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Le premier ministre Pedro Sanchez se retire après une déclaration quant à l'exhumation de l'ancien dictateur Francisco Franco, Madrid le 24 octobre 2019. PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

L’impasse du républicanisme espagnol : de Juan Negrín à Pedro Sánchez

Presque 44 ans après son décès, l’exhumation de la dépouille de l’ancien dictateur Francisco Franco, ordonnée par le gouvernement de Sánchez a été approuvée par la Cour Suprême suite au recours déposé par la famille du dictateur qui ne souhaitait pas que la dépouille quitte le mausolée.

Les militants du parti d’extrême droite Vox et d’autres fidèles franquistes ont protesté contre cet acte qu’ils perçoivent comme une profanation.

Cet événement, relayé à l’international, a été applaudi par un certain nombre de partisans de la gauche républicaine, qui le considère comme nécessaire pour construire la démocratie du futur.

Or, au-delà de cet acte fort et symbolique, le chef de gouvernement socialiste, Pedro Sánchez est dans l’impasse après avoir échoué dans sa quête de soutiens pour obtenir une majorité parlementaire.

Sanchez, à l’origine de la motion de censure (1er juin 2018) contre l’ancien chef de gouvernement, Mariano Rajoy, n’est effectivement pas parvenu à trouver les soutiens nécessaires à sa reconduction au pouvoir.

L’Espagne a ainsi vu quatre élections législatives en quatre ans dont deux pour la seule année 2019, du jamais vu dans l’histoire de la démocratie espagnole, crispée depuis une nouvelle crise catalane mi-octobre.

Comment expliquer cette crise politique ? L’émergence de nouveaux partis, même si elle n’est bien sûr pas seule en cause, a considérablement complexifié le paysage politique dans une Espagne qui sort progressivement de la crise provoquée par l’explosion de la bulle immobilière.

Emergence de nouveaux partis

Sous le gouvernement de Rajoy, conservateur, l’Espagne a vu naître le mouvement des Indignés organisés lors d’une manifestation qui se voulait particulièrement massive le 15 mai 2011. Ils revendiquaient une « réelle démocratie » et entendaient lutter contre la corruption et la mise en pratique d’une politique d’austérité.

Le bipartisme avec les grands partis politiques PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol, situé à gauche et présidé par Pedro Sánchez) et PP (parti populaire droite mené par Pablo Casado) avait dominé la scène politique espagnole depuis la première victoire du socialiste Felipe González en 1982. Cela faisait suite au processus de transition démocratique entre 1975 et 1978, période durant laquelle diverses mesures visaient à sortir l’Espagne du franquisme et instaurer une démocratie.

Ce bipartisme est depuis peu mis à mal par l’émergence de nouveaux partis politiques.

Du mouvement des Indignés est issu un nouveau parti de gauche, Podemos, mené par Pablo Iglesias dès 2014. L’impact avait été immédiat à tel point qu’il était représenté la même année au parlement européen par cinq députés. Un choc sans précédent pour le PP et le PSOE, victimes de la désaffection sociale à leur égard, une société qui réclame plus de démocratie et de transparence.

Le leader du parti Podemos, Pablo Iglesias, candidat aux législatives le 28 avril 2019 harangue la foule à Barcelone, le 24 avril. Lluis Gene/AFP

Aux élections législatives de 2015, juste derrière les partis historiques PSOE et PP, Podemos était la troisième force politique, suivi de Ciudadanos, un parti de centre-droit, rival du PP.

Dernièrement, un nouveau parti a encore émergé dans le panorama politique espagnol. Il s’agit de Vox, un parti d’extrême droite inédit dans le pays depuis la fin du franquisme. Il est parvenu à entrer au parlement sur fond d’afflux de migrants et de crise catalane

Des partisans du nouveau parti d’extrême droite Vox déploient un drapeau espagnol de 1 000 m² sur la plage de El Sardinero, à Santander le 2 novembre. Ander Gillenea/AFP

L’autonomie de la Catalogne, au cœur des combats

Rappelons que, dans sa quête de soutiens, Sánchez avait tenté un rapprochement avec les indépendantistes catalans avant d’être virulemment critiqué de rompre l’unité nationale par les partis PP et Ciudadanos qui avaient convoqué une marche citoyenne contre cette « trahison ».

Historiquement, quelle a été la posture adoptée par le PSOE face à la question de l’autonomie des régions et la posture de Sánchez est-elle isolée dans l’histoire du parti ?

Vraisemblablement non. On se souvient qu’avant lui d’autres membres du PSOE ont tendu la main aux indépendantistes comme José Luis Rodríguez Zapatero (PSOE) qui en 2003 avait parlé de la « nation catalane » ou Felipe González qui avait défendu l’autodétermination lors du Congrès de Suresnes en 1974.

Mais remontons plus loin encore, en 1932, pour parler du premier statut d’autonomie de la Catalogne, obtenu sous la IIe République dont le dernier Président était Manuel Azaña. Le chef de gouvernement était quant à lui Juan Negrín.

Juan Negrín

La Constitution de la IIe République avait tranché sur la polémique question de l’organisation territoriale en choisissant un système d’État intégral qui reconnaissait l’autonomie des municipalités et des régions.

Au cours de son histoire, le PSOE a défendu mais aussi dénoncé les abus du droit à l’autodétermination. Negrín s’était confronté à l’opposition des indépendantistes basques et catalans concernant le contrôle du gouvernement sur les banques et les normes fixées pour les importations et exportations.

En 1937, il avait pris des mesures visant à rationaliser et centraliser les tâches financières dans le but de rétablir l’autorité de l’État. Le Président Azaña, tout comme Negrín, avait dénoncé à plusieurs reprises l’opportunisme des séparatistes en temps de guerre dont les manifestations armées fragilisaient considérablement l’unité des forces républicaines face à l’avancée franquiste.

Monument hommage à Juan Negrin, médecin et homme politique, chef d’État espagnol entre 1937 et 1945 (en exil). Odynny/Wikimedia

Des divisions profondes

Mais, malgré cette apparenté unité dans la lutte face aux séparatistes, la guerre d’Espagne n’avait pas effacé les divisions au sein du PSOE, séparé dès 1933 par deux courants distincts liés à la fois à l’orientation idéologique et à la gestion du parti.

Ainsi s’opposaient la tendance caballeriste (partisans de Largo Caballero), révolutionnaire qui défendait une conquête prolétaire du pouvoir, surnommé le Lénine espagnol, alors que la tendance prietiste, (partisans d’Indalecio Prieto, dont Negrín) était plus centriste et pro-républicaine.

La rupture entre Caballero et Prieto se solda par l’élection de Negrin pour calmer les tensions entre les tendances idéologiques internes au PSOE.

L’issue de la guerre n’avait finalement fait que reporter l’éclatement des divisions internes au PSOE et elles se poursuivirent même en exil et dans la clandestinité durant la période franquiste. Elles se cristallisèrent, sous un franquisme finissant, entre historiques du PSOE de l’exil menés par Rodolfo Llopis, homme politique et syndicaliste espagnol, député aux Cortes (Parlement) sous la Seconde République et rénovateurs du PSOE de l’intérieur, menés par Felipe González qui finalement fut reconnu par l’Internationale socialiste en devenant secrétaire général du PSOE.

Orchestrée par le franquisme, la transition démocratique n’avait pas été l’occasion pour les socialistes de renouer avec la République tant défendue par Negrín, avant et pendant la dictature.

La place de la mémoire

Au XXIe siècle que reste-t-il de ce républicanisme étouffé par des décennies de dictature ? Une chose est sûre, il n’est pas mort.

En attestent le manifeste pour la IIIᵉ République signé à Madrid en 2014 par des écrivains, des journalistes, des historiens.

Ils ont revendiqués, relayés par des manifestations citoyennes, un référendum sur la monarchie en 2014 et ce à la veille de l’accession au trône de Felipe VI, fils de Juan Carlos I qui avait reçu sa couronne du dictateur Franco.

Ces manifestations étaient survenues après un tournant capital dans le rapport de l’Espagne avec son passé. En Espagne, l’année 2006 fut déclarée année de « Mémoire historique » par la loi 24/2006 sous le gouvernement de Zapatero. Elle entra en vigueur le 27 décembre 2007. C’était donc presque symboliquement que dans un élan commémoratif, soixante-dix ans après l’éclatement de la guerre d’Espagne, le gouvernement portait un regard sur les traces d’un passé dont il fallait tirer des leçons.

Quelques mois après se tenait le XXXVIIe Congrès du PSOE du 4 au 6 juillet 2008 lors duquel fut approuvée une mesure visant à réhabiliter trente-six membres du parti expulsés en 1946 dont Negrín. Le 24 octobre 2009, sa petite-fille, Carmen Negrín Fetter, recevait le carnet d’adhésion au PSOE de son grand-père.

Inauguration d’une plaque commémorative dédiée à Juan Negrin par sa petite-fille, Camille Negrin Fetter, 2009, dans le parc portant également le nom de l’homme politique, à Gijon, dans les Asturies. Xabeldiz/Flickr, CC BY-NC-ND

Un passé douloureux

L’histoire de Negrín interroge à la fois l’idéologie et l’avenir du PSOE, qui n’a jamais semblé être aussi fragilisé qu’aujourd’hui. La gauche est en effet morcelée par l’annonce de la candidature aux élections du 10 novembre de la coalition de gauche Más País de Iñigo Errejón, ancien numéro 2 de Podemos.

Connaître l’histoire de Negrín n’aide pas tant à comprendre le présent qu’à apporter au moins un éclairage sur l’image que la société et les politiques ont de lui et de leur rapport à cette partie de l’histoire.

Le PSOE encore et toujours, plie mais ne rompt pas. Sánchez, engagé dans une lutte de longue haleine visant la conquête du pouvoir se trouve en vérité dans une situation très semblable à celle que les politiciens d’hier ont vécu : en quête d’union mais divisés dans la mise en œuvre d’une stratégie au service des intérêts de la société qu’ils doivent représenter.

Mais sa fracture dépasse le cadre purement politique et les dirigeants de demain devront prendre en compte les sensibilités d’une société en pleine introspection.

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