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Les universités, clé du développement des pays du Sud

Un étudiant avec un micro en main parle devant un amphithéâtre bondé.
Un étudiant prend la parole durant un cours de philosophie à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, le 11 février 2019. Seyllou/AFP

On a longtemps pu douter que les universités appartiennent à un territoire donné et participent à son développement, tant, d’abord préoccupées de la production et de la transmission des savoirs, elles penchaient délibérément du côté de l’universel.

Cela vaut pour les pays développés, les premiers à disposer depuis longtemps d’universités. Mais cela vaut aussi pour les établissements apparus peu à peu dans les pays en voie de développement. Même là où la seule fonction de reproduction des élites dirigeantes est encore fortement marquée parce que le caractère principalement informel de l’économie du pays ne requiert pas encore de forts besoins de formation professionnelle de haut niveau, l’université y découvre peu à peu son territoire.

Le développement est aussi un développement universitaire

Plusieurs éléments ont peu à peu bouleversé cette représentation. À commencer par la multiplication du nombre d’établissements, qui ont essaimé peu à peu sur tous les continents, au point que dans certains pays, leur nombre exact n’est jamais vraiment connu (comme en RDC ou à Haïti par exemple), notamment du fait de la multiplication des structures privées, parfois microscopiques et de qualité souvent douteuse.

Le fort accroissement général de la population jeune dans les pays du sud, conjugué à la progression du taux de scolarisation, a abouti à une hausse notable du nombre d’étudiants dans ces pays, en accélérant elle-même la multiplication du nombre d’établissements.

Les quelques statistiques dont on dispose sont à cet égard très parlantes. D’après l’enquête de l’Observatoire Démographique et Statistique de l’Espace Francophone (ODSEF) publiée en 2018 par l’OIF, si certains pays de l’Afrique subsaharienne restent encore à la traîne avec un taux de scolarisation dans le supérieur inférieur à 5 % (Tchad, Madagascar), la majorité de tous les autres disposant de statistiques sont au-dessus de 10 % (Bénin, Cameroun, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Sao-Tomé, Sénégal, Togo, Maurice, Seychelles), de manière comparable à la situation de la France il y a moins de deux générations. Par ailleurs, le Burkina, le Burundi, le Mali, le Mozambique, le Rwanda et les Comores s’en rapprochent avec des taux compris entre 5 et 10 %. Quant à l’Afrique du Nord, le taux de scolarisation dans le supérieur s’y situe partout au-dessus de 30 %.

C’est dire que pour une grande partie de l’Afrique, il est faux de considérer que l’enseignement supérieur ne concernerait que l’élite. L’enseignement supérieur y est déjà un enseignement de masse, donnant de fait aux universités un statut d’une autre nature et une responsabilité sociétale nouvelle.

Les réformes de l’enseignement supérieur guinéen. 30 avril 2021.

L’université, acteur sociétal dans tous les pays

Dans tous les pays développés, la mission sociétale des universités, au-delà de la formation et de la reproduction des élites de tous types, s’est à l’évidence étendue en proportion des nouvelles exigences de la croissance économique, de la demande sociale d’études toujours plus forte, et de la prise de conscience généralisée que l’enseignement supérieur et la recherche sont plus que jamais les clés du développement (voir par exemple “Politiques et gestion de l’enseignement supérieur volume 16-3 2004 – OCDE et beaucoup d’autres études notamment à l’AUF, à l’IAU ou l’ACU et plusieurs de ma part)

Désormais évidente pour les universités de tous les pays développés, cette mission sociétale vaut aussi, et de plus en plus, pour tous les autres pays, dont les pays émergents ou en voie de développement.

Les grandes institutions financières internationales ont encore trop souvent tendance à penser que seul l’enseignement de base doit être la priorité de ces derniers pays. Mais elles se trompent pour au moins deux raisons qui devraient au contraire les convaincre qu’il s’agit là d’une priorité du développement contemporain.

La première est le constat, fait plus haut, que la demande sociale d’études supérieures s’étend au fur et à mesure que la scolarisation primaire puis secondaire elle-même s’accroît.

La deuxième raison est que le développement durable d’économies modernes passe aujourd’hui, partout, par la capacité de tous les pays à doter leurs populations de qualifications professionnelles de niveau supérieur et de compétences de recherche. Sauf à considérer que de telles compétences doivent rester l’apanage des pays développés, les conséquences en sont considérables en termes de politiques économiques et d’aide internationale.

Ainsi, comme le montre une enquête de l’AUF, les dirigeants universitaires des pays moins développés considèrent comme « une très grande priorité les besoins d’ouverture sur l’environnement de services à la communauté, de responsabilité sociétale et de dialogue interculturel ». L’affirmation de l’importance de cette thématique est nettement marquée en Afrique chez tous les responsables, politiques ou universitaires, alors même que les relations entre les universités, les entreprises et les organisations locales y sont encore très limitées.

À l’évidence, cette préoccupation est principalement liée aux questions d’employabilité des étudiants et d’internationalisation.

À la recherche de l’employabilité étudiante

Comme le dit un responsable universitaire sénégalais, « la thématique de l’employabilité est quotidiennement au cœur des activités des universités. Pour nous, l’employabilité, la qualité et le service à la communauté sont des thématiques très intéressantes et très liées ».

À peu de choses près, la plupart des dirigeants africains partagent une telle affirmation. Tous sont en effet convaincu que le développement de leur pays passe désormais par leur capacité à transformer profondément leur système économique pour aller vers des économies modernes, soucieuses comme toutes les autres des objectifs de développement durable affichés par la communauté internationale, et que la tentation pour les pays sous-développés de recourir aux énergies fossiles, dont ils regorgent parfois, pour rattraper leur retard, ne pourra être évitée qu’à ce prix.

Le développement de l’enseignement supérieur et de la recherche n’est donc pas seulement un problème économique ou social. C’est aussi un problème éminemment politique, qui suppose que la répartition, non seulement des revenus, mais plus encore des capacités cognitives et de recherche, ne profite plus seulement aux pays développés. Sauf à vouloir conforter les formes de néocolonialisme associées à l’inégalité des échanges.

D’où la difficulté à comprendre pourquoi ces mêmes dirigeants politiques font si peu d’efforts dans leurs politiques publiques en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche ou de la transition numérique, imitant en cela les grandes organisations internationales qui semblent n’avoir toujours pas compris l’importance de l’enjeu.

Université de Thiès au Sénégal : parcours d’étudiants, RFI, 17 juin 2019.

L’indispensable internationalisation

Quant à l’internationalisation, elle est vue à la fois comme une solution indispensable aux problèmes de financement, notamment pour une recherche encore quasiment inexistante, mais aussi comme la compréhension des liens indispensables que tout établissement doit avoir non seulement avec ses homologues nationaux, mais plus encore avec ses homologues étrangers, ne serait-ce que pour conforter la qualité des formations délivrées et bénéficier de la dynamique des réseaux scientifiques internationaux.

Le fait que l’enseignement supérieur soit délivré en langue étrangère (français ou anglais, voire espagnol ou portugais selon l’appartenance antérieure à un ancien empire colonial) dans de nombreux pays peut être considéré comme un atout, même si cela soulève, par ailleurs, une question plus lourde, celle de la déconnexion entre langues des élites et langues nationales et donc celle du risque de déconnexion entre les universités et leurs territoires. Question qui pourrait être soulevée, à terme rapide, au fur et à mesure de l’extension du système universitaire.


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« Décoloniser les esprits », comme dit le philosophe Mudimbe est toujours le plus difficile.

On ne pourra le faire dans les pays en voie de développement que si la mission sociétale des universités y joue pleinement son rôle et que les États concernés comme la solidarité internationale en tirent toutes les leçons.

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