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Les stratégies de formation des apprentis footballeurs professionnels

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Nés de la volonté de certains clubs de maintenir leur compétitivité à moindres frais, les centres de formation aux métiers du football apparaissent aujourd’hui comme des acteurs incontournables du renouvellement de l’élite française et, pour les jeunes amateurs, le passage quasi obligé pour évoluer au plus haut niveau.

En France, et contrairement à d’autres disciplines sportives, les clubs ont le monopole d’accès aux compétitions les plus élevées et ce filtre constitue pour eux une source de revenus non négligeable. Ils assurent ainsi la détection des vedettes de demain et leur formation dans des structures de pointe en échange de la cession, à terme, de leurs meilleurs éléments sur le marché des joueurs.

Au-delà du double projet et du modèle de formation hexagonal, il existe une véritable stratégie de captation des talents et de valorisation de ces derniers en vue d’une pérennisation sportive et économique des clubs. Celle-ci est rarement comprise des apprentis et de leur famille, eux-mêmes engagés dans un programme de valorisation du talent.

Les résultats présentés ici sont le fruit d’une recherche sociologique de trois années menée dans sept centres de formation aux métiers du football. Principalement de nature qualitative, ils reposent notamment sur une série de soixante-dix entretiens auprès des acteurs de l’apprentissage sportif : directeurs de centres de formation, enseignants, entraîneurs, agents de joueurs et les aspirants eux-mêmes.

Le marché des jeunes footballeurs, un secteur fortement concurrentiel

Avec plus de 2 000 jeunes sous convention, le football demeure le sport professionnel où le recours à la formation est le plus important. Cette mission est assurée par les centres agréés en lien direct avec les clubs qui accueillent dans leurs structures des adolescents de 13 à 18 ans.

Le processus de recrutement et de sélection des joueurs à même de suivre un cursus d’excellence dans le sport débute tôt et s’inscrit dans un contexte fortement concurrentiel. C’est dès cette étape que les rivalités entre les agents chargés de la détection se mettent en place avec l’objectif de s’emparer très vite des joueurs présentant un potentiel intéressant. Si les jeunes de bon niveau et aspirant à devenir professionnels sont nombreux, tous ne sont pas en mesure de suivre un programme d’élite et d’intégrer, à terme, l’effectif premier.

Dès les stages de détection, se distinguent sur le terrain les enfants au niveau de jeu satisfaisant de ceux dont le talent et les capacités sont au-dessus de la norme. Les premiers ne constituent pas le choix initial des clubs, consentant d’abord à investir sur les rares petits prodiges qui pourront faire la différence dans quelques années.

Pourtant, pour faire jouer les meilleurs et les mettre en avant sur les terrains, il leur est nécessaire d’accueillir de bons éléments qui prendront, malgré eux, le rôle de partenaires d’entraînement. On retrouve ici la distinction proposée par Bourg et Gouguet (2001) entre les sportifs d’excellence, non substituables sur le marché, et ceux, pourtant bons, considérés comme interchangeables et utilisés comme variable d’ajustement.

Entre les jeunes amateurs, la compétition est forte également pour se voir proposer une chance d’intégrer l’élite. Là aussi, des stratégies sont mises en place afin de capter l’attention des recruteurs et, une fois sous convention, de maximiser les chances de progression dans cette pré-carrière.

Les jeunes footballeurs du centre de formation, de Rennes écoutant les conseils de leur entraîneur.

Adoption d’une ascèse sportive, forte implication dans les entraînements, demandes de sur-classement, etc. sont autant de moyens de se conformer aux attentes des entraîneurs :

« Je me donne à fond. Chaque jour je veux faire mieux. Le coach a bien vu cela, il m’apprécie. Je pense même que je vais faire partie des retenus pour l’année prochaine » (entretien du 28 mars 2014, joueur en formation.)

L’incertitude est de fait forte pour les deux parties en présence : d’un côté, les clubs n’ont pas l’assurance de voir fructifier leur investissement en vendant leurs meilleurs éléments (risque de blessure, de désengagement, de captation par un club étranger, de non-absorption sur le marché…) et, de l’autre, les joueurs n’ont pas de visibilité quant à la poursuite ou non de leur apprentissage.

La contractualisation, une garantie ?

Pour encadrer la présence des jeunes footballeurs dans les structures de formation, le législateur a prévu toute une palette de dispositifs allant de la simple convention au contrat de travail adapté aux spécificités de l’apprentissage sportif. Dans un contexte aux multiples variables, le recours au contrat apparaît comme le gage d’un engagement stable et clairement défini entre le joueur et le club.

L’intérêt, pour la structure, est de se prémunir contre les appétits de clubs étrangers qui n’hésitent pas à venir se servir dans leurs effectifs. C’est aussi une forme de reconnaissance des qualités de jeu d’un jeune qui se démarque des autres. De fait, tous les pensionnaires des centres ne bénéficient des mêmes liens avec leur école : certains sont engagés par une simple convention sans rémunération en dehors des primes de match tandis que les autres bénéficient d’un statut de salarié par le contrat.

Ces différences constituent des enjeux importants et des rivalités entre les joueurs qui y voient souvent une forme de classement des dispositions à intégrer l’élite : ceux qui bénéficient déjà de tels avantages seraient aussi ceux qui seraient assurés de se voir proposer le statut de professionnel.

Les jeunes du FC Lorient.

Pour les joueurs les plus prometteurs, c’est parfois la concurrence d’autres clubs qui peut faire grimper les enchères ou la présence d’agents venant négocier les conditions de la formation avant même la majorité du footballeur. Les sommes peuvent prendre des proportions importantes :

« Monaco m’avait proposé une grosse prime de signature. J’ai plus de chances de devenir pro à Sochaux avec qui j’ai signé pour 6 000 euros. Ailleurs, les enchères montaient à plus de 20 000 euros » (Entretien du 4 avril 2014, joueur en formation.)

Dans cette guerre des talents, le recours au contrat est un argument de plus pour faire pencher la balance en faveur du club concerné.

Cependant, cet accord n’est en rien une assurance du devenir professionnel du joueur encore en formation. Dans 8 cas sur 10, l’aventure s’arrête au terme de la période de celui-ci si l’adolescent n’a pas démontré sa capacité à évoluer parmi l’élite.

Ce faible taux de réussite a plusieurs causes : le fait de bénéficier d’un statut salarié assoie le jeune dans un certain confort qui ne le pousse plus à se donner complètement pour son rêve, de même, le contrat ne prémunit en rien d’une éventuelle blessure qui viendrait réduire à néant les chances d’accès au haut niveau. À l’inverse, il est fréquent que des joueurs ayant réalisé tout leur parcours sous convention se voient proposer le haut niveau du fait de leur progression et de leur détermination dans le travail.

Du côté des clubs, les tentatives de moralisation de la formation des plus jeunes n’a pas échappé aux obligations de résultat. Si les accords de non-sollicitation, les conventions et a fortiori les contrats viennent stopper les appétits des clubs nationaux, ils n’ont que peu de valeur une fois passées les frontières hexagonales. L’affaire Bernard, en 1997, a ainsi modifié le système en vigueur en venant créer une indemnité de formation plutôt que l’interdiction de signer dans un autre club pendant trois ans. Dans un système internationalisé, il est difficile de ne pas tenir compte des stratégies des clubs étrangers, amateurs du savoir-faire français.

||read||/Flickr, CC BY

Les limites d’un système qui ne peut inclure tous les apprentis

Le projet d’engagement dans l’univers du football professionnel apparaît comme particulièrement incertain pour les adolescents pensionnaires des centres de formation. De fait, ces derniers ne disposent pas de garanties quant à la concrétisation de leurs efforts dans le centre.

Des joueurs besogneux se voient ainsi remerciés avant la signature du contrat tandis que des éléments moins sérieux dans le travail sont propulsés dans l’effectif premier du fait d’un talent indéniable. La situation est difficile à comprendre, d’autant que les valeurs telles que le mérite sont souvent mises en avant.

Pour des enfants qui ne vivent que pour le ballon rond et qui ont fait déjà des sacrifices pour accéder à leur rêve (éloignement familial, entraînements soutenus…), la déconvenue d’un renvoi du centre de formation prend la forme d’une faille narcissique. Dans tous les cas, le fonctionnement étudié ici prend une forme unilatérale car c’est le club qui, le moment venu, prendra la décision d’intégrer ou non le jeune à son effectif.

Pourtant, la décision du club n’est pas seulement soumise à son bon vouloir. Au-delà du potentiel de l’adolescent à performer dans les grands championnats, il faut tenir compte des logiques de marché qui animent le football. La valeur des sportifs varie largement selon l’âge, le poste sur le terrain où encore l’expérience.

La saturation du marché par de bons joueurs substituables n’assure en rien la vente, à terme, d’un joueur à un autre club. La tendance est d’ailleurs à une baisse du recours à la formation en Europe de l’Ouest (dont la France) où les joueurs formés dans le club représentaient 20 % des effectifs en 2014 pour 16,9 % en 2015.

Dans ce contexte, nombreux sont les apprentis tentés par le fait de rejoindre des ligues plus lointaines avec l’espoir de gravir lentement les paliers jusqu’à une place dans l’un des clubs du Big Five. Des pays d’Europe centrale comme la Croatie ou plus à l’Est comme l’Ukraine ou la Biélorussie semblent alors offrir des opportunités d’emploi plus satisfaisantes pour des adolescents prêts à tout pour vivre du ballon rond. Le taux de jeunes ayant quitté leur pays d’origine avant la majorité pour tenter leur chance a ainsi progressé ces dernières années, passant de 8 % en 2009 à quasiment 10 % en 2015 (CIES, 2013). Cette stratégie d’accès au professionnalisme demeure cependant risquée au vue du déracinement qu’elle constitue et des faibles chances de transfert vers un club plus important.

Centre de formation du PSG.

Vers une autre formation ?

Face à ces effets délétères et aux trajectoires de vie brisées à la poursuite d’un rêve impossible, certains clubs n’hésitent plus désormais à proposer de nouvelles formes d’accueil et de formation à leurs pensionnaires. Le choix est alors d’accueillir moins d’apprentis mais avec une plus grande sélectivité à l’entrée.

Dans le centre, ne sont alors présents quotidiennement que les jeunes sportifs dont les qualités laissent largement présager une carrière professionnelle. C’est dans ce cadre privilégié qu’ils suivent à la fois des entraînements poussés et une scolarité.

D’autres joueurs de bon niveau viennent compléter les groupes d’entraînement et les feuilles de match mais cette fois avec un statut plus distant de la structure : ils restent hébergés chez leurs parents et suivent un cursus scolaire ordinaire.

Cette formation à double niveau permet de ne pas désaffilier inutilement de leur cadre de vie des jeunes qui ne présentent pas, pour le moment, toutes les qualités requises pour le haut niveau. Ceux-ci restent ainsi plus lucides quant à leurs chances de signer professionnel. Pour le club, ce fonctionnement est moins coûteux et permet une attention plus poussée sur les champions de demain, limitant de fait l’incertitude.

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