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Les plaintes pénales pour « Covid-19 » ont-elles un avenir ?

Une résidente de l'EHPAD Korian Vill'Alize à Thises, le 16 avril 2020. Des milliers de personnes ont perdu des proches durant la crise sanitaire et certaines demandent aujourd'hui des comptes. SEBASTIEN BOZON / AFP

La Cour de Justice de la République (CJR), compétente pour juger les crimes ou délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions, vient d’annoncer l’ouverture d’une enquête contre neuf ex-ministres y compris Edouard Phillipe et Olivier Véran.

Cette enquête s’inscrit dans la série de plaintes déposées dans le cadre de la gestion de la crise de Covid-19 par des particuliers et des collectifs depuis la mi-mars. Ainsi, au 25 juin, les magistrats du pôle santé auraient déjà reçu près de 75 plaintes, rapporte le site BFMTV.

Peu de temps auparavant, le 8 juin, le procureur de Paris avait annoncé le lancement d’une vaste enquête préliminaire concernant la gestion de la crise, afin de mettre en lumière « d’éventuelles infractions pénales des décideurs nationaux ».

Certains de ces décideurs, à l’instar d’Agnès Buzyn, ex-ministre de la santé, ont déjà été auditionnés par des commissions d’enquêtes dédiées, et nombreuses sont les familles qui attendent aujourd’hui des réponses.

Néanmoins, la voie pénale est-elle souhaitable ? Ne risque-t-elle pas de ralentir et engorger un système judiciaire déjà fortement éprouvé par la crise ?

Quels plaignants ? Quelles infractions ? Quels mis en cause ?

Le contentieux massif lié à la contamination et à l’exposition au virus émane essentiellement des familles des personnes placées en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). En effet, selon les chiffres du ministère de la Santé entre 30 et 50 % des décès liés à l’épidémie ont eu lieu dans ces établissements.

Nombreux sont aussi les salariés et syndicats, représentants de personnels soignants, scolaires ou plus généralement de citoyens, qui estiment être victimes d’une mauvaise gestion de la crise sanitaire.

Les plaintes déposées reposent essentiellement d’une part sur l’homicide involontaire en cas de décès, les blessures involontaires pour les personnes malades et d’autre part sur la mise en danger délibérée, l’abstention de porter secours et l’abstention volontaire de prendre les mesures permettant d’éviter un sinistre pour la critique de la gestion du risque épidémique.

Employeurs, supérieurs hiérarchiques, maires, préfets, hauts fonctionnaires et même Emmanuel Macron – qui bénéficie de l’immunité présidentielle – sont visés par ces plaintes.

Comprendre les plaintes

Sur quoi reposent ces plaintes et quel peut-être leur devenir ? Pour ce qui est des poursuites pour blessures et homicides involontaires, il faut opérer une distinction selon que les poursuites visent une personne morale ou une personne physique puisque, depuis la loi du 10 juillet 2000, le régime applicable est différent.

Pour les premières, la réforme n’a rien changé, une faute « simple » d’imprudence (qui se détermine en comparant le comportement visé avec celui qu’aurait adopté la personne normalement diligente) suffit à engager la responsabilité pénale. En revanche, pour les personnes physiques il convient de distinguer selon la nature du lien de causalité entre le comportement de l’agent et le préjudice subi par la victime puisqu’en découle la nature de la faute exigée.

En l’espèce, le lien de causalité retenu sera indirect car, comme le précise l’article 121-3 du code pénal, la personne poursuivie a « créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter », il faudra donc, pour entrer en voie de condamnation, relever l’existence d’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement (la faute délibérée) ou un comportement tellement dangereux pour autrui que ce danger ne pouvait être ignoré (faute caractérisée).

Or, en la matière, il ne semble exister aucune obligation de ce type et, sauf comportements très particuliers, la faute caractérisée semble tout aussi improbable.

Personnes morales et physiques

Le courrier envoyé aux parquets par la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice va en ce sens puisqu’il y ait demandé d’examiner très attentivement les recours à l’encontre des décideurs afin de ne pas paralyser leur action par la crainte de poursuites pénales.

La situation des personnes morales est différente puisqu’une faute simple d’imprudence suffit à retenir la responsabilité pénale.

Rappelons qu’aux termes de l’article 121-2 du code pénal, l’État n’est pas pénalement responsable et les collectivités territoriales ne le sont qu’à l’occasion d’activités qui auraient pu donner lieu à une délégation de service public ce qui écarte bon nombre de situations liées à la gestion de l’épidémie (« la crise des masques », mesures prises par les communes pour la réouverture des écoles…).

Lorsque la personne morale visée est potentiellement responsable, la juridiction doit relever l’existence de cette faute simple qui s’apparente à un comportement différent de celui qu’aurait eu la personne normalement diligente.

Or, l’appréciation de cette faute doit se faire au regard de la situation concrète (en tenant compte de la nature des missions ou des fonctions, des compétences ainsi que du pouvoir et des moyens). L’absence de connaissances scientifiques précises, de vaccin ou de traitements préventifs reconnus et la pénurie de certains matériels de protection (en particulier les masques) rendent difficile l’établissement d’une telle faute à l’encontre d’une personne physique telle qu’un employeur ou un directeur d’Ehpad.

Comportements et intentions

La mise en danger délibérée d’autrui peut sembler, dans une première approche, parfaitement adaptée. En effet, il s’agit pour l’agent d’adopter un comportement qui engendre un risque grave pour la santé ou la vie d’autrui. Il pourrait s’agir, par exemple, du fait de faire travailler un salarié au contact d’un public à risque sans aucune protection contre le virus.

L’agent est parfaitement conscient du risque qu’il crée, mais ne désire pas que le résultat dommageable survienne. Le législateur, pour éviter un usage excessif de ce délit, l’a entouré de certaines exigences.

Ainsi, le risque engendré doit être immédiat et grave (risque de mort ou de blessures entraînant mutilation ou infirmité).

Si les conditions relatives au risque créé peuvent être considérées comme remplies, il en va tout autrement de celle relative à la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité d’origine légale ou réglementaire. En effet, même si certaines juridictions avaient tenté de retenir cette infraction avant la création des délits de violation du confinement, il n’existe aucun texte qui puisse entrer dans cette catégorie en la matière puisque les textes que l’on pourrait invoquer, n’ont pas ce caractère « particulier », qui peut être traduit par précis, exigé par le texte.

Omission de porter secours

Concernant les délits d’abstention de porter secours et d’abstention volontaire de prendre les mesures permettant d’éviter un sinistre dangereux pour les personnes, la mise en œuvre judiciaire n’est guère plus certaine.

En effet, l’omission de porter secours vient réprimer le manquement à une obligation de charité envers celui qui est menacé par un danger réel et imminent. Le code pénal réprime l’insouciance et l’inaction par rapport à ce risque, mais n’exige pas plus que ce que les moyens de l’individu lui permette de faire (c’est ce qu’exprime l’adage selon lequel « à l’impossible nul n’est tenu »).

Ainsi, dans le cadre de reproches liés à une absence de mesures de protection au sein des Ehpad, le peu de connaissances précises sur les voies de contamination et l’absence ou l’insuffisance de matériels amèneront sans doute les juridictions à considérer que les personnes poursuivies n’ont pas failli à l’obligation légale de secours.

De plus, la Chambre criminelle vient de rappeler dans un arrêt récent que « la mauvaise appréciation du péril exclut la volonté de ne pas secourir la victime ».

L’autre délit, l’abstention volontaire de prendre les mesures permettant d’éviter un sinistre, n’a donné lieu qu’à très peu de décisions judiciaires. Néanmoins, les commentateurs du texte s’accordent à dire qu’il est fort proche de l’omission de porter secours. La différence essentielle étant ici la potentialité du danger. C’est donc ici encore le fait de n’avoir pas agi qui est réprimé plus que la médiocre qualité de l’intervention. Or, il semble difficile de soutenir que les personnes et institutions visées aient eu cette indifférence au risque et cette volonté affirmée de ne pas agir.

Quels buts recherchés ?

Un certain nombre de plaintes sont déposées afin de voir désigner un responsable, un coupable, au décès d’un être cher que l’on trouve inadmissible ou, à tout le moins, anormal.

Ces actions révèlent aussi la difficulté actuelle à accepter la fatalité de la mort y compris de personnes de grand âge ou à la santé très dégradée.

L’action pénale prend alors une fonction cathartique, une recherche encore plus présente chez les plaignants qui n’ont pas pu assister aux derniers instants ou voir la dépouille de leurs proches.

Pour d’autres plaignants, c’est la volonté de voir un préjudice indemnisé qui motive l’action. La voie pénale présente alors le double avantage de faciliter les choses puisque le parquet se chargera de réunir les éléments de culpabilité nécessaires pour fonder l’indemnisation et permettre la reconnaissance de la qualité de victime.

D’autres procédures, menées par des groupes militants, tels les syndicats, relèvent plus de positions de principe voire de postures idéologiques ou politiques. Enfin, certaines actions espèrent améliorer la gestion d’éventuelles crises sanitaires à venir.

Pourquoi faut-il éviter la voie pénale ?

Pourtant, malgré l’ouverture de ces champs, il nous semble que la voie pénale devrait être évitée.

La justice pénale doit déjà faire face à un engorgement d’affaires non traitées, du « hors Covid » durant la période de confinement, et une importante délinquance d’opportunité. Cette dernière a en effet prospéré (cybercriminalité en forte hausse, vols et trafics de matériel médical…), sans oublier les recours dans le cadre des infractions aux règles du confinement.

Mais surtout le risque de voir les attentes des plaignants déçues est grand en raison de la difficulté technique d’aboutir à des condamnations.

Cette déception, outre une importante perte de temps et d’énergie, est de nature à accentuer la perte de confiance en la justice, spécialement pénale et à alimenter la théorie du « tous pourris » à un moment où la confiance dans les institutions et les dirigeants est un élément indispensable pour endiguer les conséquences de la crise sanitaire.

Pour autant, cela ne signifie pas qu’il est impossible d’obtenir réparation des préjudices liés au virus, d’espérer que des leçons soient tirées pour l’avenir et encore moins, d’exprimer son désaccord avec la manière dont la crise a été gérée.

Les juridictions civiles et administratives peuvent être saisies pour obtenir l’indemnisation des préjudices causés par une personne privée pour les unes et par une personne publique pour les autres.

Le recours à un éventuel fonds d’indemnisation pourrait aider. Certes, une première proposition de loi au Sénat sur le sujet a été rejetée, mais il est possible que d’autres actions dans ce sens voient le jour.

Les commissions d’enquête parlementaires semblent enfin indispensables pour évaluer la gestion de la crise par les autorités, en tirer des leçons pour l’avenir et pour éventuellement donner des réponses aux familles.

Enfin, l’exercice du droit de vote constitue un moyen de sanctionner politiquement les possibles dysfonctionnements du système.

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