un fort contraste avec les Barbares, réputés enclins à se couvrir le corps de vêtements à manches et à jambes. Cette nudité typiquement grecque était particulièrement visible à Olympie.
Un concours sans femmes
Les participants aux Jeux devaient aussi remplir une condition de genre : il leur fallait être de sexe masculin. Les femmes, on le sait, sont loin d’avoir été d’emblée admises aux Jeux olympiques modernes, du moins comme participantes. Pierre de Coubertin invoqua même le précédent grec antique pour rejeter le principe de leur participation aux premiers JO. De fait, les femmes, dans l’Antiquité, ne pouvaient en règle générale ni assister aux Jeux olympiques ni y concourir. Plus précisément, elles ne pouvaient concourir physiquement et ne pouvaient donc y être athlètes.
Toutefois, certaines d’entre elles prirent part en leur nom à des épreuves qui n’exigeaient pas de présence physique. La chose a de quoi nous surprendre. C’est que les concurrents aux Jeux olympiques antiques pouvaient être de deux types : certains étaient des athlètes, quand d’autres étaient de simples financeurs ! Les compétitions athlétiques supposaient assurément la participation physique de celui qui concourait, que ce fût à la course, au lancer ou dans les sports de combat.
Mais ce n’était pas le cas des compétitions hippiques, c’est-à-dire des courses à cheval ou sur un char attelé, qui présentaient une particularité sans équivalent de nos jours : celui (ou celle) qui concourait n’était pas le jockey ou le conducteur de char (l’aurige), mais le ou la propriétaire, celui ou celle qui finançait chevaux, char et rémunération du jockey ou de l’aurige. C’est le seul cas où l’on puisse dire « celui ou celle », puisqu’il était possible à une femme de financer une épreuve de ce type.
Ce fut notamment le cas de Kynisca, qui n’était pas n’importe quelle femme, mais la fille d’un ancien roi de Sparte et la sœur du roi de Sparte de l’époque : elle remporta plusieurs victoires olympiques à la course de quadrige (char attelé de quatre chevaux) et fit ensuite au sanctuaire d’Olympie une somptueuse offrande à Zeus, celle d’un attelage en bronze, un groupe statuaire comprenant un char, ses chevaux, leur conducteur et Kynisca elle-même, assorti d’inscriptions vantant la victoire non du conducteur, mais de Kynisca.
Il est vrai que, plus tard dans l’année, il y avait au sanctuaire d’Olympie une fête en l’honneur d’Héra, avec un concours auquel participaient physiquement des jeunes filles. Il ne comptait cependant qu’un type d’épreuve, la course, avec trois catégories d’âge.
Il va sans dire qu’il ne pouvait rivaliser en prestige avec le concours masculin en l’honneur de Zeus.
Quant à assister aux Jeux, c’était réglementairement interdit aux femmes, à la seule exception d’une prêtresse (la prêtresse de Déméter Chamyné), simple citoyenne d’Élis (la cité organisatrice) qui, comme pour la plupart des prêtrises dans la Grèce antique, recevait cet honneur pour une durée limitée, et non par vocation ou profession. Il est à première vue surprenant que les jeunes filles aient eu, quant à elles, la possibilité d’assister aux Jeux olympiques, s’il faut en croire le voyageur grec Pausanias.
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C’est qu’il ne faut pas se méprendre sur ce qui motivait l’exclusion des femmes : elle n’est pas due au fait qu’elles ne devaient pas voir des athlètes nus (la statuaire et la peinture grecques leur en donnaient largement l’occasion), mais plutôt, à l’inverse, au fait que leur présence aurait pu perturber sexuellement les athlètes ; surtout, le grand concours d’Olympie (ta Olympia) était célébré en l’honneur de Zeus, un dieu mâle. Il n’y avait donc quasiment pas de présence physique des femmes au grand concours d’Olympie : le concours prestigieux entre tous était strictement réservé aux hommes, suivant un déséquilibre courant dans l’Antiquité.
Un concours réservé aux citoyens
L’homme grec qui participait aux Jeux olympiques antiques devait également être non seulement un homme de statut libre, et non pas servile, mais aussi un citoyen, et non pas un simple immigré résidant dans une cité étrangère (métèque). Sans qu’il y eût d’équipe officielle ni de sélection de la part des cités, les participants n’étaient admis par les organisateurs du concours que s’ils étaient des citoyens. Même s’ils ne représentaient pas officiellement leur cité, ils étaient identifiés et célébrés comme étant un tel de telle cité, et c’est de leur cité qu’ils tiraient le plus de gratifications à la suite de leur victoire. Il en allait de même des enfants (garçons) qui concouraient à Olympie à la course ou à la lutte.
L’évolution de la participation sociale
Sur le plan social, il y eut évolution au fil des siècles. Les concurrents étaient à l’origine des membres de l’élite ayant du temps pour s’entraîner et de l’argent pour payer un entraîneur ou l’entrée au gymnase, puis les frais d’hébergement et d’offrandes une fois à Olympie.
Néanmoins, la participation s’élargit peu à peu à des hommes de milieu plus modeste, matériellement soutenus par leur cité, un mécène ou une association. Cet élargissement alla de pair avec une professionnalisation et une spécialisation dans un seul type d’épreuve. Les épreuves hippiques restèrent cependant l’apanage de l’élite, un signe de distinction sociale soigneusement cultivé. Les amateurs coexistèrent donc avec les professionnels. Pierre de Coubertin prit soin de l’oublier en faisant prévaloir le principe de l’amateurisme, ce qui fut en son temps le meilleur moyen d’exclusion sociale, les épreuves étant ainsi réservées à une élite d’hommes riches disposant de loisirs. La règle ne disparut officiellement qu’à partir de 1981, en réaction à la suprématie soviétique fondée sur le dévoiement général de ce principe déjà largement battu en brèche depuis des décennies.
Le corps des athlètes
Pour finir, les personnes en situation de handicap sont rarement évoquées dans les sources, mais l’idéologie athlétique ne pouvait guère leur faire une place. Comme en témoignent amplement les statues exaltant son corps musclé, l’athlète représentait un idéal d’homme parfait aux proportions harmonieuses. Il s’agit certes de représentations idéales : les sports de combat supposaient des corps massifs.
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évoquant plutôt ceux de catcheurs et l’on en ressortait souvent le nez écrasé, les oreilles en chou-fleur et le corps couvert de cicatrices.
Reste qu’à défaut de tous répondre au canon de la beauté athlétique, les concurrents ne pouvaient que se présenter pleinement valides.
Au total, on l’aura compris, cette approche de la participation aux Jeux olympiques repose sur des critères anachroniques, nés d’une évolution très récente. Nul doute qu’aux yeux des Grecs eux-mêmes, par leur ouverture à des citoyens venus tant de Grèce balkanique que d’Italie, d’Asie Mineure ou de Libye, les Jeux étaient ce qu’ils avaient de plus « inclusif ».