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Malade d'Alzheimer avec IRM
L'origine des atteintes cérébrales de la maladie d'Alzheimer reste méconnue. Atthapon Raksthaput/Shutterstock

Les métaux sont-ils le chaînon manquant pour comprendre la maladie d’Alzheimer ?

Les maladies neurodégénératives sont caractérisées par une détérioration progressive des neurones, entraînant un dysfonctionnement du système nerveux et une perte graduelle des capacités cognitives et/ou motrices. La maladie d’Alzheimer représente la forme la plus courante de ces pathologies.

Bien que cette dernière ait un coût et un impact sociétal majeurs dans nos sociétés vieillissantes, très peu de progrès ont été accomplis au point de vue thérapeutique, malgré des efforts importants en recherche clinique. Ce paradoxe apparent pourrait s’expliquer par une compréhension encore trop partielle de ses mécanismes moléculaires.

Nous essayons d’apporter ici un éclairage original à ce sujet, en nous focalisant sur l’altération de la répartition des « métaux » dans le cerveau, laquelle pourrait favoriser la dégénérescence et la mort des neurones. Par souci de simplification, nous utilisons le terme « métaux » pour désigner les ions métalliques issus du zinc Zn(II), du cuivre Cu(I/II) et du fer Fe(II/III).

Une origine toujours incomprise

Dès 1907, les travaux originaux d’Alois Alzheimer avaient mis en évidence l’existence de plaques dites « amyloïdes » (dépôt de protéines agrégées) dans le cerveau d’une patiente décédée ayant souffert de démences caractéristiques de la maladie qui portera plus tard le nom de ce médecin bavarois. Mais plus d’un siècle plus tard, de nombreux aspects de la maladie demeurent dans l’ombre.

Les plaques amyloïdes résultent de l’agrégation de protéines nommées Amyloïdes-β (Aβ), identifiées par George Glenner et Caine Wong (université de Californie) dès 1984, puis de leur accumulation. L’agrégation est le phénomène par lequel ces protéines se regroupent pour former des ensembles très stables. Les protéines Aβ proviennent de la coupure d’une protéine parente, plus longue, appelée « protéine précurseur de l’amyloïde » (APP). Les fonctions de l’APP, tout comme celles de l’Aβ, restent encore largement inconnues et partiellement incomprises.

La théorie dite « amyloïde », selon laquelle la maladie d’Alzheimer est causée par la présence de ces fameuses plaques amyloïdes dans le cerveau, a été formulée initialement par le généticien John Hardy (University College London) et le neurobiologiste Gerald Higgins (National Institute on Aging) en 1992. Mais la contribution réelle des agrégats de protéines à l’évolution de la maladie reste aujourd’hui encore sujette à débat.

Plaques amyloïdes dans le cerveau de patients atteints de la maladie d’Alzheimer
Les plaques amyloïdes (ici en fuchsia), constituées de protéines agglutinées entre les cellules cérébrales, peuvent être présentes dans le cerveau des malades atteints d’Alzheimer. Pics56, CC BY-SA

Une autre théorie est également formulée, mettant cette fois en cause une agrégation intracellulaire anormale de la protéine Tau. Cette dernière, associée aux microtubules (qui participent à la formation du squelette cellulaire) et régulant leur dynamique de formation et déformation, peut entraîner des enchevêtrements fibreux capables de se propager d’un neurone à l’autre et à l’ensemble du cerveau.

Habituellement, Tau reçoit un groupement chimique nommé phosphate, ce qui régule ses fonctions cellulaires. Or, dans certaines conditions, Tau se trouve chargée de beaucoup trop de phosphates. Cela va favoriser son agrégation et induire une perte fonctionnelle puis, in fine, la mort neuronale.

Ces deux théories, « amyloïde » et « Tau », ont conduit au développement de nombreuses recherches pour le développement de médicaments. Médicaments qui, pour l’heure, restent peu efficaces…. Beaucoup sont en effet basées sur l’utilisation de modèles animaux transgéniques (génétiquement modifiés) ou de protéines synthétiques qui reproduisent imparfaitement la pathologie humaine.

Par ailleurs, on sait aujourd’hui que des plaques amyloïdes peuvent être présentes dans le cerveau de patients ne souffrant pas de démences et, inversement, être absentes (ou peu s’en faut) chez des patients ayant souffert de démences. Bref, il ne semble pas y avoir de corrélation étroite entre la quantité de plaques amyloïdes et la sévérité des symptômes de la maladie.

Il parait donc maintenant important et urgent d’envisager la maladie d’Alzheimer non plus à l’aune d’une seule hypothèse, mais de la considérer selon une approche multifactorielle.

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Envisager de nouvelles approches

Un des premiers arguments en faveur d’une approche multifactorielle provient des études génétiques qui ont permis de mettre en évidence des gènes de susceptibilité à la maladie, autrement dit des gènes dont certains variants peuvent augmenter ou diminuer le risque de développer cette pathologie. Le premier et principal d’entre eux est le variant 4 du gène APOE (APOE4) codant pour l’apolipoprotéine E (impliquée dans le transport des lipides).

Depuis cette découverte, des études complémentaires ont permis d’étendre le nombre de gènes dont des variations sont à considérer. De manière intéressante, beaucoup touchent au métabolisme des lipides, ce qui pourrait représenter un axe de recherche complémentaire aux recherches sur Aβ et Tau.

Parmi les hypothèses complémentaires, on peut également citer les dysfonctions du cycle des neurotransmetteurs, de la cascade mitochondriale mais aussi prendre en compte des pathologies comme le diabète, qui sont associées à une augmentation du risque de développer la maladie.

Comme nous l’avons indiqué en préambule, nos laboratoires travaillent sur une hypothèse complémentaire, encore peu étudiée dans ses aspects thérapeutiques, qui porte sur une altération de la régulation des métaux. Fer, cuivre et zinc sont en effet autant de micronutriments essentiels pour la santé un déséquilibre dans leurs concentrations de notre corps est incompatible avec son bon fonctionnement.

Un arc cible la multitude de facteurs possiblement impliqués dans la maladie d’Alzheimer (Aβ, Tau, radicaux libres… et les métaux fer, zinc et cuivre)
La maladie d’Alzheimer est multifactorielle. Après les protéines amyloïdes β et Tau, les métaux, dont le cuivre, semblent être une piste de recherche importante et une future cible thérapeutique possible. Christelle Hureau/Cordis, Author provided

L’hypothèse de l’anomalie métallique

Notre modèle se fonde sur l’observation d’un changement dans la localisation dans le cerveau de certains métaux, principalement le zinc (Zn), le fer (Fe) et le cuivre (Cu), et sur le fait que l’Aβ est capable de s’y lier ce qui en favorise l’agrégation. De plus, le fer ou le cuivre liés à l’Aβ sont aussi capables de favoriser la production de molécules réactives de l’oxygène, principalement des radicaux libres, qui sont toxiques sinon létaux pour les neurones. Ce type de toxicité est aussi connu sous le nom de « stress oxydatif », et est constaté dans les stades précoces de la maladie d’Alzheimer.

Plusieurs études ont révélé des concentrations en métaux différentes (Cu, Zn et Fe) entre personnes saines et patients atteints de la maladie. Au-delà des concentrations globales au niveau du cerveau, ce qui compte est la répartition des métaux entre milieu extra et intracellulaire.

Bien que les niveaux cérébraux pour ces trois métaux soient impactés, le cuivre a été choisi comme cible thérapeutique privilégiée car, se retrouvant principalement sous forme de nano-particules, il peut participer au stress oxydant, contrairement au fer et au zinc.

À ce jour, deux essais cliniques ont été conduits pour restaurer l’homéostasie des métaux (leur bon équilibre interne), mais ils ont dû être stoppés par manque de spécificité et de pureté des molécules testées pour leur transport.

Pour surmonter ces problèmes, nous avons conçu une nouvelle molécule capable de véhiculer spécifiquement le cuivre. Elle est non seulement capable de se lier très préférentiellement avec ce métal, mais peut aussi l’extraire de l’Aβ. Elle stoppe également la production d’espèces réactives de l’oxygène, et ramène le cuivre à l’intérieur des cellules neuronales, où il est normalement utilisé par diverses protéines et enzymes pour leur bon fonctionnement physiologique.

Des espoirs pour demain

Cette molécule, capable de faire naviguer le cuivre de l’extérieur - où il est néfaste - vers l’intérieur de la cellule - où il est nécessaire - représente donc un nouvel outil précieux en recherche fondamentale. Elle devrait permettre de mieux comprendre les implications d’une dérégulation des quantités de cuivre dans la maladie d’Alzheimer. De plus, en repositionnant correctement ce métal, elle présente des applications thérapeutiques potentielles.

Elle pourrait être capable de cibler plusieurs facteurs tels que l’agrégation de Aβ modulée par les métaux, la production d’espèces réactives de l’oxygène par le cuivre lié au Aβ toxiques pour les neurones, et le manque de cuivre intracellulaire qui nuit au bon fonctionnement cellulaire.

Avant d’envisager son utilisation thérapeutique, nous poursuivons nos travaux sur des modèles plus intégrés, comme des coupes d’hippocampe en trois dimensions de cerveaux de souris. Ces modèles permettent de mieux étudier l’impact de la dégénérescence neuronale dans un modèle ayant conservé l’organisation dans l’espace de cette zone cérébrale majeure.

Lorsque l’on cherche à élucider les mécanismes d’une maladie multifactorielle telle que la maladie d’Alzheimer, car il est nécessaire de s’intéresser à plusieurs cibles thérapeutiques (protéines Aβ, Tau, métaux…). Et ce, aux stades les plus précoces de la mise en place de la maladie, afin d’obtenir une amélioration des manifestations cliniques.

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