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L’histoire nationale racontée… par les élèves

Mon premier livre d'histoire de France, CE1 (1946). L.Brossolette/M.Ozouf

Le débat public s’enflamme régulièrement en France sur la question de la transmission de l’histoire nationaleaux élèves. Pour les uns, l’histoire de France ne serait plus enseignée ou bien son enseignement oublierait des pans entiers de l’histoire forgeant une identité nationale en danger. D’autres critiques portent sur une reconnaissance insuffisante de certains groupes dans une histoire nationale qui ne leur ferait guère de place.

Ces critiques correspondent à des références idéologiques, à des projets politiques et à des conceptions de l’enseignement de l’histoire qui, pour légitimes qu’ils soient, ont le défaut de ne reposer sur aucune donnée empirique. Ce constat a présidé à l’enquête qui a donné lieu à un ouvrage collectif, Le récit du commun : l’histoire nationale racontée par les élèves, dont certains éléments seront relayés par The Conversation.

Le récit du commun, Presses Universitaires de Lyon, parution le 13 octobre 2016. PUL, Author provided

Choisissant de nous tourner vers ceux qui sont en phase d’apprentissage de l’histoire, nous avons souhaité étudier la réception que des jeunes scolarisés avaient des connaissances historiques qui leur sont transmises de différentes façons. L’enquête a ainsi été conduite auprès des élèves situés en fin de cycle scolaire, 11-12 ans ; 15-16 ans et 18-19 ans.

La persistance de la place de l’histoire nationale dans un contexte de mondialisation et de développement de niveaux de décision infra et supra nationaux, n’allait pas de soi.

Structurait-elle encore la vision historique de la jeunesse scolarisée ? Comment la diversité géographique, sociale et culturelle influait-elle sur la façon de restituer l’histoire nationale ?

Le recueil de récits de l’histoire nationale

Plutôt que de faire un Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves des connaissances scolaires sur l’histoire nationale, nous avons pris un autre chemin : recueillir des récits d’élèves dans différents pays. Pourquoi des récits ? C’est en effet rarement sous cette forme que les connaissances des élèves sont sollicitées. Particulièrement depuis les années 1970 et jusqu’à récemment en France, les instructions officielles, les manuels scolaires, les formations d’enseignants ont mis le récit à distance. Il a rarement été conçu comme un moyen d’accéder à des savoirs historiques.

Victoire de Vercingetorix à Gergovie, telle que représentée dans un ancien manuel d’histoire français. Author provided

Ont été alors privilégiés la démarche historienne par l’étude de documents, leur mise en relation, et des exercices privilégiant des formes de rédaction courtes : réponse à des questionnaires par une ou quelques phrases, commentaire lapidaire d’un document, reproduction d’un bref résumé pour les plus jeunes, dissertation organisant le texte selon une forme attendue pour les plus avancés.

En dehors de la classe, en revanche, les élèves ont accès à un grand nombre de récits historiques de formes et de contenus variés, transmis dans le milieu familial, par la télévision, le cinéma, la littérature, des jeux vidéo, Internet, etc.

La première saison de la série Vikings, diffusée sur la chaîne canadienne History, a fait près de 4,3 millions de téléspectateurs en France. History

Par ailleurs, le récit est redevenu central pour les historiens et pour ceux qui se préoccupent de l’apprentissage. Ricœur a, en 1983, a souligné la dimension narrative des textes historiques et la place structurante de l’intrigue qui l’organise. La narratologie contemporaine a, de son côté, montré comment le récit est une stratégie de communication. Tandis que pour Jérôme Bruner, le récit est le moyen de donner forme à l’expérience, de comprendre le monde, de se l’approprier, de s’y projeter entre passé et devenir, à partir du monde présent. Il en conclut que le récit a à voir avec la culture car l’imitation dont il témoigne inscrit l’homme dans une culture.

S’intéresser aux récits des élèves n’était pas non plus complètement nouveau. En effet, Jocelyn Létourneau avait déjà réalisé en 2014 une enquête auprès de 4 000 jeunes Québécois de niveaux scolaires, de langues et de cultures variées vivant dans des villes et régions différentes, en leur demandant de raconter l’histoire du Québec.

Une enquête dans plusieurs pays

La construction d’États-nations en Europe ayant suivi des voies singulières, nous avons choisi de prendre comme terrains d’enquête des situations aussi variées que la France, l’Allemagne, la Suisse et la Catalogne afin d’identifier des invariants possibles dans les récits des élèves et de comprendre le sens de leurs variations.

Après avoir constitué une équipe de recherche internationale pluridisciplinaire (histoire, sociologie, narratologie, didactique), le recueil de récits de l’histoire nationale a été fait en 2011-2012 à partir d’une consigne simple dans un cadre garantissant l’anonymat. Pour la France : « Raconte l’histoire de France ».

L’histoire est souvent récitée à travers des personnages, des mythes, des icônes. Nirzar Pangarkar, CC BY

Précisons qu’il ne s’agissait pas d’une évaluation scolaire et que l’enquête ne dit rien du travail des enseignants, ni même ce que des consignes plus précises auraient pu produire, mais l’enquête nous renseigne sur la façon dont les élèves restituent, sous la forme d’un récit, ce qui leur a été transmis par différents canaux à propos de l’histoire nationale. La première question était complétée par deux autres :

  • « Comment sais-tu tout ça ? »

  • « Si tu avais à résumer, en une phrase, une expression ou un mot l’histoire de France, qu’écrirais-tu personnellement ? ».

Pour la France, le traitement quantitatif et qualitatif des 5823 récits recueillis a fait ressortir plusieurs thèmes. D’autres ont été explorés par les chercheurs. Les thèmes finalement retenus ont été les personnages, le politique, les guerres, la religion, le territoire ainsi que l’origine, déclarée par les élèves, de leurs connaissances.

Des résultats inédits

L’ampleur et la diversité du corpus permettent d’étayer des résultats inédits et robustes qui vont à l’encontre de certaines de nos hypothèses et de bien des discours publics. Ils ouvrent aussi des pistes de réflexion et d’action pour la diffusion des savoirs historiques en milieu scolaire ou ailleurs.

La mise en regard des corpus des différents pays souligne une convergence concernant la tendance des jeunes à mélanger faits historiques scientifiquement établis et représentations sociales historiques circulant dans une société à un moment donné. Ils racontent l’histoire depuis le présent et y cherchent du sens. Les résultats montrent aussi des différences importantes, selon les pays.

La richesse de cette enquête, d’ampleur inhabituelle, permet de battre en brèche bien des idées reçues. Les élèves ont des connaissances, ils partagent un récit commun de l’histoire nationale. Les variations selon les pays montrent cependant des rapports différenciés à l’histoire et à la nation.

Face à la consigne intimidante qui leur était donnée, les jeunes, scolarisés en France, interrogés ont exprimé leur fierté de l’histoire nationale et une vision à la fois humaniste et optimiste de l’histoire de leur pays dans laquelle les guerres jouent un rôle décisif et le politique structure le sens de l’histoire tandis que le panthéon, marqué par certaines permanences, connaît aussi des évolutions et une mobilisation des personnages historiques de façon plus iconique que comme des acteurs aux actes bien identifiés.

Par exemple, les élèves évoquant l’origine de l’histoire de France (tous ne le font pas), l’associent majoritairement au Gaulois et à la Gaule (plus de 1700 récits), comme dans ce récit :

« Au tout début la France s’appelait la Gaule, pendant des siècles il y a eu des guerres et des empires mais c’était toujours la monarchie. Des siècles ont passé. Et finalement, à l’époque du roi Louis XVI il y a eu une révolution. Depuis nous élisons un président et c’est la république et la démocratie ». (récit n°1968)

Mais nombreux sont aussi ceux qui lui attribuent une autre origine (la Révolution française, la Première Guerre mondiale, par exemple) comme ces extraits de récits l’indiquent :

« L’histoire de France commence à la 1ère guerre mondiale qui a été la plus importante car, elle a changé beaucoup de choses. […] » (récit n°3857).

« L’histoire de la France débute lors de la Révolution avec la prise de la Bastille en 1789. […] » (récit n° 2669)

La religion a par ailleurs une place limitée dans des récits très sécularisés montrant une méfiance à l’égard de la dimension temporelle du religieux. Enfin, contrairement à une de nos hypothèses, le territoire joue un rôle minime face à un récit très nationalisé. L’école, ses dispositifs et objets restent leur première source de savoir, d’après les élèves, mais la famille et certaines pratiques sociales jouent également un rôle. En revanche, Internet est peu identifié comme source de savoir historique.

Le tableau dressé à l’issue de cette enquête peut être une source de réflexion pour l’enseignement de l’histoire et constituer un jalon pour que, dans quelques années, une autre enquête puisse comparer les résultats, alors que le récit est remis à l’honneur dans l’enseignement de l’histoire.

L’équipe, dirigée par Françoise Lantheaume, était composée, en France, de Vincent Chambarlhac (université de Bourgogne), Laurence De Cock et Sébastien Urbanski (université Lyon 2), Benoît Falaize (université Cergy-Pontoise), Bruno Garnier et Christelle Mazière (université de Corse), Raoul Lucas, Stéphane Guesnet et Mario Serviable (université de la Réunion), Angelina Ogier Cesari (ESPE de Lyon), Frédéric Mole (université de Saint-Étienne) ainsi que d’enseignants associés à l’Institut français de l’éducation (IFE-ENS) (Jacqueline Brégeard, Stéphane Clerc, Laurence de Cock, Églantine Wuillot) et de Valérie Fontanieu, statisticienne à l’IFE-ENS. En Allemagne, Peter Carrier (Institut Georg Eckert, centre de recherche internationale sur les manuels scolaires, Braunschweig). Pour la Catalogne, Neus González-Monfort, Joan Pagès-Blanch, Antoni Santisteban-Fernández (université autonome de Barcelone) et Edda Sant-Obiols (Manchester Metropolitan University). Et en Suisse, Charles Heimberg, Valérie Operiol et Alexia Panagiotounakos (université de Genève). Jocelyn Létourneau a joué un rôle de conseiller.

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