Les Systèmes d’Information (SI) de gestion font face depuis une vingtaine d’années à un implacable et irréversible processus d’intégration des données, des processus et des applications au sein des entreprises. Ce processus donne lieu à une forte augmentation des volumes de données stockés et manipulés au sein des SI. Le terme d‘infobésité est d’ailleurs souvent évoqué.
L’intégration des SI est directement et indirectement liée à un autre phénomène majeur, celui de leur externalisation. La relation entre le processus d’intégration des données puis, lorsqu’elles sont devenues trop encombrantes et trop coûteuses à héberger, leur externalisation vers la grande nébuleuse de l’informatique en nuage est l’objet de cet article.
De l’intégration des données, des processus et des applications
Ce processus d’intégration est intéressant à appréhender et à analyser à plus d’un titre. D’une part, il nous permet d’aborder la vulnérabilité des fonctions SI face à la pression d’un environnement économique de plus en plus exigeant en terme de réactivité (time to market) et à l’attractivité des solutions « clé en main » proposées par les éditeurs (turnkey). D’autre part, il nous permet d’entrevoir une séquence inéluctable déclenchée par l’intégration, accompagnée par l’externalisation et préfigurant une captation de l’information. Cette révolution n’est ni technologique ni informatique et encore moins virtuelle, elle est organisationnelle. Elle pose la question de l’immédiateté (real time) dans une société qui a décidé un peu rapidement de s’en accommoder sans en mesurer les coûts, les conséquences et les défis.
Les PGI : l’alpha et l’oméga de l’intégration des SI
Sommairement, l’intégration se caractérisepar deux phénomènes. Premièrement, nous notons une centralisation et une homogénéisation des données de gestion au sein d’une base de données qui apparaît de plus en plus comme logiquement unique. Deuxièmement apparaît une modularisation des applications fonctionnelles qui gravitent et inter-opèrent autour de cette base de données. Schématiquement, son architecture est celle d’une étoile avec la base de données unique au centre et ses applications fonctionnelles (ou modules) à l’extrémité de ses branches par lesquelles circulent en temps réel et simultanément les informations.
Caricaturalement, ce système d’information intégré repose sur des outils informatiques appelés progiciels de gestion intégrés (PGI) – attention c’est bien le progiciel qui est intégré et non pas la gestion, ce qui reste encore du domaine du mythe. Ces PGI, couramment appelés ERP (Enterprise Resource Planning) en terminologie anglo-saxonne sont devenus l’alpha et l’oméga des SI des organisations au sens large et des entreprises en particulier.
L’ossature applicative de ces outils est l’alpha de l’intégration car elle concerne leur module, c’est-à-dire les différentes taches ou fonctions qu’ils permettent de mener à bien simultanément et en temps réel (comptabilité, contrôle de gestion, paie, marketing, achat, stock, gestion de production…). Le centre névralgique de ces outils est l’oméga de l’intégration, car il concerne leur base de données et les différentes informations plus ou moins structurées et homogènes qu’elles stockent, historisent et organisent. Les progiciels type PGI et leur architecture modulaire à base de données pivot (SAP, Oracle, Sage, Cegid, OpenERP…) sont ainsi devenus en vingt ans l’alpha et l’oméga des SI des entreprises.
Des architectures en silos aux architectures en étoile
Ces systèmes d’information intégrés à architecture en étoilesont ceux des actuelles directions des systèmes d’information. Ils ont peu à peu remplacé les systèmes d’information hétérogènes, ceux des anciennes directions informatiques, dont les architectures étaient différentes. Elles reposaient plutôt sur une juxtaposition de silos applicatifs -composés d’une base de données avec son (ou ses) application(s) fonctionnelle(s) dédiée(s)- à l’image de tuyaux d’orgue étanches et non interopérables. Les Directions Informatique et leurs programmes conçus, développés et de plus en plus difficilement « maintenus » en interne ont, en vingt ans, laissé la place aux Directions des Systèmes d’Information. Cette évolution sémantique DI/DSI accompagne l’arrivée de solutions intégrées vendues et maintenues « clé en main » par les éditeurs.
Elle signifie surtout pour les nouvelles DSI la perte irréversible de compétences techniques et leur remplacement par des compétences et responsabilités managériales (administration, gouvernance, contrôle) afin de faire face au pouvoir de négociation des éditeurs, intégrateurs, hébergeurs et autres info-géreurs. Les modalités et acteurs de l’externalisation sont certes nombreux entre outsourcing, offshoring, sous-traitance et centre de services partagés
Du caractère implacable de ce processus d’intégration des SI
La première famille d’explications est économique. L’environnement d’affaires est de plus en plusexigeant, imprévisible et complexe. Les clients, les fournisseurs, l’état, les banques, les actionnaires, les salariés veulent tout et tout de suite. Pour leur répondre, l’entreprise n’a pas le choix et elle doit rassembler ses forces – ses données, ses informations, ses réseaux et ses applications – en un dispositif unique, paré à la manœuvre et hyper(ré)actif.
La seconde famille d’explications est technique. Les progrès de l’informatique depuis une trentaine d’années – bien avant l’avènement de l’Internet – ont permis de rendre attrayantes et accessibles des solutions modulaires « clé en main ». Les applications fonctionnelles éparpillées dans les méandres des anciens postes de travail informatiques ont laissé la place à une solution unique plus intuitive, plus puissante et plus ergonomique accessible via l’environnement numérique de travail. Cette solution intégrée, trop complexe pour être conçue et développée en interne, est vendue, paramétrée, testée et déployée par un intégrateur qui peut aussi en être l’éditeur voire l’hébergeur. Ainsi, comme dans un rêve, comme dans les nuages, comme dans un « serious game » dont tout le monde sortirait vainqueur… l’informatique offre aux entreprises les systèmes intégrés que la compétition économique exige.
De l’intégration à l’externalisation ou le syndrome de l’extégration
La logique de l’intégration du SI est intrinsèquement à l’origine de son externalisation. D’un coté, plus les volumes de données et de contenus manipulés vont croître et plus les opérations de maintenance vont se complexifier, plus la DSI sera obligée de s’en remettre à l’extérieur et plus les acteurs extérieurs (intégrateurs, éditeurs, info-géreurs, hébergeurs) vont devenir incontournables. La logique veut que l’externalisation partielle des données puis des applications puis des services se conclue par une externalisation totale du SI. Cette logique d’extégration est problématique, car elle se traduit par une perte de compétence des DSI, par des coûts de réversibilité très élevés et par un pouvoir accru des opérateurs extérieurs.
Cette logique est inhérente au cloud computing qui propose des solutions à la fois SaaS, PaaS et IaaS (X as a service) et qui devient – même si ses performances applicatives et économiques sont au rendez-vous – bien plus qu’un simple hébergeur du SI mais bien son principal opérateur. Ce phénomène en trois temps (intégration, externalisation, captation) reste implacable et risqué. La réversibilité étant complexe, l’entreprise, notamment de taille modeste, ayant externalisé son SI sera bien seule en cas de problème dans le nuage (faille de sécurité, faillite de l’hébergeur, intrusion, perte de données, accessibilité, tarification, contrat…). La question de l’exigence d’immédiateté, de son coût, de sa pertinence, de ses effets est posée.