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Les quatre nouveaux piliers de la politique économique face aux crises énergétique et climatique

L'échec de la COP25, en décembre dernier à Madrid, a une nouvelle fois souligné l'urgence de repenser les moyens de lutter contre l’emballement climatique. Oscar Del Pozo / AFP

Le monde va aborder plusieurs risques de crise en 2020 ou 2021 au plus tard. D’abord, un risque de récession et de crise financière avec un ralentissement économique confirmé, dans un contexte d’endettement sans précédent (plus de trois années de PIB) et de pénurie de pétrole annoncée.

Ensuite, un choc pétrolier imminent puisque, pour la première fois dans son histoire, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) évoque un risque d’oil crunch avec le franchissement du « pic du pétrole » prévu entre 2020 et 2025, pic au-delà duquel la production d’or noir va décroître irrémédiablement.

Chaque année, la demande augmente d’un million de barils-jour alors que la déplétion, qui désigne la diminution des réserves de pétrole et hydrocarbures, atteint les 2 millions de barils ; il faudra donc extraire des réserves mondiales l’équivalent de la production de l’Arabie saoudite tous les trois ans ! Cette tâche acrobatique est menacée par l’absence de nouvelles découvertes et la fragilité financière des pétroles de schiste américains.

Consommation mondiale de pétrole d’ici à 2024. Connaissance des Énergies, d’après AIE

Enfin, une crise climatique avec l’échec retentissant de la conférence de Madrid sur le climat qui laisse pendant le défi énergétique : réduire notre consommation d’énergies fossiles pour empêcher l’emballement climatique. Avec un inévitable adieu à la croissance !

Un carré de sobriété

Ces défis appellent des changements radicaux de notre modèle de société et de notre pensée économique. D’autant plus que la théorie de « l’effondrement » nous rappelle, sous la plume de plusieurs auteurs, à l’image de l’ancien député écologiste Yves Cochet, l’avertissement du célèbre rapport Meadows de 1972 (du Massachusetts Institute of Technology pour le Club de Rome) sur « les limites de la croissance » dont la réactualisation, en 2012, par le Smithsonian Institution de Washington a malheureusement montré toute la pertinence prédictive.

Prêt pour la fin du monde, Yves Cochet nous fait visiter sa maison (Brut., juillet 2019).

Le rapport Meadows est un modèle prévisionnel biophysique qui prévoit un effondrement général de la production et de la population mondiale dans le courant de la décennie 2020 (scénario principal dit business as usual) du fait de l’épuisement des ressources énergétiques (pétrole essentiellement) et de la pollution. Il est à la base de la collapsologie.

Présentation du rapport « Meadows » (UVED, 2016).

Rien n’est fatal pour autant car la mobilisation collective et l’élan donné aux technologies peuvent encore changer la donne. Les bases de la nouvelle politique économique à mener face aux défis énergétiques et climatiques pourraient être représentées par un « carré » de sobriété et de solidarité, dont chaque pilier soutiendrait fermement les trois autres.

Il faut d’abord confier à l’Organisation des Nations unies (ONU) une délégation de souveraineté (premier pilier) pour mettre en place un prix mondial du carbone comme demandé, depuis 2015, par le prix Nobel Jean Tirole.

Ce prix doit se situer autour de 50 euros la tonne et s’appuyer sur la généralisation des permis d’émission, pays par pays, secteur économique par secteur économique. Le prix mondial du carbone devra faire l’objet d’une progression fixée à l’avance jusqu’en 2025 pour orienter l’économie.

Soutenir le pouvoir d’achat

La séquence des « gilets jaunes » a révélé que, pour les particuliers, la taxe carbone pouvait s’avérer socialement dangereuse. Cette piste reste d’autant plus à écarter que le soutien au pouvoir d’achat des salariés constitue le deuxième pilier de la nouvelle politique économique à déployer.


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Dans la mesure où la taxe carbone imposée à’l’économie risque également de se répercuter sur les particuliers, il s’agirait donc, pour éviter de dégrader la compétitivité des entreprises, de s’intéresser à d’autres leviers : l’approfondissement de l’intéressement et de la participation, le développement de l’actionnariat salarié, ou encore, comme suggérés par l’essayiste Alain Minc ou l’économiste Patrick Artus. Ces mesures permettraient un partage plus équilibré de la valeur ajoutée qui corrigerait les déséquilibres observés ces 30 dernières années. Cela redonnera goût au travail.

L’économiste Michel Aglietta. Capture d’écran Xerfi canal

Ce dispositif devrait être complété par une « monnaie-carbone » récompensant les innovations, les investissements et les procédés permettant d’économiser le CO2, comme suggéré par l’économiste Michel Aglietta.

À titre d’illustration, une opération de « monnaie hélicoptère » financée par la Banque centrale européenne (BCE) pourrait être envisagée. Cette émission de monnaie gratuite et sans contrepartie, théorisée par l’économiste libéral Milton Friedman dès 1969, pourrait ainsi inspirer un grand mouvement d’innovation et d’investissement anti-carbone.

Profiter des taux d’intérêt bas

Le troisième pilier passe par la réduction des inégalités ; l’échelle des rémunérations de 1 à 500 actuellement en cours dans les grandes multinationales est incompatible avec la sobriété et la solidarité qui s’impose désormais à l’humanité.

C’est incontestablement le « côté » le plus difficile à construire. Sans tomber dans l’utopie, il faut là aussi s’accorder au niveau des pays du G20 ou a minima au niveau des pays les plus importants. Il faudrait « écrêter » les revenus à partir d’un certain montant (encore à définir !) et affecter le produit de cette taxe au financement des infrastructures anti-réchauffement. Cela aurait aussi pour vertu de contribuer à stimuler l’activité.

Enfin, comme nous l’avons suggéré dans un article publié sur le Cercle des Échos, il faut profiter des taux d’intérêt durablement bas pour relancer l’investissement public autour de grandes infrastructures anti-carbone (quatrième pilier). Il est en effet maintenant probable que les taux d’intérêt ne remonteront jamais en raison de la forte « descente énergétique » à laquelle, libres ou contraints par le climat, nous allons devoir nous astreindre.

Si l’on suit les recommandations de Jean‑Marc Jancovici, président du Shift Project pour la transition énergétique, nous pouvons identifier quatre principales pistes de relance :

  • la relance du projet de réacteur nucléaire de quatrième génération (Astrid) imprudemment abandonné par le gouvernement français et qui pourrait faire l’objet d’une coopération avec plusieurs pays européens (Royaume-Uni, Pays-Bas, pays scandinaves) ; sans un nucléaire de pointe, la France et l’Europe ne pourront faire face au déclin du pétrole.

  • L’autonomie énergétique des bâtiments publics qui sera un levier pour la rénovation de l’ensemble des logements.

  • La reconversion de l’industrie automobile vers l’hybride, l’électrique, l’hydrogène ; la diminution très rapide du coût des énergies renouvelables (division par 10 en 10 ans du coût de l’électricité photovoltaïque !) rend possible l’émergence d’un « hydrogène vert » moins cher que le pétrole.

  • La reconversion des lignes aériennes intérieures vers le chemin de fer.

Il n’est plus possible d’attendre car le réchauffement climatique et la déplétion pétrolière ne sont pas des phénomènes linéaires mais systémiques. Le temps nous est compté.

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