Les causes du burn-out sont désormais en partie connues. Face aux difficultés de l’hôpital, les internes sont en première ligne. Une étude s’est intéressée aux stratégies déployées par ceux qui y échappent. Quatre stratégies génériques, aussi inattendues que parfois opposées, sont identifiées par les autrices de cette étude.
Alors que les internes en médecine sont les piliers des centres hospitaliers universitaires (CHU), environ 1 000 jeunes médecins manquent à l’appel en cette rentrée. En cause, la réforme du deuxième cycle de leurs études. Ce déclin risque de perturber considérablement le système de santé français déjà sous pression.
Ce déficit numérique n’est pas la seule difficulté des internes en médecine. Leur position se situe au cœur de tensions hospitalières, manageriales et personnelles. À la fois médecins et étudiants, ils combinent le travail d’un praticien et d’un apprenant tout en ayant d’importantes responsabilités auprès des patients.
Une semaine de 59 heures !
Sur le terrain, cette population décrit une charge de travail importante. La dernière étude réalisée par l’InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI) démontre qu’ils travaillent en moyenne 59h par semaine. Parallèlement, ils regrettent un manque de soutien et un manque de management de la part des médecins expérimentés. Ils déplorent une absence de reconnaissance, une déshumanisation de la médecine et un sentiment de compétition et d’individualisme dû au concours de l’internat.
Read more: Le manque de reconnaissance, au cœur de la souffrance des internes en médecine
Assez naturellement, ces situations engendrent, au quotidien, des tensions : ils jonglent entre apprentissage et instantanéité des soins, responsabilité des équipes paramédicales et présence ponctuelle dans les services. Ils sont sous la pression de l’organisation et l’obligation de résultat demandée par les patients. Ces oppositions peuvent être qualifiées de paradoxes et suscitent des interrogations sur la santé au travail de ces jeunes médecins.
Comment les soignants prennent soin d’eux-mêmes ?
Nous avons mené une étude sur le burn-out auprès de 242 internes en médecine dans un CHU de province. Ce travail révèlant une souffrance au travail pour la moitié d’entre eux, nous nous sommes intéressés à ceux qui ne sont pas épuisés, pour essayer de mettre à jour les stratégies adoptées pour surmonter les conditions de travail compliquées. Pour cela, nous sommes allés à leur rencontre. Une approche qualitative a été réalisée.
L’analyse de nos résultats démontre l’existence de quatre profils détaillés ci-dessous :
« Les projectionnistes » : Ces internes font leurs premiers pas dans l’internat. Ils ont conscience des difficultés actuelles et cherchent une échappatoire mentale afin de continuer le travail au quotidien. Pour cela, ils anticipent l’avenir. Certains évoquent la possibilité de travailler à l’étranger. D’autres parlent de leur projet post-internat, comme passer un DU dans une spécialité qui les intéresse afin de continuer à construire leur parcours.
« Si j’arrive à ne pas être en souffrance, c’est parce que j’ai mon activité personnelle en médecine chinoise qui me donne un élan. J’ai des projets pour l’avenir, je suis déjà ouvert sur la suite. »
« Les conformistes » : Sans ignorer les difficultés, il s’agit d’internes en médecine qui estiment que les conditions de travail sont normales. Avoir de longues journées est bénéfique puisque c’est sur le terrain qu’on apprend à devenir médecin. Ils remettent très peu en cause le système de management :
« Il n’y a jamais des moments où je me dis « mon dieu, j’ai trop de trucs à faire, je ne vais pas y arriver, je suis débordé par le travail », là ça ne m’arrive plus maintenant, ça m’est arrivé. J’arrive plus facilement à gérer plus de choses. Dans l’internat, il y a une courbe de progression. Il y a un moment où on ne sait pas. L’expérience venant, les choses se répétant c’est relativement un peu tout le temps pareil. On sait plus facilement vers quoi s’orienter, les gestes, on les fait plus vite, on a plus d’assurance, on se pose moins de questions. On est moins dans l’apprentissage de son travail que dans l’application de cet apprentissage. Là, je pense que c’est une courbe normale. Moi, j’ai été à l’aise après mon 6e semestre. »
« Les autoconnaisseurs » : La présence dans les services de médecine permet une meilleure connaissance de leurs limites. Afin de prendre en charge les difficultés, ils cherchent un avantage concurrentiel par rapport aux collègues afin de se valoriser. Par exemple, avoir une spécialité pour aider les autres.
« Je pense que je suis assez utile parce que mon parcours atypique est une force extraordinaire que j’ai sous-estimé au début. Je n’ai pas les mêmes connaissances que les autres médecins, notamment en statistiques donc je peux donner des conseils que même les chefs ne pourraient pas. J’ai beaucoup aidé à la rédaction d’articles de mes supérieurs. J’ai aidé beaucoup d’internes, pour leurs thèses et leurs mémoires ». Afin de maintenir le cap, ils arrivent à créer un cadre favorable, en cohérence avec les orientations globales du CHU.
« Les challengers » : Pour vivre leur internat dans les meilleures conditions, ils considèrent leur travail comme un évènement ludique :
« Pour moi les urgences, c’est une sorte de jeu. Tous les jours je viens, un patient arrive qu’est-ce qu’il a ? Il faut que je trouve, c’est mon petit jeu ! Qu’ils ne disent pas merci derrière je m’en fiche, chaque patient c’est une épreuve pour moi de tester mes connaissances et de m’améliorer. Je deviens un meilleur médecin chaque jour. Ça me plaît et ça me suffit largement ».
L’objectif est de trouver rapidement le bon diagnostic et le meilleur traitement. Ce profil aime le côté « super héros » qui se lève en pleine nuit, apporter une aide aux urgences et sauver des vies. Ils suivent leurs patients grâce aux fichiers informatiques afin de vérifier leurs prescriptions.
Cette typologie montre que la connaissance de soi est une alliée qui permet d’adopter des stratégies pour faire face aux difficultés du terrain. Cette aptitude est une protection mentale permettant de gérer ses efforts et sa relation au travail. En revanche, nous ne savons pas si ces stratégies auront la même intensité dans la durée. Ne seraient-elles efficaces qu’au moment de l’étude ? Combien de temps les internes tiendront ? C’est pourquoi ce travail n’exclut pas l’adoption d’une réflexion pour l’amélioration des conditions de travail et la prise en compte de leurs revendications.