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« Transition énergétique »

Ben_Kerckx/pixabay

Depuis 2011 et la « feuille de route 2050 » – qui cible pour cette période une réduction des émissions de CO2 de 80 à 85 % par rapport à leur niveau de 1990 –, la transition énergétique est une des préoccupations majeures de l’Union européenne (UE). Le « Paquet énergie-climat », adopté par le Conseil européen en 2008 et révisé en octobre 2014, souligne la triple dimension des actions à mener pour réaliser cette transition : réduction des émissions de gaz à effet de serre, augmentation de la part des énergies renouvelables et diminution du niveau de la consommation d’énergie.

La transition énergétique est indissociable du « développement durable », qui s’est progressivement imposé sur la scène internationale, puis dans l’action publique locale, depuis le rapport de la Commission des Nations unies sur l’environnement et le développement (1987) et le Sommet de la Terre à Rio (1992), où il a été présenté comme une alternative à la seule croissance économique. Appréhendé comme un compromis qui régule et oriente les relations entre activités économiques, matières et pratiques sociales, le succès est là dans les décennies 1990-2000, comme le montre en Europe la « campagne des villes européennes durables » lancée en 1994 et qui a débouché sur la Charte d’Aalborg.

À contre-pied du catastrophisme

Ces textes ont servi de base à l’élaboration d’un récit collectif, avec pour assise la notion de responsabilité commune, notamment en matière de changement climatique. Considérée comme un bien commun, la question du climat devient universelle. Elle renvoie à l’a priori de la « politique du consensus », au sens de Jacques Rancière : qui pourrait être contre l’attention à l’avenir de notre planète, menacée par les catastrophes et autres risques « globaux » ? Pour autant, la formulation de ce « méta-récit » ne signifie pas que la durabilité soit un produit homogène et stabilisé. S’agit-il de se défaire d’une vision dominante de la croissance économique comme horizon de progrès (voire adopter une démarche de « décroissance »), en un monde marqué par la « finitude », c’est-à-dire des ressources épuisables et irrémédiablement épuisées par les activités humaines ? Ou la science et la technique sont-elles capables de faire émerger des modèles de compatibilité, à l’instar des discours de la « croissance verte » ?

La notion de transition prend place dans un contexte qui ne se situe pas dans un référentiel « catastrophiste » de la crise écologique : la « transition vers » signifie que l’on a des objectifs, sinon des solutions en vue ; mais il s’agit en conséquence d’un registre planificateur, faisant ainsi le lien avec la durabilité comme projet de société. Autrement dit, derrière l’idée de « bien commun » et d’avenir partagé, il y a à la fois un appel au citoyen actif (que chacun s’engage à son niveau, au quotidien, pour lutter contre le réchauffement climatique) et un discours de normalisation portant sur la sphère de l’intime (à l’instar des « recommandations » sur la « bonne » durée d’une douche). La dénomination courante de l’« éducation au développement durable » illustre la métaphore de l’enfant qu’il convient d’éduquer.

Penser les transitions énergétiques

Cet énoncé de la transition est spécialement adossé au domaine de l’énergie, où il se lit comme « un ensemble de changements attendus dans les manières de produire, de consommer et de penser l’énergie ». Le terme est-il plus timide que ceux de turn ou Wende, usités dans les contextes anglo-saxon et allemand, et désignant un « virage », un « tournant » ? C’est le positionnement dans une dialectique adaptation/rupture, caractéristique des dynamiques du changement socio-écologique, qui ressort. Se dégage aussi une dimension procédurale, celle de l’organisation et de la gouvernance du changement, et pas seulement substantielle (les fameux trois volets économique, social et environnemental) : démocratie et participation sont aujourd’hui des énoncés incontournables lorsqu’il est question d’agir face au changement climatique.

Trois niveaux de perception et d’action sont ici entrelacés :

  • les filières qui diffusent les énergies renouvelables et qui désignent aussi bien des opérateurs industriels comme EDF que des groupements « alternatifs » locaux ;
  • le contenu de ce qui est diffusé (quelle énergie renouvelable ? quel mix ?) ;
  • les usages et les degrés d’appropriation : vise-t-on une certaine autonomie énergétique locale, lorsqu’on implante un parc éolien ou une ferme solaire sur le ban d’une commune ? L’énergie produite est-elle revendue au réseau global, via des aides publiques ? Que penser du logement, lorsque triple vitrage et ventilation mécanique contrôlée invitent les résidents, afin de réaliser des économies d’énergie, à ne plus guère ouvrir les fenêtres pour aérer – tout au contraire des apprentissages sociaux du passé, où l’air sain devait venir de l’extérieur !

Au-delà des seuls aspects techniques

La transition énergétique n’est donc pas un simple changement technique. Sa problématisation sociale soulève trois enjeux principaux, à commencer par la dimension sociale de la technique : un système énergétique emporte des aspects politiques, économiques, sociaux et territoriaux, à l’exemple de la part importante du nucléaire civil en France, en regard des autres États de l’Union.

Vient ensuite une diversité de conceptions et d’orientations ; les choix différents entre la France et l’Allemagne après la catastrophe de Fukushima le montrent, de même que la question du « mix » énergétique (c’est-à-dire l’association de différentes sources et techniques d’énergies renouvelables).


La part importante du nucléaire civil en France (chiffres 2011, réalisation laboratoire SAGE).


Le mix énergétique parmi les énergies renouvelables (chiffres 2011, réalisation laboratoire SAGE).


Dès lors, comment associer les habitants à des projets d’énergies renouvelables ? Ces derniers correspondent à des transactions entre deux visions : une entrée par le marché, dominante, selon laquelle les innovations technologiques permettent de développer une filière industrielle (à l’instar des panneaux solaires photovoltaïques), dans la continuité d’un modèle centralisé (grands groupes) ; et, à la marge, une régulation citoyenne, correspondant à la recherche d’autonomie et une réflexion sur les modes de vie (plus « sobres »).

Nous avons récemment montré que les individus bénéficiant d’une maîtrise technique (connaissant par exemple la différence entre énergie solaire thermique : production de chaleur sur site ; et photovoltaïque : production d’énergie généralement revendue) ont plus de facilité à se projeter sur des scénarios d’avenir (sortie du nucléaire, etc.). Contrairement à ce que laissent penser des campagnes de type « éco-gestes » qui emportent un message normé (privilégier une douche plutôt qu’un bain, ne pas laisser d’appareils domestiques en veille, etc.), on ne peut s’en tenir à une vision d’acteur unique et rationnel, maître de ses actes énergétiques.

Cette vision de l’homo ecologicus qui vise à une responsabilisation individuelle des citoyens masque les variables socio-économiques structurelles, et les inégalités sociales et environnementales en termes de capacités à agir. La question est alors bien de faire de la transition énergétique un facteur à la fois de transition écologique et de cohésion sociale ; ceci peut passer par des re-localisations des circuits énergétiques, pour visibiliser ce qu’est l’énergie, peu palpable en soi, ou encore des innovations par retrait de la technique, et non pas toujours plus de technologies (tels le discours des smart grids ou de la domotique). Plusieurs voies donc.

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