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Les organisations « libérées », qui responsabilisent les équipes, sont plus résistantes aux crises

La « libération » de l’entreprise, un antidote aux difficultés économiques ? Shutterstock

En ces temps de troubles où une crise sanitaire met à mal l’économie mondiale, les interrogations sur les modèles d’entreprises capables d’y survivre sont plus que jamais d’actualité. Le travail de recherche que nous avons réalisé pour l’ouvrage Management libéré (Éditions Dunod) met en exergue des invariants, des incontournables pour tout processus de « libération » s’inscrivant dans une performance durable.

Certaines étapes clés, méthodes ou outils semblent alors incontournables pour mener des processus de libération qui résistent aux crises. Grands groupes comme petites et moyennes entreprises (PME), les entreprises étudiées confirment d’ailleurs que les périodes de crise sont propices au changement, à l’innovation managériale, à la libération organisationnelle, à condition que l’on ne soit pas passif et dans l’action. Cette proactivité face à l’incertitude est source d’antifragilité, cette surprenante capacité à performer plus en temps de crise qu’en temps normal.

Le rôle fondamental du management

Le conférencier Isaac Getz invite à considérer la libération plus comme une « philosophie » qu’un modèle. Pourtant, si comme le soutient le spécialiste des réseaux sociaux, Clay Shirky, « lorsque vous adoptez un outil, vous adoptez aussi la philosophie du management qui lui est implicite », alors il va de soi de considérer que l’adoption d’une philosophie entraîne l’adoption d’outils qui lui sont implicites. Or, ces outils concrets sont jusqu’ici assez peu révélés.

Alors que, dans la vision radicale de l’influent consultant Tom Peters, la libération devait conduire à la suppression des lignes hiérarchiques, c’est paradoxalement sur les managers que repose le déploiement d’une culture managériale libérée propre à responsabiliser et rendre autonomes les travailleurs.

C’est donc bien la « philosophie » du management qu’il faut repenser : accepter de perdre le contrôle pour des bénéfices souvent non quantifiables, libérer la parole et la créativité des collaborateurs au risque qu’elle remette en question ses décisions, voire son propre rôle… Un positionnement quelque peu insécurisant a priori.

En effet, les leaders libérateurs ne sont pas toujours exclusivement les dirigeants des organisations libérées. Chez le spécialiste de l’aérospatiale Thales, Christian Bardot, alors responsable de l’activité avionique hélicoptères, a conduit un processus de libération au sein de sa business unit. L’avenir dira si celui-ci se déploiera dans le groupe par essaimage. Au sein de la société de conseil en ingénierie Extia (distinguée dans le palmarès Great Place to Work), la directrice des ressources humaines a mis en place une boucle vertueuse d’amélioration continue, fondée sur une vision partagée par tous, et sur la satisfaction et le bien-être des salariés en tant qu’indicateurs de performance privilégiés.

Ainsi, le processus de libération ne saurait fonctionner sans un leader inspirant et exemplaire, pas forcément dirigeant, qui incarne les principes de management libéré mis en place dans l’entreprise.

Trois principes

On peut définir trois grands principes managériaux qui doivent accompagner la « libération » de l’entreprise sans pour autant viser de “one best way” : définition des raisons d’être, droit à l’erreur et gestion des tensions.

Avant toute chose, il s’agit de définir la raison d’être de l’entreprise et la contribution de chaque service/département à sa réussite. En effet, derrière la philosophie de l’entreprise libérée, on retrouve toujours une organisation humaine, une « communauté de coopération » qui œuvre vers du « mieux » individuel et collectif. Décliner cette approche en missions pour chaque individu permet ainsi de donner du sens aux actions et de générer l’engagement.

Ensuite, mettre le bien-être des salariés au centre de la réflexion, voire les considérer comme des clients (comme le fait l’agence de conseil Primum Non Nocere), favorise la confiance et l’autonomisation. Ceci implique une grande bienveillance managériale ainsi qu’un droit à l’erreur favorable à la prise d’initiative. L’objet est ainsi de transformer de possibles tensions interpersonnelles cachées en tensions organisationnelles identifiées pour les débloquer.

Dans tous les cas, le processus ne peut être durablement porté que par un leader visionnaire sous peine de s’effondrer dès son départ de l’entreprise. En effet, rares sont les entreprises libérées qui survivent au départ de leur dirigeant libérateur.

Chez ESII, PME spécialisée dans la gestion d’accueil et de files d’attente, le déploiement d’une libération jugée rapidement trop rigide a conduit vers un processus de libération piloté en partie au sein d’instances collectives transversales, parfois statutaires, souveraines dans leur prise de décision collective. D’ailleurs, pour survivre aux départs en retraite en cours des deux fondateurs libérateurs, la PME est devenue une entreprise à mission, dont l’objet central est la libération, tout en organisant le transfert de propriété vers le collectif.

Gouvernance collective

L’étude de divers cas nous enseigne que la libération s’organise autour d’un principe de gouvernance collective qui peut prendre différentes formes : comité de pilotage dans la PME ESII, équipe en trinômes chez Aepsilon, groupe d’aide à la décision et réunions de gouvernance partagée chez Primum Non Nocere, ou encore gouvernance cellulaire chez la chaîne de restauration La Panière. Ces instances peuvent ainsi prendre tout type de décision, des plus opérationnelles aux plus stratégiques.

Management libéré. 7 entreprises dévoilent leurs méthodes : agilité, performance durable et antifragilité (Éditions Dunod).

Une crise peut devenir le déclencheur d’un processus de libération, comme chez Thales, car la remise en question qu’elle implique se mue parfois en une opportunité de transformation et simplification. Elle peut également faire émerger des dysfonctionnements latents qu’il devient urgent de résoudre. Dans ce cas, quand bien même cela ne se passe pas à l’échelle de l’entreprise dans sa globalité, mais à l’échelle d’un service, un état d’esprit entrepreneurial reste propice à la libération.

L’on peut citer encore l’exemple de ESII, qui malgré la crise sanitaire, a maintenu sa croissance et rempli son carnet de commandes. Elle a fait pivoter son offre pour développer des solutions Covid-19 sur mesure avec des grands comptes comme La Poste ou Carrefour, et globalement l’entreprise s’est renforcée. ESII est donc sans nul doute une entreprise antifragile, comme Vogo ou CIAM, c’est-à-dire une entreprise qui se développe plus vite au contact des crises qu’en leur absence. Et c’est aussi, résolument, un bel exemple de management libéré.

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