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Les projets d’agriculture urbaine peuvent-ils être viables ?

Dans le container aménagé de la startup Agricool qui produit des fraises. Compte Instagram Agricool

Si l’agriculture en milieu urbain a toujours existé, son essor et son engouement actuels sont mondiaux, et le territoire français n’est pas en reste. Les urbains attendent aujourd’hui une production agricole locale respectueuse de l’environnement et de la santé humaine, ce à quoi cette agriculture se propose de répondre.

Le « visage » de l’agriculture urbaine apparaît complexe. Celle-ci possède en effet des caractéristiques très variées, que ce soit en termes de localisation (en pied d’immeuble, sur les toits, dans les parkings désaffectés, etc.), de type de production (culture végétale ou élevage de petits animaux), de support de culture (pleine terre, substrat, hydroponie), de l’activité (production et commercialisation ou services culturels ou évènementiels, etc.), de sa gouvernance impliquant des acteurs très variés (associations citoyennes, agriculteurs, collectivités, architecte, promoteurs, etc.) ou encore de sa raison économique.

Nous allons nous intéresser dans cet article à l’agriculture urbaine sous l’angle économique, en distinguant deux catégories : les lieux de production non marchands (jardins familiaux ou partagés, dits jardins collectifs ou communautaires) ; les fermes marchandes dont l’objectif est de produire et commercialiser leurs productions ou leurs services de façon rentable.

L’agriculture urbaine non marchande, un fort enjeu social

En France, depuis les années 2000, les espaces urbains publics (pieds des arbres, trottoirs, interstices, dents creuses, etc.) ont été progressivement « colonisés » par des cultures de légumes et/ou de fleurs, réalisées sous l’impulsion de citoyens et d’associations de quartiers, de municipalités (Paris et le permis de végétaliser) ou encore d’associations internationales telles les Incroyables Comestibles.

Les enjeux ne sont ici pas économiques ; ils relèvent plutôt d’un mouvement à visée sociale (mettre de la nourriture à partager ou accessible à tous), éducative et sanitaire pour reconnecter les citadins à la saisonnalité de la production de leurs aliments. Une production alimentaire vivrière n’est pas attendue, même si la culture de végétaux comestibles dans les espaces privés (jardins, balcons, terrasses) se développe fortement.

Une autre forme, représentée par les jardins collectifs (jardins partagés et jardins familiaux), assure des productions régulières et possède une gouvernance plus organisée. Les objectifs sont également non marchands, les productions de légumes et/ou de petits fruits ou de miel étant destinées aux jardiniers ou aux bénévoles.

Les jardins familiaux, descendants des jardins ouvriers de l’abbé Lemire, comportent des parcelles individuelles pouvant aller de 40 m2 à quelques centaines de m2, alors que les jardins partagés occupent des interstices dans les villes, avec des parcelles le plus fréquemment communes de quelques dizaines de m2.

Les jardins partagés apparaissent dans les années 2000, portés par des associations de quartiers et accompagnés par les collectivités qui permettent l’occupation des espaces publics pour du jardinage. Quelques subventions permettant l’achat d’outils ou de semences ou de plants leur sont octroyées en échange de services tels que l’organisation de visites pour les écoles, la participation à des évènements promouvant le zéro déchet, une meilleure alimentation, etc.

Le nombre de jardins partagés est aujourd’hui en pleine croissance en France : d’une poignée dans les années 2000, on en compte plus de 400, dix ans plus tard. Et ce chiffre ne cesse de croître. Pour la seule métropole de Bordeaux, on en compte plus de 150, et 255 en Île-de-France en 2018 alors qu’ils étaient inexistants en 2000.

Concernant les jardins familiaux, bien que l’engouement soit là, leur croissance est bien moindre, le foncier nécessaire étant plus important. Deux associations nationales Jardinot et la FNJF gèrent respectivement pour l’une 75 centres de jardins familiaux (avec environ 100 parcelles pour chaque centre) sur le territoire national et pour l’autre plus de trois mille parcelles en région francilienne.

Les bienfaits de ces formes d’agriculture pour les urbains (contact physique avec la nature, lutte contre le stress, alimentation saine, développement des relations sociales avec les autres jardiniers, insertion) sont reconnus depuis longtemps. L’investissement des municipalités pour créer ces jardins étant peu onéreux (de 15 à 500 euros par m2), leur entretien et exploitation revenant aux jardiniers, leur existence et pérennité sont essentiellement fragilisées par la pression sur le foncier.

Car la démographie des villes ne cesse de croître, entraînant spéculation et compétition entre les usages habitat et jardinage collectif, et ceci malgré une réglementation protectrice due notamment à différentes lois (du 26 juillet 1952, 10 novembre 1976 et la proposition de loi du 10 juillet faite par le Sénat 2002 favorisant la création de jardins. Ces dernières accordent aux sociétés d’aménagement foncier

et d’établissement rural (Safer) et aux collectivités locales le droit de préemption pour acquérir et aménager ces jardins, tout en permettant aux associations expropriées d’exiger la mise à disposition d’un terrain équivalent.

Une centaine d’entreprises porteuses de valeurs

Les formes d’agriculture urbaine évoquées jusqu’à présent ont des visées essentiellement sociales, leur production alimentaire n’étant pas vendue – même si les jardiniers y trouvent « une nourriture saine et de qualité qu’ils n’auraient pas les moyens d’acheter ».

En parallèle se développent en ville des projets de fermes urbaines à visée marchande, revendiquant les mêmes externalités positives sur le plan environnemental, social, sanitaire ou éducatif que leurs cousines à but non lucratif. L’apparition de ces nouvelles structures professionnelles, start-up, TPE ou entreprise de plus grande taille impliquent de nombreux changements et transitions de la production à l’insertion dans la ville, de nombreux acteurs – des architectes, des urbanistes, des paysagistes, des collectivités, des scientifiques, etc.

On dénombre ainsi une centaine d’entreprises d’agriculture urbaine en France, dont la plupart sont fédérées au sein de l’AFAUP. La région parisienne est actuellement la plus dynamique, sous l’impulsion sans aucun doute de l’opération « Parisculteurs », mais de nombreuses municipalités se mobilisent.

Ces fermes urbaines marchandes d’un genre nouveau occupent des petites surfaces, de quelques centaines à quelques milliers de m2. Quel que soit leur statut juridique, elles ont une vocation véritablement entrepreneuriale et visent une production de biens (aliments, équipement agricole) et/ou de services leur assurant viabilité et compétitivité. Ces nouvelles fermes productives sont portées très souvent par des personnes non issues du monde agricole, en reconversion ou ayant suivi des formations supérieures en management.

Indépendamment de leur lieu d’implantation (friches, toit, etc.), ces organisations productives et marchandes utilisent des techniques très variées. Il y a celles que l’on qualifie de low-tech : elles cultivent en pleine terre, dans des bacs ou sur substrat, toujours en plein air ou sous abri simple (Veni-verdi, Le Paysan urbain, Cycloponics, Mugo, Terreauciel, Topager, etc.).

Viennent ensuite les fermes high-tech : on les trouve en container et utilisant la lumière artificielle (Agricool, Hydroponic, Agriloops), à la verticale (FUL) et parfois sur des murs composés de matériaux recyclés (Sous les fraises). Elles peuvent recourir à des technologies comme l’hydroponie ou l’aéroponie (Agripolis, Aéromates, Refarmers, Les Sourciers) en y associant des technologies « connectées » dans l’aquaponie, par exemple (AMP, L’Eau à la bouche, Urbanleaf) pour contrôler précisément les milieux de culture.

À cela s’ajoutent d’autres types d’acteurs : fabricants de compost à partir de déchets organiques urbains des ménages et des restaurateurs (les Alchimistes, Moulinot Compost, les Detritivores, etc.), fournisseurs de plants et de semences (bio ou paysannes).

Suivant la technologie utilisée ou la surface (toit, dalles, pied d’immeuble), l’installation de ces fermes nécessite tout d’abord de passer la barrière juridique spécifique au foncier urbain. Il faut ensuite mobiliser des investissements importants – de quelques dizaines de milliers d’euros à plusieurs centaines de milliers d’euros, voire plusieurs millions pour des serres verticales high-tech (comme à Romainville) ou sur les toits (Lufa Farm à Montréal) avant d’avoir la première récolte.

De nouveaux modèles économiques

Pour être viables économiquement, ces organisations marchandes inventent de nouveaux modèles économiques.

On constate que les « agriculteurs urbains » (sachant que ce statut n’existe toujours pas) ne sont pas seulement des agriculteurs. En plus d’une production alimentaire, les activités recensées dans ce secteur sont multiples : vente d’équipements agricoles, services d’installation et d’entretien de fermes urbaines, formation au jardinage ou aux nouvelles pratiques au sein des entreprises, animation d’ateliers pédagogiques et thérapeutiques, etc.

Selon notre enquête réalisée en 2017, dont les résultats seront publiés prochainement, sur 26 organisations marchandes, 64 % produisent et vendent des produits alimentaires, 20 % des équipements et 16 % créent et commercialisent des services. Cependant, seulement 24 % d’entre elles ont une seule activité (4 produisent et vendent des légumes et 2 vendent des services), les 76 % restants développent un modèle hybride de pluriactivités entre production et services.

La seule vente de leur production ne suffit pas à rendre leur entreprise rentable par manque de volume, les surfaces exploitées étant faibles et les pratiques culturales n’ayant pas encore atteint leur taux maximum de productivité.

Si le marché pour des produits locaux et sans pesticides de synthèse est là, selon une étude de la Fondation Carrasso, 70 % des Français déclarent favoriser l’achat de produits locaux, le prix reste un handicap pour bon nombre. C’est notamment pour cela que les productions alimentaires de l’agriculture urbaine sont souvent à forte valeur ajoutée, s’adressant à des clients à haut pouvoir d’achat et des restaurateurs en quête de saveurs spécifiques.

Le champ des possibles

Le jeune secteur économique de l’agriculture urbaine doit trouver ses propres modes de fonctionnement. Dans la littérature scientifique, on trouve peu de données concernant les facteurs de réussite – seuls 4 à 5 modèles économiques étant identifiés. Mais il y a d’autres possibles, comme ceux de l’économie circulaire ou de la mise en réseau, que les agriculteurs urbains ne manquent pas de mettre en œuvre.

Certaines organisations marchandes sont viables aujourd’hui, d’autres ont de fortes chances de réussite. Le succès passe par une multiplicité de facteurs à prendre en compte : vision de l’entrepreneur, compétences et valeurs de l’équipe, capacité à mobiliser un écosystème et à rendre des services à la ville (réduire les îlots de chaleur par exemple) et à l’ensemble des urbains (insertion, alimentation saine et accessible, etc.).

La réussite d’un tel projet dépend également de la capacité à créer des partenariats, avec la formation et la recherche notamment ; et à chercher des soutiens du côté des municipalités (pour un accès à un moindre coût des surfaces) ou des promoteurs immobiliers, qui peuvent devenir des partenaires apportant fonciers et réseaux de clients. La réussite vient aussi du rapprochement avec d’autres activités locales – restauration, fabricant de boissons, apiculteurs, etc. – et de partage d’expériences et des pratiques.

Comme toute autre entreprise, les organisations marchandes de l’agriculture urbaine ont toutes les chances de réussite si elles prennent en compte la réalité des conditions de production, de commercialisation et savent mettre en adéquation les attentes du marché avec les valeurs qu’elles portent. Dans ces conditions, elles ont toute leur place en milieu urbain.

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