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Les Tri Yann font leur « Kénavo Tour » : conversation avec Jean‑Louis Jossic

Tri Yann en concert au Festival de Cornouaille, juillet 2012. The Supermat/Wikipedia , CC BY-NC

Cette conversation a lieu pendant la tournée d’adieux du groupe Tri Yann. Le « Kenavo Tour » est en effet un émouvant « Au Revoir » que nous offre l’un des groupes les plus mythiques et atypiques de la scène musicale française. Après quelques 50 années de présence sur toutes les scènes de France et d’Europe, cette épopée se terminera à la cité des congrès de Nantes – la ville des « Trois Jean » – le 28 mars 2020 prochain.

C’est d’ailleurs au cœur de Nantes que nous avons rencontré Jean‑Louis Jossic le chanteur des Tri Yann du haut de ses cent vies et coiffé de sa tignasse blanche emblématique

L’adrénaline intacte

MB : Bonjour, Jean‑Louis Jossic, comment allez-vous en ce mois de février 2020 ?

JLJ : Bonjour, Marc, et bien… comment dire ! Nous allons correctement du haut de nos 70 ans. C’est-à-dire que nous avons tous les trois des petits bobos à soigner et les ennuis de plomberie classiques dus à nos grands âges. La bonne nouvelle c’est qu’il nous apparaît clairement, à tous les trois, qu’il va falloir arrêter et que le corps a ses raisons…

Toutefois, sur scène, la poussée d’adrénaline est toujours bien présente et peut être même plus présente qu’avant car nous savons qu’il s’agit de nos derniers concerts et nous les apprécions comme tels. Les petits bobos disparaissent, la « pêche » est là et notre solidarité de vieux complices réapparaît comme pour nous donner une force décuplée. Nous étions, par exemple début février, sur Limoges puis sur Le Mans en un week-end. Nous avions peu de temps – une fois arrivés au Mans – pour nous caler avec le bagad de Lann Bihoué et avec les danseurs et leur chorégraphie. Au final, malgré la fatigue, tout s’est bien passé – sans trop de stress – et les clins d’œil sur scène sont même devenus nos rituels de passage de relais « entre Jean » lorsque l’un ou l’autre le demande !

Une tournée riche en émotions

MB : Quel est votre ressenti au beau milieu de cet émouvant « Kénavo Tour » ?

JLJ : Nous sommes tous les trois terriblement touchés par l’amour, la complicité et la bienveillance qui transparaît lors de nos concerts un peu partout en France (et en Allemagne car nous y avons fixé deux dates). Nous avions une trentaine de concerts programmés, nous sommes à mi-parcours avec encore une quinzaine de concerts à assurer dont les derniers, fin mars, à Nantes, et partout les barrières métalliques en quinconce, qui sont devenues la norme entre nous et le public, nous semblent totalement inutiles et dérisoires. Nous sommes également touchés par le caractère intergénérationnel du public qui vient nous dire au revoir, par les anecdotes et histoires qu’ils nous racontent, par leurs « tranches de vie » à nos cotés car elles sont souvent sont reliées à nos concerts, nos festivals ou à nos disques. C’est en effet très émouvant.

Nous sommes également fiers et heureux de finir notre carrière sur un tel événement et, surtout, tous les trois ensemble. A l’origine il y avait de désir de Jean d’arrêter fin d’été 2019 pour préserver sa santé, nous avons alors discuté et il n’était pas question de ne pas terminer ensemble. Nous avons donc décidé de nous arrêter quelques mois plus tard pour notre jubilé et pour clore une tournée commencée il y a cinquante ans à Plouharnel comme le souligne Jean‑Paul !

Et c’est ce que nous sommes en train de faire et nous espérons bien aller au bout de ce drôle de « Kénavo Tour » afin de remercier l’intégralité de la grande famille des Tri Yann, celle qui est devant, derrière, autour et sur la scène.

Un public bienveillant

MB : Que retiendrez-vous de cette belle et riche « tournée d’adieux » ?

JLJ : Que nous pourrions encore continuer, que nous pourrions encore ajouter quelques dates et même quelques Zénith (celui de Nantes par exemple !) mais il faut savoir dire « kénavo » au bon moment.

Que nous sommes également très heureux de partir au moment où « ça marche » et au moment où « le public nous renvoie beaucoup d’amour ». Cela nous touche.

Que nous sommes contents de proposer à quelques « veilleurs » – c’est ainsi que je les nomme avec beaucoup de respect – de monter avec nous sur scène tous les soirs. Notre concert en est d’autant plus ancré et partagé, certains de ces veilleurs sont jeunes et d’autres moins jeunes, peu importe c est la famille Tri Yann an Naoned et c’est « l’esprit veillé » auquel nous tenons. J’ai modestement repris cette idée d’un des concerts de Joan Baez à l’Olympia en 1973 qui faisait monter son public sur scène (plus d’une centaine autour d’elle) et se gardait quelques mètres carrés pour sa voix et sa guitare, c’était formidable.

Que nous sommes très fiers aussi de pouvoir battre le record de longévité des Frères Jacques (38 ans) – dont deux des chanteurs étaient nanto-nazairiens et pour lesquels j’ai le plus profond respect – et d’arriver en fin de carrière avec cette belle satisfaction d’avoir pu durer bien au-delà de beaucoup d’autres groupes français sans jamais avoir rompu le lien avec notre public.

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Que nous aimons terminer nos concerts avec le public sur scène et nos veilleurs qui chantent et qui nous portent à la fin – avec beaucoup de bienveillance – vers des espaces plus calmes pour y signer quelques autographes, pour échanger quelques mots et pour se reposer un tout petit peu avant de repartir !

Cinquante ans de carrière

MB : Quelles sont – en toute subjectivité bien sûr – les trois ou quatre grandes étapes de vos 50 années de carrières ?

JLJ : Cette question est assez simple à appréhender au moins d’un point de vue chronologique et historique ! Finalement, nous avons connu beaucoup de succès à nos débuts dans les années 1970 avec la mode des musiques celtiques et avons joué dans des salles ou des festivals à 2000-3000 spectateurs.

Puis nous avons connu un plat (pas un creux, mais plutôt un plat) durant les années 1980 avec l’avènement de modes rock, folk, punk, électro, métalliques, etc. qui ne nous concernaient plus – mais nous tournions encore beaucoup dans des plus petites salles face à 200-300 spectateurs en Bretagne certes mais aussi en Allemagne ou sur Paris par exemple.

Puis nous avons connu une « résurgence » dans les années 1990 avec la mode des musiques du monde (world music, real world) et du rock alternatif qui mélangeait les instruments traditionnels et alternatifs (ce que nous faisions depuis le début). Nous avons été surpris du succès de notre compilation en 1995 (Le meilleur de Tri Yann) dont nous avons vendu 600 000 exemplaires mais j’avais également été surpris des années auparavant des étudiants qui chantaient et connaissaient nos chansons lors de certains concerts nantais en soutien aux étudiants en grève contre la loi Devaquet. Cela nous avait fait chaud au cœur ! Puis dans les années 2000 et 2010 nous avons continuer notre chemin, nos disques, nos festivals et nos scénographies sans jamais être ni « trop à la mode » ni « pas assez à la mode » et essayant de rester fidèle aux demandes de notre public.

Nous avons beaucoup tourné – excepté aux Eurockéennes de Belfort et aux vieilles charrues de Carhaix – et avons bien sûr de fantastiques souvenirs. Je me souviens pêle-mêle de la tournée de l’été 1973, des flamboyants débuts du FIL à Lorient mais aussi d’éditions plus récentes, du festival de Cornouaille à Quimper en 2012, je me souviens du « Kan Ar Khann » sur les luttes à Plogoff début 1980 et je me souviens aussi du stade de France pour la nuit celtique en mars 2004.

Je me souviens de concerts quasiment a capella dans la boue et sous la pluie – coupure d’électricité oblige – avec un public fantastique et chaleureux. Je me souviens d’une belle rencontre avec Renaud aux Francopholies à La Rochelle qui nous rappelle quelques années après pour chanter avec lui lors de son concert nantais pour son anniversaire. Je me souviens de Bruno Coquatrix à l’Olympia, nous étions très jeunes et intimidés, nous avions chanté en première partie de Juliette Greco. Puis il vient nous voir et nous dit de sa belle voix « Maintenant vous faites partie de la famille, revenez quand vous voulez, je serai là »… et en effet, il le fut !

MB : Merci Jean‑Louis pour ces échanges, une bonne route à tous les trois et kenavo ar c’hentañ

JLJ : Merci à vous et – bien sûr – un grand merci à notre public, à notre famille !

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