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Limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C ? La question qui brûle

Andrea Zeppilli, CC BY-NC-SA

Contenir le réchauffement global en dessous des 2 °C d’ici à la fin du siècle, tel est l’objectif que se sont donnés les 196 États, ou groupements d’États, en adoptant l’Accord de Paris en décembre 2015. Mais cela ne sera en rien suffisant, ont récemment alerté nombre de scientifiques, dont le célèbre climatologue James Hansen :

Nous avons amélioré notre niveau de vie en ayant massivement recours aux combustibles fossiles, si le reste du monde fait de même, nous sommes “tous cuits”.

La nécessité de porter la limite du réchauffement à 1,5 °C a été initialement soutenue par une coalition de petits États insulaires, particulièrement vulnérables aux changements climatiques, lors de la COP21 fin 2015. Une préoccupation que l’on retrouve dans le texte de l’Accord de Paris où il est proposé, dès les premiers paragraphes :

[…] de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C.

Au titre de l’Accord, les États ont donc demandé au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de « produire en 2018 un rapport spécial sur l’impact d’un réchauffement global de 1,5 °C […] et sur les profils des émissions de gaz à effet de serre (GES) correspondantes ». Le GIEC ayant répondu positivement, un appel aux experts va être lancé ; en septembre prochain, le cadrage et le contenu du rapport devraient être précisés.

Mais les délais sont courts, les publications rares, et c’est la première fois qu’un rapport sur les implications d’une cible de réchauffement à ne pas dépasser est commandé.

La science et les 1,5 °C

La limite des 2 °C date de la Conférence de Copenhague en 2009 : ce chiffre adopté par les Nations unies reflétait alors un choix politique s’appuyant sur les travaux des climatologues.

Cette limite est-elle encore crédible ?

La concentration moyenne de l’atmosphère en CO2 vient, pour la première fois, de dépasser les 400 ppmv (parties par million en volume de molécules d’air) dans l’hémisphère Sud. À l’avenir, on peut espérer diminuer les émissions, mais pas leur concentration. « Nous entrons dans un territoire totalement nouveau », souligne James Butler, de la National Oceanographic and Atmospheric Administration américaine. Avec une telle concentration, on aurait déjà presque atteint les 1,5 °C.

L’augmentation des températures à la surface du globe pourrait ainsi être proche de 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel avant même que l’accord de Paris ne soit mis en œuvre, en 2020.

Le réchauffement climatique en 30 secondes grâce au GIF créé par le scientifique Ed Hawkins.

Mi-avril, le climatologue Gavin Schmidt, directeur du Godard Institute of Space Studies à la NASA, estimait que la moyenne globale de la température pour l’année 2016 pourrait être comprise entre 1,1 °C et un peu moins de 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel. Mais quelques mois ne font pas une année.

Sur la tendance des émissions actuelles, le seuil des 1,5 °C pourrait plutôt être franchi d’ici 10 à 15 ans, quelque part entre 2025 et 2030.

Réduire plus et plus vite les émissions ?

Une question est désormais sur toutes les lèvres : est-il encore possible d’émettre du CO2, et pendant combien de temps ?

À suivre Carbon Brief, l’espoir de contenir le réchauffement en dessous de 1,5 °C est nul : d’ici à la fin du siècle, il ne resterait plus qu’un maigre budget carbone, épuisé en moins de cinq années si le rythme des émissions actuelles se poursuit.

Pour ne pas franchir la barre des 2 °C, un article récent (publié dans la revue Nature Climate Change de février 2016) retient un budget carbone compris entre 590 et 1240 Gt de CO2, soit environ 15 à 30 ans d’émissions au niveau de celles de l’année 2014. Mais les auteurs prennent bien soin d’expliquer que les travaux de modélisation offrent une large palette de budgets carbone, avec des hypothèses fort différentes. Pour eux, ces estimations sont de toute façon non pertinentes dans le monde réel, car elles négligent la contribution au réchauffement de tous les gaz à effet de serre autres que le CO2.

Joeri Rogelj, de l’International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA), à Vienne, a dirigé en 2015 la première étude (à notre connaissance) sur les transformations des systèmes énergétiques compatibles avec un réchauffement ne dépassant pas 1,5 °C.

Les scénarios 1,5°C impliquent :
• d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, une ou deux décennies plus tôt que pour les scénarios 2 °C ;
• de maintenir la demande énergétique annuelle moyenne sur le siècle à un niveau très bas, guère plus que celle correspondant à l’année 2010 ;
• de supporter des coûts agrégés de réduction des émissions de 2010 à 2100 près de deux fois plus élevés que pour la cible des 2 °C.

En septembre 2015, les 28 membres de l’Union européenne s’étaient entendus pour parvenir à la neutralité carbone – ce stade où les écosystèmes et la technologie permettraient d’absorber la totalité des émissions de gaz à effet de serre restantes de source anthropique – d’ici à 2100. Si l’on suit les enseignements de Rogelj, il faudrait y parvenir un demi-siècle plus tôt pour demeurer en dessous des 1,5 °C !

Les travaux de modélisation qui se proposent de s’en tenir à la limite des 2 °C contiennent tous des hypothèses hautement spéculatives sur la neutralité carbone et les émissions « négatives », s’appuyant sur des technologies encore bien loin du déploiement à l’échelle industrielle et souvent fortement critiquées pour leur dangerosité. Mi-mai 2016, le nouveau président du GIEC, Hoesung Lee, déclarait pourtant :

Ne pas dépasser un réchauffement de 2 °C est réalisable, si nous échouons les coûts augmenteront de manière phénoménale. […] C’est un défi de taille, mais nous avons la technologie et les moyens pour y parvenir.

Pour respecter la cible des 2 °C, il semble parier sur le recours au pompage du CO2 présent dans l’atmosphère et à la géo-ingénierie à l’échelle planétaire. Jusqu’à présent, les scientifiques du GIEC s’étaient abstenus de proposer explicitement de telles stratégies. S’agit-il ici d’un cas de focalisation sur « les solutions » qu’appelait de ses vœux Lee peu après son élection à la tête du GIEC ? Si oui, ce serait un tournant.

L’élévation du niveau des océans constitue l’une des plus importantes menaces liées au changement climatique. Cette image a été prise dans le cadre du projet Witness King Tides, qui cherche à sensibiliser le public à ces questions grâce à la photographie. Witness King Tides/flickr, CC BY-NC-SA

Un demi-degré, ça compte

Quels impacts si le curseur du réchauffement toléré est ramené de 2 °C à 1,5 °C ? À notre connaissance, il n’y a qu’une seule étude comparative, publiée en avril de cette année dans la revue Earth System Dynamics, qui ait tenté de répondre à cette question.

Voici quelques-uns de ces résultats – pour 2 °C et pour 1,5 °C :
• élévation du niveau des océans d’ici à 2100 : 50 cm contre 40 ;
• réduction de la disponibilité annuelle en eau en Méditerranée : 17 % contre 9 % ;
• durée des vagues de chaleur sous les tropiques : 3 mois contre 2 ;
• accroissement de l’intensité des fortes précipitations en Asie du Sud : 10 % contre 7 % ;
• blanchissement des récifs coralliens à risque d’ici 2100 : 99 % contre 70 % ;
• rendements en blé sous les tropiques : -16 % contre -9 % ;
• rendements en maïs sous les tropiques : -16 % contre -9 % ;
• rendements en riz : inchangés.

Les auteurs de l’étude ont qualifié de « véritable surprise » l’ampleur du contraste entre les impacts climatiques des deux cibles :

L’accroissement additionnel de 0,5 °C marque le contraste entre des évènements climatiques qui se situent dans la limite supérieure de la variabilité naturelle d’aujourd’hui et un nouveau régime climatique en particulier dans les régions tropicales.

L’auteur principal, Carl-Friedrich Schleussner est cependant prudent : la science est moins robuste pour le second chiffre que pour le premier : il y a ainsi un gap en matière de recherche. Pourra-t-il être comblé en deux années seulement, le rapport du GIEC étant attendu pour 2018 ? Il n’y a rien de moins sûr puisque le GIEC ne s’appuie que sur des articles déjà publiés.

Experts, négociateurs et politiques sous pression

La demande d’un rapport spécial sur les 1,5 °C, souligne Mike Hulme dans Nature Climate Change, change le contexte d’une recherche pertinente pour les politiques et représente un authentique challenge pour le GIEC. Le rapport devrait, en particulier, mieux renseigner les discussions relatives à l’adaptation ainsi qu’aux « pertes et dommages » subis par les pays les plus vulnérables (lorsque l’adaptation aux changements climatiques n’est plus possible), avec peut-être un premier cadrage des flux financiers en jeu. Autant de questions saturées de considérations politiques relatives aux responsabilités historiques du Nord.

Le débat politique sur l’objectif des 1,5 °C est pour l’instant déconnecté des niveaux de réduction d’émissions exprimés par les États à Paris. La nouvelle cible implique évidemment de renforcer les engagements promis, et rapidement, avant 2020. L’Inde – et ce ne sera certainement pas le seul pays dans ce cas – n’en veut pas : aux pays développés de réduire plus fortement leurs émissions conformément au Protocole de Kyoto, qui coure jusqu’à l’entrée en vigueur du nouvel accord en 2020.

La demande adressée au GIEC d’un rapport sur les 1,5 °C va raviver – en premier lieu pour les climatologues, et aussi pour les experts et les politiques –, des questions récurrentes, mais qui brûleront toutes bien plus en 2018 qu’au sortir de la conférence de Paris il y a quelques mois.

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