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Les six chantiers prioritaires pour l’avenir de l’agriculture française

Plantation d’asperges dans une exploitation bio en Alsace. Sebastien Bozon / AFP

Avec 77 milliards d’euros de production en valeur pour 2019, la France est la première puissance productrice agricole européenne. Sur 48,5 % du territoire métropolitain, les 390 000 exploitations agricoles recensées en 2020 façonnent les paysages.

En 2022 et dans les années qui viennent, les défis à relever demeurent toutefois nombreux.

L’agriculture française a d’une part un impact négatif sur l’environnement et le climat, étant source d’émissions brutes de gaz à effet de serre non compensées par le carbone stocké dans les sols et les biomasses. Elle ne réussit pas d’autre part à générer un revenu décent à de nombreux agriculteurs, en dépit de soutiens publics importants. Le fossé se creuse également entre agriculteurs et consommateurs, exigeants, mais souvent peu enclins à dépenser davantage pour leur alimentation.

Dans un tel contexte, l’agriculture française doit résolument s’engager sur une autre voie en répondant à six grands défis.

1. Réduire (enfin) l’usage des pesticides

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture « intensive » s’est construite sur la mécanisation et la chimie. Ses impacts négatifs sur la santé des hommes et des écosystèmes sont établis.

Depuis 2008, le gouvernement français porte un plan de réduction massive des produits phytosanitaires, traduction de la directive européenne 2009/128/CE, ambition reprise à l’échelle européenne dans le cadre du Pacte vert. Mais si elle a permis d’accélérer le retrait de certaines molécules parmi les plus préoccupantes et en particulier les CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques), cette initiative n’a pas produit la baisse escomptée.

Un tracteur pulvérisant des pesticides sur des cultures
Pulvérisation de pesticides dans le nord de la France (2013). Philippe Huguen/AFP

Les différents plans Ecophyto auront néanmoins permis d’identifier de nombreux axes de progrès :
- les pratiques agroécologiques pour gérer la fertilité des sols et contenir les ravageurs ;
- l’agriculture de précision portée par la géolocalisation et le numérique de façon à augmenter l’efficacité des usages de pesticides (avec un gain espéré d’environ 10 %) ;
- la sélection variétale orientée sur la résistance génétique des cultures aux maladies, avec de réels progrès déjà enregistrés sur le blé et la vigne notamment ;

  • le développement du biocontrôle.

Le réseau des fermes Dephy mis en place dans le cadre d’Ecophyto montre que de telles évolutions sont possibles. D’autre part, le dispositif du conseil en agriculture, réellement séparé de la vente de produits phytosanitaires, doit être mis au service de la généralisation de ces expérimentations.

Les politiques publiques, notamment la politique agricole commune (PAC), doivent être mobilisées en renforçant la redevance pour pollutions diffuses appliquée aux achats de pesticides, en obligeant les vendeurs de ces produits à participer à l’effort de réduction (par l’offre d’alternatives dans le cadre du dispositif des certificats d’économie de produits phytosanitaires), en rémunérant les agriculteurs pour les efforts importants de réduction (y compris en couvrant la prise de risque) et en soutenant les investissements de matériels permettant de réduire les usages de pesticides.

2. Diminuer les émissions de gaz à effet de serre agricoles

Les émissions de gaz à effet de serre agricoles. Ministère de l’Agriculture (à partir des données CITEPA)

D’après le CITEPA, l’agriculture représentait, en 2020, 21 % des émissions françaises de gaz à effet de serre sous forme de méthane CH4 (45 %), protoxyde d’azote N20 (42 %) et dioxyde de carbone CO2 (13 %). Ces émissions sont stables (-0,1 % entre 2015 et 2018).

Les émissions de méthane sont directement liées à la taille du cheptel, notamment de bovins chez qui elles sont essentiellement produites lors de la digestion de la cellulose des fourrages.

Elles peuvent être légèrement diminuées en modifiant l’alimentation des animaux – grâce notamment à l’incorporation de tourteaux de lin et d’additifs, dont les effets sont prometteurs, mais restent à confirmer –, en augmentant la productivité des animaux, ce qui permet de réduire leur nombre à production constante, et en réduisant la taille du cheptel dans le cadre de régimes alimentaires des humains moins riches en viande rouge.

Les émissions de N2O et de CO2 seront diminuées en jouant sur les formes et les modalités d’application des engrais, et surtout en utilisant moins d’engrais azotés minéraux et organiques grâce à un recours accru aux légumineuses et à une meilleure articulation des productions végétales et animales dans les territoires.

Le stockage de carbone dans les sols, promu avec l’initiative 4/1000, a l’avantage additionnel d’améliorer leur fertilité et leur structure. L’agriculture peut aussi contribuer à la production d’énergie renouvelable sous diverses formes (méthanisation, photovoltaïque, etc.)… à condition qu’il n’y ait pas concurrence avec la production alimentaire et la restitution du carbone au sol.


Read more: L’initiative « 4 pour 1 000 », qu’est-ce que c’est ?


Ces voies de progrès sont au cœur de nombreuses démarches : agriculture de conservation des sols, agriculture du vivant ou régénératrice, permaculture, etc. Ces pratiques sont à encourager par les politiques publiques, selon la même logique que celle appliquée aux pesticides, soit en mobilisant plus strictement les principes émetteur-payeur et stockeur-bénéficiaire.

3. Assurer le développement de l’agriculture biologique à grande échelle

Le cahier des charges de l’agriculture biologique (AB) garantit une production sans intrants chimiques, avec des bénéfices sur la qualité des sols, de l’eau et de l’air, la préservation de la biodiversité, et la santé des agriculteurs, des habitants et des consommateurs du fait d’une moindre exposition aux contaminants.

Ses bénéfices nutritionnels comme son impact sur le climat font toujours l’objet de débats. Si les pratiques de l’AB permettent bien de réduire les émissions de gaz à effet de serre rapportées à l’hectare, ce n’est pas toujours le cas quand elles sont mesurées par unité de produit du fait d’une moindre productivité. Pour la même raison, l’agriculture bio nécessitera davantage de terres pour produire les mêmes quantités de biens.

Évolution des surfaces cultivées en bio en France. Agence Bio

Ces rendements plus faibles requièrent des prix des produits finaux plus élevés. L’équilibre économique des exploitations en AB a été assuré jusqu’à aujourd’hui par un marché tendanciellement porteur et par des aides, notamment lors de la période de conversion vers l’AB pendant laquelle les produits ne sont pas labellisés.

La poursuite du développement de l’AB nécessite des innovations (sélection variétale, pratiques agronomiques, etc.) pour accroître et stabiliser les rendements. Elle exige aussi que le marché reste dynamique et soit accessible à tous.

Les politiques publiques doivent ainsi favoriser l’accès des plus précaires à l’alimentation biologique, par exemple par un système de chèques alimentaires. L’AB gagnera aussi à ce que les services négatifs de l’agriculture soient plus explicitement pénalisés, et les services positifs récompensés.

Enfin, des changements de régimes alimentaires et la réduction des pertes et gaspillages seront nécessaires, notamment pour limiter les besoins en terres du fait des moindres rendements de l’AB, comme le soulignait en 2018 le scénario TYFA de l’IDDRI.

4. Adapter l’offre agricole aux nécessaires évolutions des régimes alimentaires

Des régimes alimentaires trop caloriques et trop déséquilibrés (trop de sucres, de graisses, de sel, de charcuteries et de viandes rouges ; pas assez de protéines et de fibres végétales, de fruits et de légumes) ont des effets négatifs sur la santé, entraînant surpoids, obésité et maladies chroniques.

En France, en 2016, le coût social annuel du surpoids et de l’obésité s’élevait à 20,4 milliards d’euros, comparable à celui du tabac et supérieur à celui de l’alcool. Pourtant, les politiques nutritionnelles, essentiellement basées sur la norme, les recommandations, l’information et l’étiquetage (Nutri-Score), et très peu sur des mesures fiscales incitatives (taxes ou subventions), restent très modestes.

Les changements de régimes alimentaires ne seront pas sans conséquence sur l’offre agricole (et agroalimentaire). Ils impacteront négativement les consommations de produits animaux, baisse à laquelle les producteurs doivent se préparer en compensant la réduction des volumes par une augmentation de la qualité.

Cette perspective est aussi l’occasion de revoir la spécialisation marquée des troupeaux de bovins lait et viande en favorisant des races mixtes, comme la Normande ou l’Aubrac qui valorisent à la fois la production de lait et de viande, et peuvent permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre des bovins.


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Il convient simultanément d’encourager le développement de filières structurées et compétitives de fruits, de légumes et de protéines végétales. Ces dernières requièrent de travailler la production, la collecte, la transformation (nouvelles recettes), et les habitudes de consommation grâce à l’éducation et à l’information. Plusieurs expérimentations, à l’image de celle du territoire d’innovation « Alimentation durable 2030 » à Dijon, sont prometteuses.

5. Concilier protection de l’environnement et revenus agricoles

Les revenus des exploitations agricoles françaises sont très dépendants des soutiens budgétaires de la PAC qui, en 2019, représentaient en moyenne les trois quarts du revenu courant avant impôt.

Cette dépendance est encore plus grande, supérieure à 100 %, pour certaines catégories d’exploitations (250 % pour les bovins viande, 136 % pour les bovins viande et lait, 128 % pour les céréales et oléo-protéagineux). Elle rend très difficile toute modification des modalités d’octroi des aides, notamment pour satisfaire des objectifs écologiques, qui mettrait en péril la viabilité économique de nombre d’exploitations.

Le statu quo écologique n’est toutefois plus une option.

Sortir de ce dilemme requiert de renforcer le pouvoir de négociation des agriculteurs pour mieux répartir la valeur (regroupement de l’offre, biens adaptés aux attentes des consommateurs, développement de circuits courts).

Il exige aussi de développer des sources complémentaires de revenu, en mobilisant ces différents axes : réduire les coûts de production en mobilisant toutes les sources de progrès (génétique, numérique, optimisation de l’usage de la biomasse, innovation ouverte…) ; exploiter le consentement à payer des consommateurs pour des produits issus de systèmes plus respectueux du climat et de l’environnement, et accorder parallèlement aux ménages les plus pauvres des aides leur permettant d’accéder à ces produits ; développer les paiements pour services environnementaux financés par le contribuable, mais aussi l’usager ; limiter les distorsions de concurrence entre agriculteurs de l’espace européen et ceux des pays tiers grâce à l’introduction de mécanismes d’ajustement aux frontières européennes au titre du climat, de l’environnement et de la santé.

Une réflexion plus globale devra d’autre part être engagée quant à l’utilisation des économies réalisées grâce aux dépenses de santé et de dépollution en baisse. Ce seraient plus de 50 milliards d’euros qui seraient dépensés chaque année en France pour la seule dépollution des eaux en pesticides et nitrates…

6. Rendre le métier d’agriculteur plus attractif

En 2019, 55 % des agriculteurs français avaient plus de 50 ans. Et quand 10 d’entre eux partent en retraite, 7 seulement s’installent. Au vieillissement de cette population s’ajoute donc le non-renouvellement des générations.

Le paradoxe actuel étant qu’une agriculture plus agroécologique nécessite davantage de main-d’œuvre (pour surveiller plantes et animaux, assurer le désherbage mécanique des cultures, développer des activités de transformation et de vente, etc.), avec des qualifications plus étendues et plus élevées. Ces difficultés ne sont pas propres à la France et se retrouvent, avec des spécificités nationales, dans les différents pays européens.

Deux mains d’un éleveur vues de dos
À Lyon en décembre 2008, lors d’une manifestation contre la baisse du prix du lait. Fred Dufour/AFP

Selon le Comité économique et social européen, plusieurs facteurs défavorables expliquent cette double spirale négative : les écarts de revenu entre l’agriculture et les autres secteurs d’activité ; la charge administrative d’accès aux aides de la PAC ; des normes européennes plus contraignantes que dans la plupart des autres pays ; des difficultés de trésorerie, de financement des investissements et d’accès au foncier ; la faiblesse des retraites agricoles ; et des contraintes liées à la vie en milieu rural (accès plus difficile aux services publics et privés).

Les leviers d’action devront combiner politiques sociale, foncière, agricole et territoriale. La revalorisation des retraites et leur conditionnement à la transmission du foncier à des entrants limitera la rétention des terres par les plus âgés.

Une politique foncière efficace ciblera deux objectifs : la protection vis-à-vis de l’artificialisation des terres et leur accès en priorité aux actifs agricoles.

Au-delà de sa mission productive, une refonte du métier pourrait être menée en inscrivant l’exploitation agricole dans une dynamique d’entreprise à mission qui redéfinirait le contrat social qui lie la société à ses agriculteurs.

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