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LFI : du pari à la mutation ?

Photo de groupe avec LFI, Jean Luc Mélenchon et nombreux députés Nupes devant l'Assemblée nationale
Jean-Luc Mélenchon pose au milieu des membres de son mouvement LFI et de députés de l'alliance Nupes le 21 juin 2022. Julien De Rosa/ AFP

L’épisode d’effervescence politique que connaît actuellement la France et ses trois principales forces politiques – le centre-droit incarné par Emmanuel Macron et ses alliés, le Rassemblement national (RN) et l’alliance de gauche autour de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) – interroge non seulement les modalités de la participation politique, à l’aune d’une abstention toujours plus importante, mais aussi la position qu’occupent ces trois forces.

Le RN, fort de ses 89 députés, peut désormais compter sur une assise solide au parlement. Emmanuel Macron et ses soutiens tirent les leçons du revers législatif. Le chef de l’État espère plusieurs compromis : partisans mais peut-être aussi programmatiques et institutionnels, afin d’assurer une continuité gouvernementale. Enfin, au cœur de la Nupes, La France Insoumise, LFI, détermine sa stratégie pour les semaines à venir.

Or beaucoup s’interrogent : son leader, Jean-Luc Mélenchon, peut-il garder une forme de mainmise sur la vie parlementaire en n’étant plus lui-même député ?

Après les résultats, le leader de 73 ans a très vite appelé ses alliés de la Nupes à poursuivre l’alliance électorale et programmatique sous la forme d’une vraie force politique au sein d’un seul groupe parlementaire. Proposition qui a été immédiatement rejetée par les principaux intéressés, désireux et capables de s’émanciper des stratégies du leader des Insoumis. En effet, grâce à cette alliance, les partis obtiennent le découpage suivant : 72 sièges pour LFI, 24 pour le Parti socialiste (PS), 12 pour le Parti communiste français (PCF) et 23 pour Europe-Ecologie Les Verts (EELV).

Au sein de LFI en revanche, s’affranchir de la ligne directement portée par Jean-Luc Mélenchon demeure plus complexe. Le mouvement créé en 2016 – et non parti, terme que le fondateur et les militants récusent – est principalement incarné par l’ancien sénateur de l’Essonne.

C’est lui encore qui a formé une génération de jeunes trentenaires, souvent issus de sa formation précédente, le Parti de Gauche. Ainsi, en témoignent les parcours de Mathilde Panot, Adrien Quatennens, Manuel Bompard, Ugo Bernalicis, députés dont le capital politique se fonde sur celui de leur mentor.

Dans ce contexte, difficile d’imaginer que ses lieutenants se désolidarisent de ce qui a fait le noyau dur de LFI, rassemblé autour de son chef.

Plus de courants qu’il n’y paraît

En revanche il convient d’analyser les autres tendances au cœur de LFI qui ont été déterminantes dans la création et le projet d’union de la gauche. Le mouvement n’est pas, selon nos recherches, un bloc monolithique. S’il existe un courant « mélenchoniste » il existe aussi un courant « ruffiniste » autour du militant François Ruffin et son réseau issu notamment du média Fakir.

Des divergences existent. Par exemple, au sujet du concept de France périphérique de Christophe Guilly, expression utilisée par François Ruffin, mais récusée par le chef de file des Insoumis.

Concernant l’Union européenne ensuite. Ainsi, François Ruffin revendique ses « pulsions protectionnistes » quand Mélenchon a tergiversé en abandonnant progressivement la stratégie dite du plan B qui envisageait une possible sortie de l’UE.

Rappelons par ailleurs qu’aux élections législatives de juin 2017, François Ruffin fut le seul député français élu avec le soutien de l’ensemble des partis politiques de gauche. Il préfigurait, avec cinq années d’avance, la future Nupes.

Une autre tendance apparaît aussi autour de Clémentine Autain. C’est elle qui dès juin 2019 avait appelé à un « big bang de la gauche ». Jean-Luc Mélenchon rejetait à l’époque cette option stratégique avant d’admettre, après la présidentielle de 2022, le projet de la Nupes comme seule issue possible pour imposer les forces de gauche sur l’échiquier politique.

La Nupes est donc aussi bien une victoire pour Ruffin et Autain que pour Mélenchon.

Or rien ne garantit aujourd’hui, à l’issu des législatives, que ces trois tendances ne vont pas effriter peu à peu le ciment sur lequel elles reposent.

Sous un vernis consensuel, une culture de la verticalité

Autain comme Ruffin, et bien sûr Mélenchon, ont réussi à agréger et consolider un solide réseau militant. Et, comme je le montre dans mes enquêtes de terrain pendant trois ans au sein de LFI, s’il existe parfois une forme d’admiration chez les plus jeunes pour le leader, les relations entre les cadres et les militants demeurent assez souples.

Il n’existe pas, par exemple, de mainmise hiérarchique, d’intermédiaires tout puissants, comme peuvent parfois l’affirmer d’anciens courtisans qui dépeignent désormais la France insoumise en mouvement « dictatorial ». Certes la culture autour de l’homme providentiel, le leader puissant existe, mais elle assez banale dans la culture politique de la Vᵉ Rép et la médiatisation des personnalités politiques comme le montre d’ailleurs Vincent Martigny.

En revanche, il est intéressant d’analyser la façon dont LFI structure ces réseaux et pense le mouvement. La base militante bénéficie d’une grande autonomie, la charte du mouvement promet une forte horizontalité, plus de démocratie, de consensus. Cependant, on observe que les moyens financiers et matériels mis en œuvre pour parvenir à cette promesse font défaut. Dans les faits, les décisions sont prises de façon verticale et le mouvement fonctionne de manière assez rigide.

Ainsi, la stratégie LFI a été de faire de la présidentielle un enjeu politique principal au détriment d’autres formes de militantisme. De la même façon, les militants n’ont pas accès aux grandes décisions stratégiques, et ont une faible marge de manœuvre sur les décisions programmatiques. Il n’existe pas de système de vote sur les programmes ou les investitures contrairement au PS par exemple, au PC et à EELV : Mélenchon décide seul avec sa garde rapprochée.

Un turn-over important

Ce fonctionnement suscite un turn-over important dans le mouvement. Le départ de Charlotte Girard, responsable du programme durant la campagne présidentielle de 2017, en constitue l’exemple le plus éloquent. Il n’existe pas de fidélisation des militants LFI hormis ceux qui ont eu accès à des postes d’assistants parlementaires par exemple lors du premier quinquennat, soit quelques dizaines de personnes sur un mouvement comptant une base militante de plusieurs milliers. Dès la fin de l’année 2017, 9/10e des personnes ont quitté le mouvement, même si elles ont pu poursuivre leur engagement politique ailleurs : associations pour le climat, bénévolat, syndicalisme. Rappelons aussi que le fait d’adhérer à LFI (gratuitement et en quelques clics sur Internet) n’engage aucunement à s’investir au sein d’un groupe d’action. Autrement dit, le nombre de militants est largement inférieur au nombre de membres.

Ce mode de gouvernance au sein de LFI peut être déstabilisant pour les alliés de la Nupes qui ont un tout autre fonctionnement. La gauche dans sa globalité s’est réorganisée et a, d’une manière inédite au XXe siècle, fait union autour de la plus radicale des formations politiques de gauche. Ces militants doivent désormais apprendre à collaborer ensemble : en dépit des hypothèses émises par certaine, une désunion semble, à court terme, difficilement envisageable. L’union a été plébiscitée par une part importante des sympathisants de gauche, et si la victoire n’a pas été complète, notamment pour Jean-Luc Mélenchon, le fossé qui sépare la Nupes et la Macronie demeure plus important que les tensions entre les formations de gauche.

Une délicate culture du compromis

Reste à imaginer comment LFI parviendra à s’imposer dans l’arène politique sur le temps long. Le manque de pluralisme et la verticalité imposée par Jean-Luc Mélenchon a certes laissé place à une accélération de la culture du compromis lors de la constitution de la Nupes. Mais cet assouplissement de la machine idéologique pour travailler de concert avec des alliés peut-elle se traduire par un investissement équivalent sur les bancs de l’Assemblée ?

Les règles institutionnelles de la Ve ne favorisent pas cette culture. Le fait majoritaire et la prééminence de l’exécutif sur le législatif n’incitent pas ou peu à passer des compromis.

Notons cependant que la Ve République a beaucoup évolué au cours des soixante dernières années et il semble que, tant du côté de la majorité présidentielle que du côté de la Nupes, la quête de compromis s’impose désormais.

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