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Les professeurs sont-ils prêts à consentir à l’autonomie ?

Entrée d'un collège (Collège Picasso, Vallauris). Béatrice Faveur, CC BY-NC-ND

Si Emmanuel Macron a promis de renforcer l’autonomie des établissements scolaires, il entretient un certain flou sur l’application de cette mesure. Flou que ne dissipe pas le nouveau ministre de l’Éducation nationale lorsqu’il proclame :

« Je ne donnerai pas dans la verticalité, dans l’injonction. Je serai un ministre qui pousse aux solutions de terrain. Mon message aux enseignants, c’est qu’il n’y a pas de chape de plomb : qu’ils se sentent libres, qu’ils innovent, qu’ils créent… ».

En effet, qui mettra en œuvre ces marges de liberté nouvelle sur le terrain ? L’objectif est-il toujours de donner les moyens aux chefs d’établissement de modifier la culture professionnelle des enseignants en leur ajoutant des tâches chronophages ? Cette prudence peut s’expliquer par la surconflictualité enseignante, ce qui pose la question de l’avis des premiers intéressés.

Sont-ils prêts à accepter une moindre protection statutaire, une décentralisation dans l’éducation ? Et dans ce cas, optent-ils pour l’autonomie autogestionnaire ou managériale (cf ma typologie des conceptions de la gestion des établissements) ? Pour apprécier leur opinion, je dispose de plusieurs sondages dont l’échantillon est supérieur à 500 professeurs du second degré et des interviews recueillies par l’équipe de recherche Militens.

Deux points de vue typiques

Les professeurs sont partagés entre deux attitudes. Mara Goyet, professeure d’histoire-géographie en collège et écrivain, illustre bien la mentalité dominante :

« L’autonomie des établissements est une idée qui m’a toujours plu. Si je suis tout à fait honnête, c’est parce que cette autonomie, j’imagine qu’elle sera la mienne (mais collectivement) et que j’en ferais un merveilleux usage. Usage que j’imposerais évidemment aux autres, qui subiraient l’hétéronomie de mon autonomie. À coup sûr, quelques-uns essaieraient d’imposer aussi leur autonomie. Il y aurait des guerres d’autonomie terribles et certains seraient vite plus autonomes que les autres. Le chef d’établissement, au nom de son autonomie propre et supérieure, trancherait. On n’aurait pas de mots assez durs pour critiquer son autonomie fasciste. »

« Ne pas oublier que sur le terrain, ça ne se passe pas comme sur le papier. Et qu’un établissement ressemble plus à un village gaulois imaginé par Goscinny qu’à un open space corporate métallisé] »

Mickaël, 44 ans, professeur d’histoire en lycée, non syndiqué, interviewé par Camille Giraudon, est représentatif de ceux qui trouvent les réformes « intelligentes » :

« Un exercice sur la prise de notes, les gamins, ça les fait pas rêver. Tandis que si tu leur dis : OK. Cette semaine on la banalise (…) là, tu peux impliquer les gamins. »

« Cette histoire d’autonomie des établissements, ça fait flipper tout le monde, parce que finalement ça veut dire quoi ? Qui va décider ? Puisque ce n’est plus national, parce que ce n’est pas une règle qui vient d’en haut. Si nous, on peut faire des trucs, bah comment je me positionne, moi ? Est-ce que je suis obligé de le faire, ou pas ? Et si je ne le fais pas, et que quelqu’un d’autre le fait, ça veut dire que lui, il se met en avant, c’est pour se faire bien noter ? »

Une notion clivante

Deux sondages IFOP testent la notion d’autonomie (2007 et 2012), un autre de 2017 précise « en termes de gestion pédagogique », ce qui est plus populaire (car il n’est pas question de toucher au statut des enseignants). Même si les formulations ne sont pas identiques, ces trois sondages permettent de saisir une évolution en dents de scie.

Figure 1.

On constate une polarisation des professeurs, cette proposition clive, bien qu’elle corresponde à un certain air du temps, notamment par son aspect pragmatique. L’argument de la souplesse porte, mais il est contré par les campagnes des syndicats réticents à l’autonomie au nom de l’égalité, du service public, du statut. Ceci renforce l’influence du contexte, démontrée par les fortes variations (d’un tiers des professeurs favorables à l’autonomie à la moitié en 5 ans seulement).

Ainsi, le quinquennat de Nicolas Sarkozy, perçu comme une tentative de mise en pratique de l’autonomie managériale, aboutit à une chute de popularité de la notion entre 2007-2012. Cet élément politique est confirmé par la figure 2 :

Figure 2.

L’attraction de l’autonomie est corrélée à un positionnement à droite. Seule nuance, actuellement, le centre est divisé : les électeurs du MoDem sont réticents (38 %), conformément à l’option « républicaine » de François Bayrou, tandis que les électeurs d’Emmanuel Macron l’approuvent largement, à 69 %. Le programme scolaire d’En marche a donc rencontré un public enseignant.

L’impact des types d’établissements et des cultures professionnelles

Selon les établissements, l’autonomie est une réalité plutôt tangible ou au contraire une question théorique. Ce vécu influe sur l’image de cette notion, même si les enseignants ne perçoivent pas forcément le basculement qu’impliquent pour eux les projets de redéfinition de leur métier.

Ainsi, la notion est plébiscitée par les enseignants du secteur privé (figure 2), véritable laboratoire des réformes éducatives actuelles (le chef d’établissement y joue un rôle central, il recrute les enseignants, qui travaillent dans un esprit communautaire. En lycée professionnel (figure 1) : l’échantillon est faible, mais le soutien relatif à l’idée d’autonomie est congruent avec la culture professionnelle. Comme en BTS, les enseignants en LP sont amenés à travailler avec leur environnement économique, à nouer des partenariats pour leurs élèves. L’échelon local revêt pour eux une importance certaine.

Le soutien à l’autonomie est aussi surreprésenté chez les jeunes professeurs et les professeurs de collège. De nombreux petits collèges accueillent de jeunes enseignants et ne connaissent pas de vie syndicale. Leur univers est marqué par la sociabilité enseignante et le rôle du chef d’établissement, de plus le principe d’autonomie est promu dans leur formation professionnelle (les ESPE ont été créées en 2013).

Mais ce vécu peut jouer dans l’autre sens. En lycée, l’adhésion à l’autonomie n’a pas remonté depuis le creux de 2012, ce qui correspond à la mise en place de la réforme Chatel. Dès lors, le quart des heures de cours est affecté localement, par le chef d’établissement en pratique. Il est possible que l’autonomie ait généré des effets pervers, comme la concurrence entre équipes disciplinaires pour l’allocation des ressources ou encore le manque de cadrage de l’accompagnement personnalisé.

Comment expliquer qu’un vécu identique, marqué par le renforcement de l’autonomie, aboutisse à deux réactions diamétralement opposées ? L’élément décisif me semble la taille des établissements : les lycées comptent en moyenne plus de cent enseignants, ce qui dessert le travail collectif. Ils comptent souvent des militants syndicaux qui font contrepoids au chef d’établissement.

Paradoxalement, dans le même sondage (IFOP 2017), on trouve 51 % de professeurs en collège favorables à l’autonomie pédagogique, mais 85 % hostiles à la réforme de Najat Vallaud Belkacem, qui a pourtant accru cette autonomie. Le récent décret de Jean‑Michel Blanquer correspond à cette combinaison. Il faut donc dépasser les représentations globales, et tester les opinions des professeurs sur des mesures précises.

Quelle autonomie pédagogique ?

Figure 3.

La définition locale des horaires a été testée dans des sondages CSA en 2008, 2011 et 2014. Ce dispositif est essentiel pour l’autonomie pédagogique des établissements, puisqu’il permet la mise en place de semaines banalisées, d’enseignements en petits groupes, interdisciplinaires, sur projets… Mais il complexifie l’organisation de l’enseignement en multipliant les cours « en barrettes » (c.a.d. un créneau horaire sur lequel sont obligatoirement positionnés plusieurs enseignants), ce qui pose un problème pour les emplois du temps. La souplesse pour les élèves rigidifie donc les conditions de travail des professeurs.

Cela dit, comme les réformateurs considèrent que les professeurs devraient rester toute la semaine dans leur établissement et y accomplir leurs tâches de correction des copies et de préparation des cours, la notion même d’un emploi du temps calqué sur les heures de cours perdrait de son sens.

Sur le plan syndical, les résultats sont cohérents avec les positions des organisations : les proches du syndicat majoritaire, le SNES FSU sont plus hostiles (– 14 points par rapport à la moyenne en 2014) et ceux du SGEN-CFDT beaucoup plus favorables (+ 22 points).

Si la popularité de la définition locale des horaires est un peu plus grande que celle du principe d’autonomie, c’est l’inverse pour les femmes, en raison de l’incidence sur les emplois du temps. Avec la nouvelle norme présentéiste, les mères peuvent moins facilement concilier travail et vie de famille.

Un autre indicateur en atteste : 49 % des femmes refusent tout allongement du temps de présence obligatoire dans l’établissement, même avec des contreparties, contre 32 % des hommes (CSA, 2011). Les jeunes sont eux de plus en plus favorables à cette idée, ce qui s’explique peut-être par leur socialisation précédemment évoquée.

La question testée reste floue sur les modalités de décision, point décisif pour distinguer les adeptes de l’autogestion ou du management. Or, les sondages CSA de 2011 et 2014 ont également interrogé les professeurs en précisant cette fois que la définition des horaires serait opérée par la direction.

Figure 4.

L’impact de cette indication est spectaculaire, le taux d’approbation est divisé par 2 en 2014. La percée de la notion d’autonomie perceptible chez les jeunes enseignants de collège est alors infirmée. Globalement, l’autonomie pédagogique dirigée par le chef d’établissement recule même de 6 points en seulement trois ans. Le débat sur l’autonomie laisse donc apparaître un enjeu majeur : les relations entre professeurs et chefs d’établissement, objet de l’article suivant.

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