Menu Close
Couverture de glace et de neige sur un lac de la forêt boréale en hiver (Lac Simoncouche, Saguenay, Québec). (Noémie Gaudreault), Fourni par l'auteur

Les lacs ne dorment pas en hiver ! Au contraire, il y a un monde qui vit sous la glace

Dans les régions où les hivers sont froids et que la température demeure sous zéro, on peut voir une couche de glace s’installer sur les lacs pendant plusieurs mois.

On pourrait croire qu’il ne se passe pas grand-chose sous la surface des lacs gelés en hiver.

Mais c’est loin d’être le cas.


Nos lacs : leurs secrets, leurs défis, est une série produite par La Conversation/The Conversation.

Cet article fait partie de notre série Nos lacs : leurs secrets, leurs défis. Cet été, La Conversation vous propose une baignade fascinante dans nos lacs. Armés de leurs loupes, microscopes ou lunettes de plongée, nos scientifiques se penchent sur leur biodiversité, les processus qui s’y produisent et les enjeux auxquels ils font face. Ne manquez pas nos articles sur ces plans d’eau d’une richesse inouïe !

De nombreux animaux, micro-organismes et végétaux peuvent demeurer actifs sous la glace. C’est d’ailleurs ce qui permet aux amateurs de poissons de s’adonner à la pêche blanche.

La couverture de glace sur les lacs agit un peu comme une couche d’isolation, offrant ainsi une protection contre le froid. Toutefois, si la glace devient blanche ou qu’une bordée de neige s’installe, la lumière pénètre alors de moins en moins sous la glace.

Bien que la vie aquatique suive son cours en hiver, il y a tout de même plusieurs contraintes pour les organismes à vivre dans le froid et la quasi-obscurité. On dit alors que la chaîne alimentaire se réorganise et que l’écosystème fonctionne différemment sous la glace.

L’hiver glacé est une période unique dans le cycle annuel des lacs. Mais attention, elle n’est pas rare : la majorité des lacs du monde gèlent chaque année !

Chercheures et chercheur en écologie des eaux douces, nos travaux développent la recherche sur les lacs en hiver. Nous proposons d’apporter un éclairage sur le monde qui vit sous la glace.

Qu’est-ce qu’on connaît des lacs en hiver ?

Que ce soit en milieux terrestre, marin ou d’eau douce, les écologistes ont historiquement considéré la saison froide comme une période de « dormance biologique ». Cette vision un peu trop réduite de la réalité, combinée aux difficultés logistiques de prendre des mesures ou échantillons sous la glace, a freiné la motivation scientifique et l’avancement de la recherche en écologie hivernale.

Aujourd’hui, on sait qu’il y a plus de vie qu’on ne le pensait sous la glace des lacs. Et bien qu’il soit maintenant plutôt établi que les lacs ne « dorment pas » pendant la saison froide, il n’en demeure pas moins qu’on en connaît beaucoup moins sur l’écologie des lacs en hiver comparativement à n’importe quelle autre saison de l’année.

On sait entre autres que plusieurs micro-organismes sont actifs sous la glace. Certains en profitent pour transformer des composés nutritifs, ce qui les rend plus « disponibles » pour la croissance printanière des algues. À l’image des engrais qu’on ajoute au jardin, ces éléments nutritifs jouent un rôle important pour stimuler la croissance à la base de la chaîne alimentaire au moment où la glace disparaît.

L’hiver peut aussi être une période favorable pour le cycle de vie de certains animaux. Au lieu d’hiberner ou de migrer, plusieurs invertébrés et poissons préfèrent rester actifs sous la glace pour profiter des avantages de l’hiver. Ceux-ci bénéficient d’une période calme, avec moins de prédation et de compétition, et détiennent un grand avantage par rapport aux autres : ils sont les premiers à accéder à la nourriture fraîche qui redevient abondante au printemps.

Gros plan sur la surface d’un lac gelé
Aujourd’hui, on sait qu’il y a plus de vie qu’on ne le pensait sous la glace des lacs. (Shutterstock)

La fameuse question : « Qu’est-ce que ça mange en hiver ? »

En raison des températures froides et des faibles quantités de lumière sous la glace, les plantes aquatiques et les algues font peu de photosynthèse en hiver. Les herbivores qui s’en nourrissent normalement doivent ainsi trouver d’autres sources de nourriture, ou alors développer des stratégies de survie hivernale, comme faire des réserves de graisse.

C’est ce que font certaines espèces de zooplancton (animaux microscopiques en suspension dans l’eau) : ils accumulent les bons gras (comme les oméga-3) provenant des algues pendant l’automne et utilisent ces réserves pour survivre lorsque la nourriture devient rare en hiver. Un peu comme l’ours, le zooplancton peut aussi transférer une partie de ses réserves de graisse à sa progéniture pendant l’hiver pour l’aider à croître au printemps.

Une autre stratégie pour pallier les carences nutritionnelles en hiver est de diminuer son métabolisme et sa mobilité. En réduisant leurs dépenses énergétiques, plusieurs animaux parviennent à diminuer leurs besoins alimentaires en hiver. Certaines truites vont même choisir leur habitat hivernal de façon à réduire les distances de nage.

copépode au microscope
Une espèce de zooplancton (le copépode Leptodiaptomus minutus) vivant sous la glace du lac Simoncouche, au Saguenay (Québec, Canada). Ce copépode passe l’hiver sous la glace en accumulant des réserves de graisse riches en oméga-3. La photo met en évidence la formation de gouttelettes lipidiques oranges. (Guillaume Grosbois), Fourni par l'auteur

Quelques bienfaits de la glace hivernale

En plus d’être une saison bénéfique pour les cycles de vie ou de transformation d’éléments chimiques, l’hiver dans les lacs peut comporter certains avantages pour la nature et la société.

L’hiver peut notamment réguler d’autres saisons. Par exemple, les hivers longs et froids peuvent se traduire en des étés plus courts et moins chauds dans les lacs. En effet, à l’échelle planétaire, la présence de glace hivernale exercerait une influence majeure sur les tendances de réchauffement estival dans l’eau des lacs.

Les étés chauds peuvent être propices aux floraisons algales (comme les algues bleu-vert, ou cyanobactéries, qui peuvent parfois libérer des toxines). Ainsi, les hivers longs et froids peuvent nous aider à amoindrir ce méfait et préserver la qualité de l’eau en tempérant les étés.

Au-delà des bénéfices écologiques, notre société profite aussi des lacs en hiver. En zone tempérée nordique, on peut penser aux activités récréatives comme le patinage ou la pêche sur glace. Un peu plus au Nord, là où l’hiver est la plus longue saison de l’année, la glace des lacs peut aussi offrir d’importants services socio-économiques, comme la formation de réseaux de transport (routes de glace), et peut même être essentielle aux traditions culturelles et à l’alimentation.

L’hiver dans les lacs a donc une valeur pour nous aussi.

Fonte des glaces

Avec le réchauffement climatique, on entend souvent parler de la fonte de la banquise dans l’océan Arctique. Bien que moins médiatisée, la glace des lacs est elle aussi en déclin. Et ce, bien plus rapidement qu’on ne le pensait.

Selon nos archives, les lacs gèlent plus tard et dégèlent plus tôt depuis au moins deux siècles. Des travaux récents ont cependant révélé que la vitesse à laquelle la glace disparaît s’est accélérée par six fois au cours des 25 dernières années.

Par conséquent, des milliers de lacs dans l’hémisphère Nord ne gèlent déjà plus ou alors seulement de manière occasionnelle. Les lacs Canadiens ne sont pas exclus : le couvert de glace de nos grands lacs n’a jamais été aussi bas qu’en hiver 2024. On parle déjà des conséquences des hivers chauds pour les pêcheries commerciales et le bon fonctionnement de ces grands écosystèmes.

On commence à peine à combler le manque de connaissances sur les lacs en hiver. Alors il demeure difficile de prédire comment les lacs changeront avec la fonte des glaces dans le futur.

C’est en avançant la recherche sur l’écologie des lacs en hiver qu’on parviendra à mieux comprendre les conséquences du réchauffement hivernal. Ces travaux fournissent une base pour développer des prédictions, mais aussi des stratégies de conservation, d’atténuation et d’adaptation pour la nature et la société.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 189,900 academics and researchers from 5,046 institutions.

Register now