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Les objets du passé peuvent aider à prévoir le comportement des matériaux du futur

Verre de l'époque romaine, Ile des Embiez. CEA, Author provided

La conception de matériaux dont on doit garantir les propriétés sur de grandes échelles de temps, dépassant parfois largement celle d’une génération humaine, est un des défis actuels de l’ingénierie et de la science : que ce soit pour les ouvrages d’art ou les bâtiments industriels (ponts, centrales nucléaires) en acier ou béton armé dont on désire allonger la durée de vie, ou pour le stockage ultime des déchets nucléaires en couches géologiques profondes dont la sûreté doit être garantie sur plusieurs dizaines de milliers d’années… On demande aux ingénieurs de dimensionner les ouvrages et aux chercheurs de prédire le comportement des matériaux sous certaines contraintes (mécanique, chimiques, radiologiques) pour des durées inaccessibles à l’expérimentation en conditions réelles.

Un des aspects majeurs est l’altération par l’eau de ces matériaux, qui va progressivement affecter leurs propriétés fonctionnelles (résistance mécanique, confinement, etc.). Il est donc crucial de comprendre les processus à l’œuvre pour modéliser cette altération en fonction du temps et de l’environnement, sur les très longues durées envisagées.

Il s’agit là d’un défi qui doit, pour être remporté, s’appuyer sur de la modélisation prédictive et de l’ingénierie. Un problème est particulièrement délicat : celui de la validation des prédictions et du retour d’expérience, qui ne peuvent, malheureusement, pour les durées considérées, être réalisés que partiellement en laboratoire.

C’est pour cela que le regard vers le passé, afin d’y trouver des éléments de comparaison, voire de validation sur des systèmes analogues fait aujourd’hui partie de la stratégie globale de l’approche mise en place dans nos laboratoires du CEA, en collaboration avec l’Andra et le CNRS. L’observation du verre et des métaux produits par l’homme il y a plusieurs centaines, voire milliers d’années, joue un rôle de premier plan.

1 800 ans dans l’eau de mer

Ainsi, des blocs de verre archéologique antique provenant d’une épave vieille de 1 800 ans découverte près de l’île des Embiez (Var) en mer Méditerranée ont fait l’objet d’une étude de pointe en raison de leur analogie morphologique avec les verres nucléaires. Fracturés à l’issue de leur élaboration (comme les verres nucléaires), ces verres se sont altérés durant près de 1 800 ans dans l’eau de mer.

Dans un premier temps, leur caractérisation a démontré que les fissures internes, qui sont pourtant les plus nombreuses, ne contribuent que faiblement à l’altération globale du bloc de verre. Des expériences d’altération conduites en laboratoire, dans des conditions similaires à celles appliquées aux verres nucléaires, ont permis de déterminer les constantes cinétiques des différents mécanismes mis en jeu (diffusion et dissolution du réseau vitreux) et les paramètres thermodynamiques (affinité, nature et stabilité des phases secondaires). Le tout pour mettre au point un modèle géochimique d’altération du verre archéologique.

Verre de l’époque romaine retrouvé en Méditerranée. CEA, Author provided

Les simulations reproduisent avec grande précision ce que nous avons observé et expliquent l’état d’altération des blocs par un fort couplage entre les réactions chimiques et le transport des ions dans les fissures. Ainsi la capacité prédictive du modèle a été validée sur des altérations pluriséculaires et des passerelles ont été établies entre ce système et les verres nucléaires en stockage géologique. Si cette étude reste la plus aboutie à ce jour, d’autres analogues sont utilisés pour renforcer la robustesse des modèles (verres volcaniques basaltiques, verres archéologiques issus des hauts-fourneaux…).

Vitesses de corrosion

La corrosion des métaux sur le long terme a été particulièrement étudiée dans le cas des fers et aciers. L’usage courant de ce matériau fait qu’il est largement présent dans différents environnements, et que ses contextes d’altération sont très différents : sur le sol où ces objets ont pu être abandonnés ; dans l’air ou bien en milieu humide dans le cas de leur usage comme renforts dans les monuments historiques.

L’observation de différents systèmes archéologiques a permis de définir une courbe enveloppe des vitesses de corrosion d’objets ferreux sur des durées de plusieurs centaines d’années. Ainsi la vitesse moyenne de corrosion peut être déduite pour des objets datés par leur contexte de découverte grâce à la mesure de l’épaisseur des produits de corrosion et la détermination de la quantité de fer relarguée dans le milieu transformé.

Fouille de l’affinerie de l’usine à fer de Glinet. Ensemble des poutres associées au gros manteau, vu depuis la digue : 1, extrémité de l’ordon ; 2, emplacement de la roue ; 3, support de l’arbre de la roue. D. Arribet-Deroin (CNRS)

Les mécanismes d’altération peuvent également être étudiés dans un environnement très précis. Daté du XVIe siècle, Glinet est un ancien lieu de production sidérurgique. Du fait de la présence d’une retenue d’eau liée à la présence d’installations hydrauliques et localisée en amont, les objets ferreux enfouis après l’abandon de la fabrique se sont corrodés dans un milieu constamment saturé en eau et appauvri en oxygène.

L’analyse de prélèvements d’eau au niveau des zones d’enfouissement des objets a révélé des compositions anoxiques et calco-carboniques très proches des conditions de certains sites de stockage envisagés pour les déchets nucléaires. L’étude des objets de ce site permet de proposer des modèles fiables pour prévoir les comportements sur la longue durée, qui prennent en compte l’ensemble des phénomènes mis en jeu, du nanomètre à l’échelle macroscopique de l’objet. Le but de cette démarche : déterminer les paramètres physico-chimiques qui contrôlent des cinétiques de corrosion. Ainsi, la présence d’une couche de quelques dizaines de nanomètres d’épaisseur a été détectée à l’interface entre le métal et des produits de corrosion parfois millimétriques. Cette couche est significativement moins poreuse que le reste des produits de corrosion et protège l’objet de la corrosion en empêchant l’eau d’atteindre le métal.

Des modèles pour prédire

L’observation d’analogues a donc permis, dans ce cas, de consolider les prédictions du modèle phénoménologique développé dans cet environnement. De même, un certain nombre de paramètres physico-chimiques utilisés dans les modèles descriptifs (porosité, coefficient de diffusion, conductivité locale, etc.) peuvent être déterminés sur les analogues et réinjectés dans les modèles. Il est également possible de remettre les objets archéologiques en corrosion, mais cette fois-ci en laboratoire dans des milieux contrôlés. Ceci permet, par exemple, de les marquer grâce aux isotopes (en remplaçant les agents à l’origine de la corrosion, l’oxygène 16 par de l’oxygène 18 ou l’hydrogène de l’eau par du deutérium) pour suivre avec précision le processus de corrosion. Ici encore, les savoirs faire du CEA sont utilisés pour détecter la migration de ces isotopes au sein de couche, notamment en utilisant la microsonde nucléaire.


Cet article est publié en partenariat avec le CEA qui présente la première édition numérique de son magazine Clefs, en ligne ici.

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