Des chercheurs l’ont tout récemment confirmé : Europe, satellite naturel de la planète Jupiter, libère dans l’espace depuis sa surface glacée de la matière sous forme de plumes. D’après les estimations, au moment de l’observation, la masse éjectée était d’environ 2 tonnes par seconde. Quelle est donc l’origine d’un tel geyser ? Aucune source n’a pour l’heure été identifiée. Mais une autre étude à paraître prochainement a révélé que plusieurs régions du satellite présentent des propriétés signant potentiellement la présence des geysers.
Une surface d’environ 100 millions d’années
Les lunes glacées de Jupiter sont d’un grand intérêt scientifique dans la recherche de zones habitables au sein de notre système solaire. Et c’est en particulier le cas du satellite Europe. Du point de vue géologique, sa surface est très jeune – environ 100 millions d’années – et montre des signes de tectonique et d’une potentielle activité, avec des volcans de glace. On y trouve un océan d’eau liquide salée, en contact avec le manteau rocheux, soit un environnement extraterrestre particulièrement propice à l’apparition de la vie.
Des observations par le télescope spatial Hubble ont montré depuis 2012 la présence indirecte de geysers dans la haute atmosphère, mais aucune trace d’activité en surface n’avait jusqu’alors été clairement identifiée. L’origine de ces geysers restait donc mystérieuse. Or pour la première fois, une étude de la microtexture a mis à jour de potentielles zones actives à la surface d’Europe.
Les plumes, ou panaches, sont des éjections de matière qui se répandent depuis la surface vers l’atmosphère. Encelade, satellite naturel de Saturne, est la première lune glacée sur laquelle une telle activité a été découverte grâce à la mission Cassini. La sonde Cassini a même pu prélever et analyser le panache en passant à travers, et y trouver des grains composés de glace d’eau, mais aussi de matière organique complexe.
Vapeur d’eau : une détection indirecte
Sur Europe, de la vapeur d’eau sous sa forme moléculaire H2O a été détectée indirectement dans la très haute atmosphère, et c’est la première fois qu’une étude télescopique permet une telle observation. En 2012 des scientifiques avaient déjà observé la présence d’atomes d’hydrogène et d’oxygène dans la très haute atmosphère grâce aux images du télescope spatial Hubble. Mais la quantification de l’eau présente est très difficile. Et pour cause : la moitié de vapeur d’eau éjectée retombe à la surface, et parmi l’autre moitié qui s’échappe dans l’atmosphère, seul 1 % est dissocié sous forme d’hydrogène et d’oxygène. Les nouvelles observations de 2016 issues de l’observatoire Keck à Hawaï ont permis au contraire de mesurer directement la vapeur d’eau. Ces analyses ont estimé l’eau rejetée dans l’atmosphère d’Europe à 2 tonnes par seconde.
La glace d’Europe n’est pas stable. Elle se sublime en permanence sous l’effet du bombardement de particules énergétiques, au rythme maximal d’1 tonne par seconde. Il y a donc en continu un milliard de milliards de molécules d’eau (1018) par mètre carré dans l’atmosphère d’Europe. Cette valeur peut paraître énorme, mais elle ne représente en fait qu’une très faible pression (10-11 bar). C’est beaucoup moins que sur Terre (la pression atmosphérique moyenne au niveau de la mer est de 1 bar). Par ailleurs, le bombardement des particules énergétiques étant quasiment constant, de la vapeur d’eau devrait s’échapper continuellement. Or on n’a détecté l’atmosphère surgonflée d’Europe qu’une seule fois, le 26 avril 2016 à 05 :32 (temps universel), sur un total de 17 observations. Autant dire que l’origine du phénomène doit se trouver ailleurs, et qu’elle vient probablement de processus internes.
D’où est parti le panache ?
Malheureusement, les observations télescopiques depuis la Terre ne permettent pas d’identifier de manière précise la zone à partir de laquelle s’est formé le panache de vapeur d’eau. On pourrait peut-être en savoir davantage en se penchant sur les images des anciennes missions spatiales. Plusieurs structures géologiques ont en effet été repérées comme pouvant témoigner d’une activité sur Europe, comme le montre la figure 1. Reste que nous disposons de très peu d’images à haute résolution. Et que ces images ne présentent pas de signes de panaches.
Une équipe de chercheurs et ingénieurs français a utilisé une autre technique pour étudier la surface d’Europe : la photométrie. De quoi s’agit-il ? La technique consiste à analyser la manière dont une surface renvoie la lumière en fonction de sa géométrie. Et en l’occurrence, l’équipe scientifique a examiné de cette manière les données des anciennes missions Voyager et New Horizons. Ce faisant, les chercheurs ont pu déterminer la microtexture de la lune glacée de Jupiter (porosité, structure interne, forme des grains, rugosité…). Ce qui pourrait permettre de mieux comprendre les processus géologiques à l’œuvre.
De manière générale, la microtexture d’Europe s’est révélée très variée, témoignant d’une grande diversité de sols glacés. La majorité des terrains diffusent la lumière vers l’arrière. C’est-à-dire que la majorité de la lumière est renvoyée dans la direction d’éclairement, comme sur la Lune. Ce comportement est dû au bombardement des particules solaires et des micrométéorites. L’équipe scientifique a toutefois repéré trois régions très brillantes et diffusant au contraire de la lumière vers l’avant, ce qui pourrait être le signe de dépôts récents dûs aux geysers ou aux cryovolcans.
Ces zones seront des cibles de choix pour les prochaines missions spatiales JUICE de l’Agence spatiale européenne (ESA) et EUROPA Clipper de la NASA, où de futures campagnes d’observation télescopique au sol devraient enfin permettre de résoudre la mystérieuse origine de ces geysers.