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Les policiers noirs ont les mêmes préjugés anti-Noirs que la police et la société américaines

Banderole portant la photo de Tyre Nichols et ses dates de vie
Tyre Nichols a été passé à tabac à Memphis par cinq policiers noirs le 7 janvier 2023. Il est mort de ses blessures trois jours plus tard. Lucy Garrett/Getty Images via AFP

Violemment interpellé à Memphis le 7 janvier pour conduite dangereuse par cinq policiers noirs de l’unité « SCORPION », depuis dissoute, Tyre Nichols, un Afro-Américain de 29 ans, est mort trois jours plus tard des suites de ses blessures.

Aux États-Unis, la police tue près de mille personnes par an. Les Noirs sont sur-représentés parmi les tués, et spécialement parmi les victimes d’interpellations à la brutalité injustifiée. Le nom de Tyre Nichols vient ainsi s’ajouter à ceux de Michael Brown, de Freddie Gray, de Breonna Taylor, de George Floyd ou de Jacob Blake, liste non exhaustive.


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Dans chacune de ces affaires, la question des préjugés des policiers impliqués (majoritairement blancs) à l’égard des citoyens noirs a été mise en avant, suscitant le grand mouvement de protestation ayant pris pour slogan « Black Lives Matter ». Mais le cas de Nichols est particulier en cela que les cinq policiers qui l’ont passé à tabac étaient tous eux-mêmes noirs. The Conversation a demandé à Rashad Shabazz, géographe et spécialiste en études afro-américaines, d’apporter son éclairage sur cette spécificité.

Comment expliquer l’acharnement des policiers dans l’affaire Nichols ?

Aux États-Unis, les structures chargées du maintien de l’ordre ont de tout temps considéré les Noirs américains comme des ennemis intérieurs.

Depuis les patrouilles dédiées à la surveillance des esclaves, que certains historiens considèrent comme l’une des premières formes de maintien de l’ordre, jusqu’à la mort de George Floyd, et maintenant celle de Tyre Nichols, les Noirs ont largement été perçus, selon la formule pudique du sociologue et militant des droits civiques W. E. B. Du Bois dans The Souls of Black Folk, comme un « problème ».

La société américaine part du principe que les Noirs sont plus susceptibles de tomber dans la criminalité que les autres groupes ethniques, ce qui nécessiterait, de la part de l’État et de ses représentants, mais aussi des simples citoyens, une vigilance accrue. Une perception qui s’est manifestée notamment dans le cas du meurtre d’Ahmaud Arbery, Afro-Américain tué par balles en 2020 par un policier à la retraite et son fils.

Cette vision des choses, profondément ancrée dans les esprits aux États-Unis, et qui se manifeste par le fait que les hommes noirs sont pris pour cible de façon disproportionnée par la police, n’épargne pas les consciences des populations noires. Si bien que même des policiers noirs peuvent avoir tendance à traiter les citoyens afro-américains avec une brutalité excessive.

La violence des policiers à l’égard de Tyre Nichols a-t-elle été motivée par des préjugés anti-Noirs ?

Il est difficile de comprendre ce qui a motivé les actes des policiers impliqués dans la mort de Nichols. Mais de nombreuses recherches suggèrent que les préjugés à l’égard des Noirs sont prégnants au sein de la police aux États-Unis.

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Les officiers noirs, en tant que membres d’un système institutionnellement raciste, en sont eux-mêmes affectés. Cela pourrait expliquer pourquoi les policiers noirs font preuve de plus de préjugés anti-Noirs que le reste de la population noire.

Pour comprendre ce phénomène, le sociologue et théoricien de la culture Stuart Hall, avait qualifié la couleur de peau de « message ». En fonction de la couleur de peau d’une personne, celle-ci est associée à une série de représentations et des stéréotypes. Les Noirs, aux États-Unis comme dans d’autres régions du monde, représentent, pour beaucoup, le danger, la menace et la criminalité. En conséquence, des institutions comme le système de maintien de l’ordre répondent à la menace qu’ils perçoivent en présence de populations noires par la hausse de la fréquence des contrôles, le harcèlement et la violence.

La surprise suscitée par la brutalisation d’un homme noir par cinq officiers de police eux-mêmes noirs souligne la compréhension limitée du racisme aux États-Unis.

Quelles peuvent être les conséquences de la mort de Tyre Nichols sur les appels à accroître la diversité ethnique au sein de la police ?

Depuis des années, des élus, des militants et des citoyens appellent à une réforme des services de police.

Nombreux sont ceux qui affirment que l’intégration d’une plus grande diversité ethnique dans les équipes de police contribuerait grandement à corriger le racisme institutionnel dans le système de justice pénale.

Ainsi, le rapport du Groupe de travail sur la police au XXIᵉ siècle, commandé par le président Barack Obama et publié en mai 2015, demandait aux institutions chargées de l’application de la loi de s’efforcer de recruter des effectifs diversifiés au niveau ethnique, mais aussi en fonction du sexe, de la langue, de l’expérience de vie ou encore de l’origine culturelle, afin d’améliorer la compréhension et l’efficacité.

Une étude récente a conclu que les policiers noirs et hispaniques procèdent à moins de contrôles routiers et font moins souvent usage de la force que leurs homologues blancs. Mais, dans le même temps, les policiers noirs vivent avec les mêmes stéréotypes considérant les Noirs comme des criminels en puissance et des menaces potentielles. Par conséquent, le simple fait d’avoir plus de policiers de couleur ne suffira pas à résoudre le problème des violences et du racisme dans la police.

L’impact de la vidéo sur la communauté afro-américaine

Au cours de la dernière décennie, les vidéos de personnes noires tuées par des policiers ont envahi les médias sociaux et les sites d’information. Pour certains, celles-ci ne font qu’amplifier les craintes des Noirs concernant leur sécurité et celle de leurs proches.

En effet, les meurtres perpétrés par la police sur des personnes noires non armées sont des événements psychologiquement traumatisants pour les Afro-Américains. Ces images devraient être un traumatisme pour l’ensemble des États-Unis. Mais si la couleur de peau de la victime est associée au danger et à la criminalité, qui aura de l’empathie pour les Tyre Nichols de ce monde ?

This article was originally published in English

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