Menu Close
Une patiente est assise sur chaise dans sa chambre et on la voit derrière la vitre de sa porte fermée.
En France, les soins psychiatriques sans consentement sont strictement encadrés par la loi. Christophe Archambault / AFP

Les soins psychiatriques sans consentement : quels enjeux en France ?

Par un arrêt du 17 juin 2022, la Cour d’appel de Bordeaux a infirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) du 9 juin 2022 autorisant le transfert de Romain Dupuy de l’Unité pour malades difficiles (UMD) du centre hospitalier de Cadillac (Gironde) à une autre unité fermée de soins psychiatriques. La Cour d’appel a déclaré incompétent le JLD pour statuer sur cette demande.

Le cas de Romain Dupuy, âgé aujourd’hui de 39 ans, avait connu un large écho fin 2004 lors du « Drame de Pau ». Le jeune homme, atteint de schizophrénie, avait alors tué deux soignantes de l’hôpital psychiatrique de Pau. Jugé irresponsable pénalement en appel, il est depuis 2005 hospitalisé à l’UMD de Cadillac. Son placement dans ce service est régulièrement contrôlé par le JLD. Il demandait son déplacement dans une autre unité fermée du CH de Cadillac, mesure refusée par le préfet de Gironde.

Cette affaire fait ressurgir dans l’actualité la question de l’hospitalisation sans consentement en hôpital psychiatrique. Très médiatisée, cette cause d’admission en UMD n’est toutefois pas unique – ni majoritaire.

S’il existe dix unités pour malades difficiles en France (dont trois sont en mesure d’accueillir des femmes), capables de recevoir environ 530 patients, elles ne constituent qu’une petite partie des unités psychiatriques accueillant des patients hospitalisés sans consentement.

Quelques chiffres permettent de se rendre compte de la méconnaissance de la réalité des soins psychiatriques et des maladies mentales dans l’Hexagone. Le regard du grand public sur ces sujets est donc particulièrement biaisé.

En 2014, une étude réalisée par l’entreprise de sondage Ipsos pour la fondation FondaMental montrait ainsi que 55 % des Français étaient incapables d’estimer la fréquence des maladies mentales au regard des autres maladies au sein de la population – 71 % sous-évaluaient leur prévalence.

Dans les faits, une personne sur cinq sera un jour touchée par une maladie psychique. Ces pathologies sont ainsi classées au troisième rang des plus fréquentes en France, après les cancers et les maladies cardiovasculaires.

Le soin psychiatrique

Il est nécessaire de rappeler que, en principe, chacun est libre d’accepter ou de refuser des soins et que le médecin est tenu de respecter ce choix.

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. » (Code de la Santé publique, Art. L1111-4, 2020)

Ce qui signifie que l’on est libre de demander son admission en soins psychiatriques, en vertu du principe de consentement aux soins.

En France, les soins psychiatriques sont organisés en secteurs. Chacun d’entre eux couvre une zone d’environ 80 000 habitants. À titre d’exemple, dans le département de la Gironde, les soins psychiatriques sont organisés autour de trois centres hospitaliers.

L’un d’entre eux, le centre hospitalier de Charles Perrens, comporte quatre pôles cliniques adultes, un pôle universitaire de pédopsychiatrie et un pôle d’addictologie interétablissement. Selon les pôles, on retrouve des unités d’hospitalisation à temps plein, des hôpitaux de jour, des centres médico-psychologiques, etc. La prise en charge peut donc être à temps complet dans le cadre d’une hospitalisation, ambulatoire ou la journée dans le cas des hôpitaux de jour.

L’admission en soins psychiatriques dits « libres » est une modalité d’hospitalisation dans laquelle le consentement de la personne est requis ; et la personne qui est à l’origine de son hospitalisation est également libre d’y mettre fin à tout moment. Par opposition, on trouve l’admission en soins « sans consentement ». Dans ce cas de figure, tel celui de Romain Dupuy, le patient n’est libre ni de son entrée ni de sa sortie.

Le soin des maladies mentales a connu une évolution importante au milieu du XIXe siècle avec la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés, dite loi Esquirol. Cette dernière avait incité, dans chaque département, à la création d’un asile. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, diverses réformes seront promulguées.

L’une des dernières, datée du 5 juillet 2011, est relative aux droits à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement et aux modalités de leur prise en charge ; elle a notamment remodelé les conditions d’entrée dans ce cas de figure.

[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Le cadre actuel des soins psychiatriques sans consentement

En 2018, 96 000 personnes en France étaient concernées par une mesure de soins psychiatriques sans consentement. Attention, parmi elles, seule une minorité a commis un crime.

Ce mode d’hospitalisation se décline en trois volets, prévus dans le Code de la santé publique :

  • L’admission à la demande d’un tiers (une personne suffisamment proche du patient souffrant de troubles mentaux, parents par exemple, et justifier de liens importants avec lui),

  • L’admission à la demande du représentant de l’État,

  • L’admission pour péril imminent.

Concernant l’admission sur demande d’un tiers, le patient doit présenter un trouble mental rendant impossible son consentement ainsi que d’un état de santé justifiant une surveillance constante et des soins immédiats – la seule demande d’un tiers ne suffit pas, par exemple.

La demande doit de plus être associée à deux certificats médicaux, qui devront être datés de moins de 15 jours avant l’admission. L’un des deux au moins devra émaner d’un médecin qui n’appartient pas à l’établissement considéré.

La mesure d’hospitalisation fera ensuite l’objet d’un contrôle. Deux nouveaux certificats, l’un après 24 heures et l’autre après 72 heures, devront faire état de la nécessité de maintenir la mesure de soins. Par la suite, le juge des libertés et de la détention statuera sur le bien-fondé et la régularité de la décision.

Les patients sont généralement hospitalisés en unités psychiatriques au sein de centres hospitaliers spécialisés. Nous avons déjà mentionné l’UMD, l’Unité pour malades difficiles. Y est hospitalisé tout patient dont l’état de santé requière une vigilance importante et qui représente un potentiel danger pour autrui. Son admission se fait sur arrêté du préfet de département sur proposition du psychiatre du patient, avec l’accord du psychiatre de l’UMD, sur la base d’un dossier comprenant un certificat médical motivé et éventuellement une ou plusieurs expertises médicales.

Il existe d’autres types de structures, que nous avons évoquées. Les différentes modalités de prise en charge sont le meilleur moyen de s’adapter à la pathologie et à la situation de la personne atteinte par ces troubles.

Ces soins sans consentement peuvent ainsi prendre une autre forme que l’hospitalisation complète : il peut s’agir de soins ambulatoires ou à domicile dispensés par un établissement, ou encore de séjours de courte durée (art L3211-2-1 I du CSP).

Le véritable enjeu ici concerne la protection de la liberté individuelle, qui sera assurée par le juge de la liberté et de la détention. Ce processus complexe a été pensé pour assurer le respect et la sécurité de la personne et éviter tout internement abusif – et actuellement, la jurisprudence ne semble effectivement pas connaître de tels exemples.

Il est à noter que la France n’est pas le seul pays à disposer d’un système de soins sans consentement : nos voisins belges, par exemple, ont, eux, mis en place deux régimes de prise en charge en soins psychiatriques sous contrainte. La première dite « internement » concerne les personnes ayant commis des crimes ou délits. La seconde, nommée « mise en observation », concerne les personnes atteintes d’un trouble psychique grave nuisant à leur santé, à leur sécurité ou à celle d’autrui.

Un large panel de pathologies mentales concerné

Il n’existe pas de patient avec une « pathologie type » admis en soins psychiatriques sans consentement. Pour l’UMD de Cadillac, le contrôleur général des lieux de privation de liberté rapporte, dans son rapport de visite de 2016, que les pathologies les plus représentées dans cette unité étaient les schizophrènes paranoïdes pour 53 % des patients, les autres schizophrénies (9 %) puis l’autisme (9 %).

Pourtant, ces chiffres ne sont pas représentatifs des pathologies des personnes hospitalisées en soins sans consentement dans les autres unités psychiatriques en France ou encore dans les autres unités pour malades difficiles de France : addiction, dépression ou encore troubles du comportement alimentaires graves peuvent conduire à une hospitalisation sous contrainte (hors UMD), tant que les conditions prévues par le Code de la santé publique et évoquées ci-dessus sont remplies.

Si la maladie mentale est un sujet tabou, l’hospitalisation sans consentement l’est tout autant. Il est donc nécessaire de continuer à diffuser des éclairages techniques et opérer une prévention sur ce sujet.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now