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L’humain est-il au centre de l’univers ?

L'humain semble bien petit au regard de l'univers. Greg Rakozy / Unsplash, CC BY-SA

Selon la percutante formule de Pascal, dans l’univers nous occupons « le milieu entre rien et tout ». Aujourd’hui la science quantifie ces bornes, nous savons être entre 10-18 mètres, le rien des particules, et 1026 mètres, le tout de l’univers. Cette connaissance est l’aboutissement de trois siècles de progrès. Les physiciens croient en l’objectivité de la nature, et la science s’est construite avec pour pierre angulaire la loi de cause à effet, l’expérience devant valider toute prédiction théorique.

Pourtant certaines coïncidences numériques semblent beaucoup trop ad hoc pour être en accord avec notre sens de la vraisemblance, c’est-à-dire l’idée que ce qui est réalisé n’a rien de particulièrement improbable. Cette constatation incite à une direction de pensée qui brise la stricte procédure, on parle de principe anthropique selon lequel les choses ont été faites en vue de notre apparition.

Une Terre bien accueillante

Un premier exemple est donné par notre Terre. La vie a surmonté beaucoup d’obstacles pour s’y greffer. Le soleil possède la bonne dimension et rayonne l’énergie suffisante. Son âge est satisfaisant en tant qu’étoile. La taille de la Terre est adaptée et sa distance à l’astre convenable. Sa nature rocheuse retient une atmosphère essentielle à l’effet de serre qui préserve une température clémente. La Lune permet les marées que certains jugent à la source de la chimie de la vie. Nous vivons sur Terre parce que des conditions très spéciales y sont réunies.

À moins de penser que nous sommes le produit d’une coïncidence tout à fait improbable ou d’un dessein intelligent, il faut supposer que notre univers contient un grand nombre de planètes tel que la probabilité d’apparition de la vie sur l’une d’elles ne soit plus dérisoire. Une très grande statistique est un préalable.

L’univers contient 100 milliards de galaxies avec chacune 100 milliards d’étoiles. Les chances de trouver une bonne planète ne sont plus négligeables, la vraisemblance est préservée et le principe anthropique devient caduc. Ceci amène à penser que d’autres planètes ici ou là ont fécondé la vie.

Mais l’argument planétaire ne répond pas à l’ajustement des constantes de la physique qui caractérise notre univers. En effet, en l’examinant finement, celui-ci semble merveilleusement accordé. Les paramètres qui dictent les comportements de la matière ont précisément des valeurs nécessaires. Beaucoup de tels exemples existent.

En premier lieu, si la différence de masse entre le neutron et le proton avait été plus petite, le neutron serait quasi-stable, les étoiles auraient explosé à un âge précoce, la genèse de la vie aurait été impossible. Si la différence avait été plus élevée, la durée de vie du neutron devenait plus courte, diminuant le rapport entre populations de neutrons et protons et le big bang évoluait de manière drastiquement différente.

De même, il en est du rapport entre masses du proton et de l’électron, de la valeur de la constante de structure fine ou de la vitesse d’expansion de l’univers. Grossissant plus vite les étoiles ne se formaient pas, une évolution plus lente aurait condensé la matière en structures denses de type trous noirs. Une variation modeste de l’une ou l’autre des grandeurs en jeu aurait chamboulé l’évolution et nous ne serions pas ici pour en discuter les tenants et les aboutissants. Des détails secondaires de chimie déterminent des conditions essentielles. Ceci va à l’encontre de la vraisemblance, sauf à invoquer un nouvel argument statistique.

Le principe anthropique

Le point de vue anthropique s’appuie donc sur la difficulté statistique d’expliquer ces bienvenues coïncidences. Notons que les paramètres examinés ont même valeur partout dans l’univers. On ne vit pas dans un îlot privilégié de l’espace. En pratique, l’approche conteste la seule cause du hasard dans notre venue et encourage une réflexion sur la possibilité d’un dessein. L’argument est à prendre avec précaution, il ose indiquer une finalité.

Dans sa version la plus anodine, le principe anthropique impose des lois naturelles compatibles avec notre existence. C’est presque un truisme, mais la réflexion peut être contraignante ; le principe permet de sélectionner une plage réduite de valeurs permises pour la vitesse d’expansion de l’univers. Ces « explications » issues du principe anthropique n’ont de sens que si d’autres arguments manquent, mais tant qu’on ne découvre pas la « théorie du tout », le choix des constantes physiques reste entièrement mystérieux.

Il n’existe pas encore de théorie ultime faisant dériver les constantes fondamentales de grands principes. C’est le graal que recherchent activement les théoriciens, mais pour le moment les valeurs en question semblent choisies aléatoirement. Or le hasard se montre particulièrement bienveillant. Évidemment, si la vie ne s’était pas développée, personne ne s’en inquiéterait, mais nous existons. Alors, un plan extérieur est-il à l’œuvre ?

Un univers peut en cacher mille autres

Une réponse possible est proposée par le modèle récent du Multivers qui fait vaciller le principe anthropique. Peu après le big bang, notre univers serait passé par une expansion très rapide, l’inflation. Pendant cette phase extrêmement courte, les dimensions ont cru de manière exponentielle. Cette hypothèse est avancée pour expliquer l’isotropie et l’homogénéité du cosmos.

Si notre univers est né ainsi, aucune raison n’interdit une série de fluctuations parallèles. Une séquence quasi-infinie d’univers se crée parce que, quand le vide excité engendre un univers, le reste de l’espace continue à grandir exponentiellement, et d’autres bulles se forment.

NGA multiverse light Sculpture 4. Mr.TinDC/Flickr, CC BY

Un nombre illimité de big bang se développent, séparés par des espaces rapidement distendus et donc sans communications. Or l’inflation peut survenir de manière différente dans chacun des big bangs. Les constantes y prennent des valeurs diverses impossibles à prédire. Cela semble indiquer qu’il n’existe pas de grands principes à l’œuvre.

Ce concept de Multivers découle de la théorie des cordes qu’on échafaude à partir du modèle standard des particules. Cette théorie ambitionne de réconcilier la gravitation avec les trois autres interactions du monde microscopique. Certains modèles prédisent l’existence d’un nombre immense d’univers différents, 10 500 dénombrant les possibilités de « compactification » des dimensions supplémentaires d’espace-temps. Mais tout ceci demeure très spéculatif, non falsifiable et voué à rester au niveau de la croyance.

La physique dépend de l’univers considéré. Le nôtre n’est plus caractéristique de la structure globale. Ailleurs, les constantes et les lois pourraient être autres, le nombre de dimensions différent, et nous vivons dans l’univers qui nous est propice. La théorie du Multivers généralise l’idée invoquée pour la Terre : une bulle de vide anthropiquement acceptable resterait très rare, mais le nombre de bulles est presque infini. Épicure enseignait : « Ce n’est pas seulement le nombre d’atomes, c’est celui des mondes qui est infini dans l’univers ». Il ne croyait pas si bien dire.

Un problème théologique inédit

Avec le Multivers, l’existence d’un milieu adapté à notre apparition devient statistiquement possible, et l’alibi anthropique s’effondre. Ceci donne une vision complètement renouvelée de notre petitesse. Après le géocentrisme, l’héliocentrisme prit l’ascendant. Puis le monde s’élargit à notre galaxie interprétée comme un amas d’étoiles. Elle-même s’est vite retrouvée une parmi une multitude. La cosmologie moderne donne le vertige. Et maintenant, cet univers à peine apprivoisé par la pensée ne serait qu’une infime partie du tout.

Les conditions d’apparition de la vie sont très contraignantes. Pour que la vie n’implique pas un hasard prodigieux, il faut imaginer un nombre énorme d’univers différents. Que de dangers potentiels nous avons franchis ! Le principe anthropique de départ semblait favoriser l’idée d’un dessein dans notre apparition, la théorie du Multivers nous replonge dans un gigantesque chaos. Alors, ce scénario peut-il rendre inutile l’idée de Dieu ? Encore faut-il se demander de quel Dieu ? Einstein dit croire au Dieu de Spinoza, un Dieu qui imprègne le monde. Il a fixé les lois et les constantes physiques et tout est déterminé à partir d’un moment initial. Mais alors, si chaque univers est doté de son jeu de lois et de constantes, possède-t-il son propre Dieu de Spinoza ? Dans ce scénario, faut-il imaginer un super-Dieu au-dessus des Dieux particuliers ? Le problème théologique dérape rapidement.

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