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L’espace marchand, symbole d’une consommation contestable ?

Le Palm Shopping Mall de Lagos au Nigeria.

Consommer autrement, mieux, moins ? Le 26 janvier dernier, L’Obsoco organisait à l’ESCP Europe une journée de réflexion sur le thème « Dé-penser la consommation ». Partenaire de ce colloque, The Conversation publie les différentes interventions des chercheurs participants. Des podcasts du colloque, réalisés par Moustic, sont à découvrir à la fin de chaque article.


L’espace marchand semble devenir le symbole d’un mode de consommation contestable. Il devient un sujet politique, désigné comme l’expression d’une forme de consommation mondialisée et imposée.

Mais la mondialisation marchande prend de multiples formes : de la production de centres commerciaux à la réinvention du souk oriental, du commerce à la valise aux « souks Dubaï ». Et les uns et les autres ne subissent pas la même controverse : quand le McDo de Millau est détruit en 1999 ou qu’en 2013 le projet d’un centre commercial à Istanbul est contesté, de nombreux autres se construisent ou s’organisent dans une relative indifférence, sinon une certaine attente.

La diversité des formes d’espaces marchands mondialisés et les partenariats qui les produisent reflètent alors combien les espaces marchands sont des lieux de contestation comme des lieux d’identification.

L’affaire du McDo détruit à Millaud en 1999 (Ina Société, 2012).

L’expression visible de la mondialisation

La mondialisation n’est pas un phénomène nouveau, ni récent. Théorisée à partir du XXe siècle, elle a fait l’objet de nombreux débats pour connaître sa nature et sa chronologie.

Il faut tout d’abord rappeler que si les échanges marchands ont plusieurs millénaires, le terme pour désigner cette internationalisation date de 1961 (Webster’s Dictionnary). Il apparaît d’abord dans le monde anglophone avec « globalization » et désigne avant tout les échanges économiques.

Aucun autre mot n’est employé dans la langue anglaise, avec l’élargissement des aspects de la globalization, on ajoute simplement sa caractéristique : culturelle, financière, politique, etc.

En français, la traduction de globalization par « mondialisation » a entraîné un débat sur la nature de celle-ci, et a finalement conduit à employer deux termes : soit globalisation, soit mondialisation qui, pour certains, élargit le processus à une dynamique multidimensionnelle.

L’analyse du processus de la mondialisation est devenue pluridisciplinaire et a donné lieu à de nombreuses productions, dont celles de géographes car il s’agit d’un processus qui impacte fortement les territoires et participe à leur organisation. C’est ainsi qu’Olivier Dollfus propose l’idée d’un « système-monde » et élabore aussi le schéma d’un archipel mégalopolitain mondial, soit un ensemble de grandes métropoles qui contribuent à la direction du monde.

Le mot mondialisation est employé désormais pour désigner les échanges internationaux qui se sont formalisés au cours de l’histoire entre plusieurs régions du monde : route de la soie, ligue hanséatique associant de grandes villes marchandes, etc. Aujourd’hui, on identifie même une mondialisation « par le bas », qui se différencie de celle « du haut » par ses membres, ses réseaux, ses circuits.

Cette référence aux réseaux d’échanges marchands comme « précurseurs » de la mondialisation va peu à peu s’affirmer avec la mondialisation contemporaine. Dans les années 1980, Kenichi Ohmae, économiste, met en évidence le rôle des grandes firmes comme agents principaux de la mondialisation. Par leur restructuration et leur extension au-delà de leurs frontières, elles sont devenues des entreprises transnationales profitant d’une nouvelle organisation mondiale du commerce favorisant le libre-échange. Parmi ces grandes firmes, on trouve celles de la grande distribution qui par le jeu des fusions-associations s’étendent horizontalement et verticalement, combinant parfois le financement et la production des espaces marchands jusqu’à la distribution des biens de consommation.

Ces entreprises de la grande distribution sont souvent les plus identifiées par les citoyens, consommateurs urbains ou ruraux, car elles sont présentes dans leur paysage familier, dans le territoire quotidien de leurs déplacements et dans leurs univers d’approvisionnement. Elles deviennent alors, en quelque sorte, l’expression visible de la mondialisation.

Aujourd’hui, avec les récentes vagues de migration, l’image de la « mondialisation » a été élargie, mais elle reste encore étroitement associée aux échanges marchands. C’est d’ailleurs la définition retenue en 2005 par une banque dans une enquête sur la perception de cette notion en Europe ; soit « l’ouverture générale de toutes les économies qui conduit à la création d’un véritable marché mondial », avec les termes « production délocalisée », « conditions de production », « coût environnemental des exportations » qui sont fréquemment associés à la mondialisation ; quant aux marques et aux enseignes, elles en sont des marqueurs désignés.

Des espaces marchands exogènes ?

Les espaces marchands sont devenus aujourd’hui parmi les formes les plus visibles d’une consommation mondialisée dans l’espace public. Cependant derrière ce terme, il y a une grande diversité de formes commerciales : du souk ou Grand bazar d’Istanbul aux nouveaux centres commerciaux associant commerces et loisirs ; du marché de quartier associant producteurs locaux et commerçants internationaux aux quartiers-marchés et petits Dubaï en passant par les Grands Magasins, on le voit, l’espace marchand mondialisé relève autant de la proximité sociale ou géographique que de la distinction sociale, culturelle ou économique.

Les espaces marchands mondialisés sont le résultat d’investissements associant souvent des promoteurs, des constructeurs, des agences locales, nationales et internationales. Ainsi, le Palms Shopping Mall de Lagos au Nigeria et l’Accra Mall d’Accra au Ghana sont clairement inscrits dans une logique planétaire. Ils ont été conçus et réalisés entre 2006 et 2008 par une agence sud-africaine, BAI (Bentel Associates International), qui a construit depuis 2000 une quinzaine de malls en Afrique, Inde et Arabie Saoudite, et ACTIS Capital, une firme « née » britannique et spécialisée dans le montage financier d’espaces commerciaux dans les pays émergents.

En Turquie, Carrefour implanté à Istanbul en 1993, devenant Carrefour-Sa en 2011 lorsque l’entreprise s’est associée au célèbre groupe turc Sabanci. À côté de ces nouveaux espaces commerçants, d’autres, plus anciens, séduisent aussi les investisseurs à toutes les échelles.

Construction du « parc » commercial de Umhlanga, en Afrique du Sud. Bentel Associates International

Mais les espaces marchands de la mondialisation ne sont pas ces seuls centres commerciaux ou grands magasins. D’autres s’organisent au sein des quartiers dans les villes, mais aussi dans les périphéries, mixtes dans leur diversité sectorielle et culturelle ou fortement associés à un secteur du commerce ou à une aire géographique.

Sans aller jusqu’à San Francisco ou Montréal, il suffit de se rendre dans le quartier parisien de Château Rouge du XVIIIe arrondissement pour trouver, dans des boutiques tenues par des Africains mais aussi des Asiatiques ou encore des Européens, de nombreux produits du continent africain : il s’agit bien d’un espace marchand mondialisé qui rayonne de l’échelle locale à l’échelle nationale sinon internationale. Dans le Xe arrondissement, c’est un espace marchand tamoul, « Little Jaffna », ailleurs ce sera chinois. Ces derniers ont organisé le commerce de gros dans le XIe d’abord et aujourd’hui à Aubervilliers, devenant l’une des trois plateformes du commerce de gros européen. Les produits viennent comme pour de très nombreux espaces marchands, à l’échelle mondiale, de Chine. En effet, en Algérie, à Oran, en Égypte, au Caire ou au Sénégal, à Dakar, c’est là que s’approvisionnent les commerçants, grossistes ou semi-grossistes vendant aux détaillants, installés parfois à quelques centaines de mètres, dans les Souks Dubaï, mais aussi dans les centres commerciaux. On le voit, des circuits internationaux s’organisent dans les Nords comme dans les Suds.

Contestation… et fréquentation

Alors pourquoi certains deviennent-ils des sujets de contestation quand d’autres apparaissent intégrés ?

La réponse se trouve dans les dynamiques locales et leur façon de conjuguer avec les enjeux de la mondialisation : le McDo de Millau en 1999 devient l’un des premiers symboles de l’exigence normative d’une consommation mondialisée ; le projet de centre commercial à Istanbul renvoie d’abord aux refus des habitants d’un quartier avant de devenir un symbole de l’opposition d’une partie du peuple turc vis-à-vis de son président.

Mais le « Souk Dubaï » de Médina Jdida à Oran reconfigure un marché local plutôt populaire, déjà bien identifié et sa transformation par les produits « made in China » va de pair avec des changements dans la société algérienne ; le Sea Plaza, centre commercial ouvert en 2010 à Dakar et situé en bord de mer, renvoie à un espace commerçant moderne et distractif dans lequel la population pratique la déambulation et sociabilise. À Paris, les Grands Magasins sont autant des établissements associés au commerce international qu’à l’identité de la ville ; Château Rouge est un quartier populaire international et… parisien.

Il n’y a ainsi pas de modèle d’espaces marchands mondialisés unique comme il n’y a pas de modèle de contestation général et unique : l’articulation des échelles locales et globales entraînent selon les cas des effets différents, et même divergents. C’est aussi ce qui fait la richesse de la production d’espaces marchands.

Dé-penser la consommation : « De MacDo à la place Taksim : l’espace marchand comme symbole d’un mode de consommation contestable ? » par Nathalie Lemarchand. Obsoco/Moustic24.6 MB (download)

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