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Les talibans afghans : carte d’identité

Talibans à Kaboul
Des combattants membres du mouvement taliban à Kaboul, le 18 août 2021. Wakil Kohsar/AFP

Les talibans afghans sont de retour au pouvoir en Afghanistan après 20 ans d’insurrection et de combat contre les troupes internationales. (Le terme talib désigne un étudiant en religion ; taliban est la forme plurielle de talib et ne devrait pas prendre de s mais nous emploierons ici la forme la plus courante en français.)

À l’heure où l’Émirat islamique d’Afghanistan est à nouveau instauré, de nombreuses interrogations subsistent toutefois sur cette organisation.

Qui sont-ils exactement, quelle est leur hiérarchie, quels sont leurs soutiens, leurs ressources, et leurs objectifs ultimes ?

Un mouvement pachtoune…

Les talibans sont issus de tribus afghanes pachtounes dont de nombreux membres se sont réfugiés au Pakistan voisin à partir de 1979 puis sont revenus en Afghanistan pendant la décennie d’invasion soviétique qui dure jusqu’en 1989 pour affronter l’Armée rouge.

Fondée en 1994, en plein cœur de la guerre civile, l’organisation prend le pouvoir en Afghanistan en 1996 et instaure un Émirat islamique. Celui-ci est renversé deux mois après le 11 septembre 2001, et les talibans mis en déroute.

Ils se regroupent alors dans les régions montagneuses frontalières avec le Pakistan voire, pour le leadership du mouvement, au Pakistan même. Depuis ces sanctuaires, les talibans récupèrent leurs forces, puis entament le combat contre les troupes internationales. Estimés à 7 000 combattants en 2006, leurs effectifs passent à près de 80 000, voire 100 000 aujourd’hui). D’abord concentrée à l’est et au sud, l’insurrection devient nationale à partir de 2006-2007. L’objectif est d’expulser d’Afghanistan les troupes internationales – en particulier les troupes américaines, plus gros contingent dès le début de l’intervention.

En parallèle de ces opérations sur le terrain, les talibans travaillent leur image, notamment en se développant leur diplomatie. C’est ainsi que l’on aboutit aux négociations avec les États-Unis, qui aboutissent à l’accord de février 2020. Pour certains, les talibans d’aujourd’hui seraient plus modérés et plus tolérants que leurs prédécesseurs pré-2001. L’image est trompeuse : derrière une apparence plus moderne, leur idéologie et leur vision du monde demeurent inchangées.

Imprégnés des traditions, codes moraux et d’honneur des tribus pachtounes (le pashtounwali, les talibans sont le fruit de la culture afghane pré-1979, insufflée de soufisme et de coutumes préislamiques, à quoi se mêle le courant idéologique déobandi, qui représente une forme de réformisme puritain sunnite.

Néanmoins, si le groupe trouve son origine dans les régions pachtounes, il ne revendique pas pour autant cette identité ethnique, lui préférant un caractère national.

… mais qui ne veut ni ne peut s’y résumer

L’idéologie talibane associe religion et guerre, ce qui explique qu’ils sont parfois qualifiés de « mollahs armés » : ces deux dimensions, religieuse et martiale, se renforcent mutuellement. Intransigeante et intégriste, la vision du monde des talibans ne soutient ni la dissension ni la contradiction. Il s’agit d’ailleurs là de l’une des clés de la longévité du groupe.

La loi islamique telle qu’interprétée par les érudits du mouvement reste dotée d’une moralité suprême quasi sacerdotale : l’Émirat islamique se considère comme moralement supérieur et unique source d’autorité officielle et légitime sur le territoire de l’Afghanistan. Le nationalisme islamiste est ainsi la pierre angulaire du mouvement. De là découle l’inévitabilité de la victoire talibane, message largement véhiculé dans la propagande du groupe.

Un imam parle à côté d’un combattant taliban armé pendant la prière du vendredi à la mosquée Abdul Rahman de Kaboul, le 20 août 2021, après la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans. Hoshang Hashimi/AFP

Le mouvement a, certes, évolué : initialement ancré dans la tradition pachtoune, il s’est graduellement rapproché de raisonnements similaires à ceux des groupes panislamistes comme Al-Qaïda. Cette altération trouve ses racines dans la nécessité pragmatique de favoriser l’implantation de la gouvernance talibane dans les régions non pachtounes du pays.

Finalement, ce sont bien ses relations publiques que le mouvement a travaillées : un langage qui se veut rassurant, une recherche d’acceptabilité, une apparence de modération, tout cela diffusé grâce à une certaine maîtrise des réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp).

Les principaux dirigeants

La constance idéationnelle du mouvement est partiellement due au fait que son leadership actuel est assuré par la génération pré-2001.

Haibatullah Akhundzada, émir ou « commandeur des croyants » (Amir-ul-Mauminin), est né dans la province de Kandahar, berceau des talibans. À 60 ans, il est, depuis 2016, le troisième émir du mouvement (après Omar (1996-2013) et Mansour (2015-2016)).

Akhundzada rejoint les talibans dès le milieu des années 1990 et devient l’un des proches d’Omar. Ancien juge, érudit religieux, il est une figure respectée parmi les talibans. Discret, il ne se montre que peu en public. Peu d’images existent d’ailleurs de lui, ce qui n’est pas sans rappeler l’attitude du mollah Omar à l’encontre des représentations visuelles.

L’émir est entouré de trois députés : Mohammad Yaqoob (fils d’Omar), Abdul Ghani Baradar (co-fondateur des talibans) et Sirajuddin Haqqani (à la tête du réseau Haqqani). Le fonctionnement de l’organisation, sous la direction de l’émir, est assuré par la Shura Rahbari, ou Shura de Quetta, qui tire son nom de la ville pakistanaise dans laquelle s’est regroupée la direction talibane après 2001.

La Shura, ou conseil taliban, rassemble les chefs du mouvement et décide des orientations politiques et militaires. Sous la direction du conseil se trouvent des commissions et organes administratifs. Cette structure a facilité le développement d’institutions parallèles pendant la période 2001-2021, dans des domaines aussi variés que l’économie, la santé ou l’éducation. Se définissant comme un acteur étatique, les talibans ont ainsi acquis des compétences régaliennes traditionnellement associées à un État. D’où, à leurs yeux et aux yeux de leurs soutiens, la légitimité de leur usage de la force.

Si la direction du mouvement réside bien entre les mains d’Akhundzada, Baradar, 53 ans, en est le visage le plus public. Emprisonné entre 2010 et 2018 au Pakistan (cette arrestation est à comprendre dans le cadre du double jeu mené par le Pakistan depuis 2001, apportant d’un côté son soutien aux troupes internationales et à la lutte contre le terrorisme, tout en soutenant également les talibans de l’autre côté), Baradar est libéré à la demande de l’émissaire des États-Unis pour l’Afghanistan, Zalmay Khalilzad, pour participer aux discussions entre les talibans et l’administration Trump, du fait de son autorité et de sa réputation de négociateur.

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et Abdul Ghani Baradar à Doha, le 21 novembre 2020. Patrick Semansky/AFP

Ce rôle lui confère visibilité et légitimité ; certains le présentent d’ailleurs comme le véritable leader du mouvement. Quoi qu’il en soit, il est certain que Baradar, numéro deux des talibans, a joué un rôle central dans la stratégie qui a permis de reconquérir le pays aussi rapidement.

Ressources et soutiens

Aux ressources idéologiques s’ajoutent des ressources matérielles, financières et diplomatiques : dès leur formation, les talibans, dont les rangs sont remplis d’anciens combattants contre l’armée soviétique, bénéficient des armes soviétiques abandonnées lors du retrait de l’armée, ainsi que des armes occidentales fournies aux combattants afghans pour les soutenir dans leur lutte contre les Soviétiques. Au fur et à mesure de leurs conquêtes territoriales de ces derniers mois, les talibans ont pu ajouter à leur arsenal des équipements modernes que les troupes internationales avaient fournis aux forces nationales de sécurité.

Sur le plan financier, la culture de l’opium et le trafic de drogues, bien que moins importants qu’auparavant, restent une source centrale de revenus pour l’organisation. S’y ajoutent d’autres activités criminelles : extorsion, trafic de bois, extractions minières illégales, kidnapping…

Le lien entre terrorisme, insurrection et criminalité organisée transnationale est bien connu et documenté. Les donations et contributions financières d’organisations de charité islamique fournissent également des revenus au mouvement, tout comme les taxations sur les commerces et entreprises, les transports, ou encore les droits de douane. Il n’est d’ailleurs par anodin que la reconquête de territoires ait inclus très rapidement des zones frontalières, garantissant ainsi au mouvement des revenus supplémentaires. Enfin, l’ISI, le service de renseignements de l’armée pakistanaise, apporte un soutien financier et matériel non négligeable au mouvement.

Au niveau diplomatique, les talibans ont su utiliser le contexte géopolitique international pour s’assurer du soutien, ou au moins de la neutralité, d’un certain nombre d’acteurs internationaux, au premier rang desquels la Chine, la Russie (qui par ailleurs les désigne toujours comme groupe terroriste) ou encore l’Iran ou le Qatar. Ainsi, les talibans recherchent des garanties, sinon de reconnaissance officielle, tout au moins de non-interférence.

Au-delà des acteurs étatiques, les talibans maintiennent des liens avec d’autres groupes, notamment le Mouvement islamique d’Ouzbékistan qui, en plus de bénéficier de leur soutien, conduit des opérations communes avec eux dans le nord de l’Afghanistan. Plus connus, et sources d’inquiétude, les liens avec Al-Qaïda restent importants via le réseau Haqqani, basés notamment sur l’histoire de leurs relations et une motivation religieuse commune.

Affilié aux talibans tout en restant un mouvement séparé, le réseau Haqqani leur fournit armes et entraînement. Les liens entre les deux groupes sont illustrés par la nomination de Sirajuddin Haqqani au conseil taliban.

Enfin, il existe des liens entre les talibans et le TTP (Tehrik-e-Taliban Pakistan, ou taliban pakistanais), du fait de leur chevauchement idéologique et ethnique. Leurs objectifs sont toutefois distincts, chacun ayant un projet national dans son pays d’ancrage. Notons ici qu’aucun lien n’a été relevé entre les talibans afghans et la branche Khorasan de l’État islamique, active en Afghanistan et au Pakistan ; et ui vient de revendiquer l’attentat de l’aéroport de Kaboul du 26 août ; il existe au contraire une opposition entre les deux mouvements.

Continuité de 1994 à 2021

Il serait erroné de concevoir l’évolution du groupe selon une gradation claire allant de l’extrémisme à la modération. Les talibans de 1994 étaient davantage attentifs au comportement externe de la population ; ceux de 2021 portent particulièrement attention à la vie morale interne des Afghans, dans une exigence d’adhésion pleine et entière à leur projet politique. C’est ainsi que l’on assiste à des répressions strictes et violentes de manifestations dans les villes provinciales du pays : exécutions, mariages forcés de femmes ou jeunes filles, fermetures d’écoles…

L’apparence a évolué, le discours est lissé, mais le fond reste bien inchangé.


Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du Forum mondial Normandie pour la Paix.

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