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Les préoccupations économiques liées à la Covid-19 favorisent-elles le vote national-populiste ?

Marine Le Pen, cheffe de file du Rassemblement National, France
Les partis de droite radicale comme le RN de Marine Le Pen ont traditionnellement bénéficié politiquement des crises économiques. Ludovic MARIN / AFP

Les inquiétudes économiques sont au cœur de la vague de droite national-populiste qui touche de nombreux pays occidentaux depuis maintenant une quinzaine d’années.

L’essor de partis tels que le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen en France ou la Lega de Matteo Salvini en Italie repose sur la capacité de ces mouvements d’instrumentaliser les insécurités économiques créées par les crises financières, les inégalités et la mondialisation, en les articulant au rejet de l’immigration et des élites politiques « globalistes ».

Aux États-Unis, ces mêmes thèmes nationalistes et populistes ont joué un rôle essentiel dans le succès de Donald Trump.

Qu’en est-il des inquiétudes économiques produites par la pandémie actuelle de Covid-19 ? Peuvent-elles favoriser le vote pour les nationaux-populistes ?

Une enquête comparative inédite

Nous présentons ici les résultats d’une enquête comparative conduite en septembre dernier auprès d’échantillons nationaux représentatifs dans quatre pays européens (Allemagne, France, Italie et Suisse) ainsi qu’aux États-Unis.

Nous y avons mesuré le niveau des préoccupations socio-économiques liées à la pandémie de Covid-19, pour l’économie nationale et le chômage, ainsi que les opinions politiques et les intentions de vote.

Nos données montrent tout d’abord des degrés différents d’inquiétudes relatives aux conséquences économiques du coronavirus : sur une échelle allant de 1 à 7, ces inquiétudes sont particulièrement fortes en Italie (moyenne de 6,1), en France (5,6) et aux États-Unis (5,3), dans des pays sévèrement affectés par la pandémie.

Elles sont plus faibles en revanche en Allemagne ou en Suisse (4,6 dans les deux cas), deux pays encore relativement épargnés par la deuxième vague au moment de l’enquête (voir le graphique ci-dessous).

Échelle d’inquiétudes économiques relatives à la pandémie de Covid-19. Gilles Ivaldi, Oscar Mazzoleni, CC BY

Pas d’effet mécanique de la crise sanitaire sur le vote national-populiste

Au-delà des variations de contextes, nos données permettent d’évaluer l’impact spécifique de ces inquiétudes sur la probabilité individuelle de vote national-populiste dans chacun des pays.

On raisonne ici « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire en tenant compte du profil des électeurs en termes de genre, d’âge et de niveau de diplôme.

Le modèle prend également en compte les attitudes à l’égard de l’immigration, qui constituent traditionnellement un facteur déterminant du vote national-populiste et qui peuvent de ce fait agir fortement sur la propension des électeurs à se tourner vers un de ces partis.

Dans nos quatre pays européens, notre étude montre que les préoccupations économiques face à la pandémie de Covid-19 ont un effet positif sur la probabilité des électeurs de choisir le Rassemblement national en France, la Lega ou les Fratelli d’Italia en Italie, l’Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne ou l’Union démocratique du centre (UDC) en Suisse.

Il s’agit là de formations politiques bien [ implantées] dans leurs systèmes politiques respectifs.

Dans tous les cas, la probabilité de vote national-populiste augmente plus ou moins fortement avec le niveau d’inquiétude quant aux conséquences économiques de la crise sanitaire.

Des différences existent cependant, qui suggèrent qu’il n’existe pas d’effet mécanique ni uniforme de la crise sanitaire sur le vote national-populiste en Europe.

Effet des inquiétudes économiques relatives à la pandémie de Covid-19 sur la probabilité de vote national-populiste

France. Gilles Ivaldi, Oscar Mazzoleni, CC BY
Allemagne. Gilles Ivaldi, Oscar Mazzoleni, CC BY
Italie. Gilles Ivaldi, Oscar Mazzoleni, CC BY
Suisse. Gilles Ivaldi, Oscar Mazzoleni, CC BY
États-Unis. Gilles Ivaldi, Oscar Mazzoleni, CC BY

Tensions et colères

L’impact de la crise est le plus visible chez nos voisins italiens : la probabilité de voter pour la Ligue de Matteo Salvini ou pour les Fratelli d’Italia augmente de manière significative chez les électeurs qui se disent les plus inquiets des conséquences économiques de la pandémie.

Cette probabilité est particulièrement élevée chez ceux d’entre eux qui se situent sur la note 7 maximale sur l’échelle, dont on a vu plus haut qu’elle réunit une part très importante (42 %) de l’échantillon italien.

Les tensions et colères qui se font jour face aux nouvelles restrictions imposées par le gouvernement pourraient bien amplifier ce phénomène de soutien à l’opposition national-populiste.

En Suisse, l’UDC semble également en mesure de profiter des préoccupations économiques relatives à la crise sanitaire : la probabilité de vote pour ce parti augmente là aussi de manière significative avec le niveau d’inquiétude.

Matteo Salvini (Ligue Nord, Italie) lors d’une manifestation en juin 2020
Matteo Salvini (Ligue Nord, Italie) lors d’une manifestation en juin 2020 après des tensions dans un quartier de Naples où un cluster de Covid-19 ait été identifié dans une communauté de travailleurs bulgares. Filippo Monteforte/AFP

Contrairement à l’Italie où les deux partis national-populistes incarnent actuellement les principales forces d’opposition au gouvernement de Giuseppe Conte, le cas suisse pourrait éclairer une dynamique de soutien à un parti national-populiste au pouvoir – sous réserve toutefois des effets de la deuxième vague de coronavirus particulièrement sévère depuis octobre. Il faudra également mesurer à terme l’effet des positions prises par l’UDC contre le confinement.

En France et en Allemagne, enfin, l’effet de la pandémie demeure encore très limité : dans les deux cas, les électeurs les plus inquiets n’apparaissent pas, pour l’heure, beaucoup plus enclins à se tourner vers le RN de Marine Le Pen ou l’AfD.

Cette relative faiblesse de l’impact des préoccupations économiques liées à la pandémie témoigne pour partie de l’échec, pour l’heure, de ces deux formations à « instrumentaliser » la crise sanitaire en dépit de leurs critiques pourtant virulentes de l’action d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel.

Donald Trump ou la sanction du coronavirus ?

La situation apparaît très différente de l’autre côté de l’Atlantique. Les inquiétudes économiques liées à la crise sanitaire agissent ici très fortement à la baisse sur les intentions de vote en faveur de Donald Trump, telles que mesurées en septembre dernier à quelques semaines du scrutin présidentiel. Cet effet est substantiel et il touche toutes les catégories sociales et tous les groupes raciaux. En termes politiques, c’est chez les électeurs républicains modérés et chez les indépendants que cet impact est le plus marqué, les plus conservateurs demeurant quant à eux fidèles au candidat républicain, quel que soit par ailleurs leur niveau d’inquiétude face à la crise.

Le Président Donald Trump rentre à la Maison Blanche le 5 octobre 2020 après son hospitalisation de trois jours suite à son infection à la Covid-19. Win Mcnamee/AFP

Nos données suggèrent donc que le lien entre crise sanitaire, impact économique et vote national-populiste reste complexe et qu’il est surtout variable selon les acteurs et les contextes.

Aux États-Unis, les inquiétudes économiques relatives à la pandémie de Covid-19 ont pu constituer le talon d’Achille du national-populisme trumpiste au pouvoir : les résultats de notre enquête vont dans ce sens.

En Europe, en revanche, l’effet de la crise ne semble pas alimenter pour l’heure de manière systématique et univoque le vote pour les partis national-populistes.

Gardons-nous cependant de conclure trop vite à l’échec des nationaux-populistes à exploiter la pandémie : de par ses répercussions économiques et sociales à venir, cette dernière pourrait déstabiliser un peu plus des sociétés occidentales déjà très fragilisées par la crise de 2008, ouvrant la voie à de nouveaux succès populistes une fois l’urgence de la crise sanitaire passée.


Une version longue de cet article a été publiée conjointement sur le site de la Fondation de Jean Jaurès

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