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L’Inde plaide la cause des pays émergents

À Bhadla, dans l’État du Rajasthan, un impressionnant déploiement de panneaux solaires. Le gouvernement indien compte sur cette énergie pour donner accès à l’électricité au plus grand nombre. Money Sharma/AFP

Pourquoi l’Inde, dont le tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, soutiendrait-elle un accord mondial lors de la COP21 ? Pourquoi ce pays, dont les émissions de gaz à effet de serre (GES) par habitant ne représentent qu’un dixième de celles de nombreux pays en développement, n’exigerait-il pas d’être exempte des objectifs sur le climat, afin d’assurer un meilleur accès à l’alimentation, l’électricité et l’emploi à ses centaines de millions de pauvres ?

Tout simplement parce qu’un accord mondial solide sur la question du climat servira tout autant les intérêts de l’Inde (et les ambitions politiques de son Premier ministre, Narendra Modi) que ceux de la communauté internationale.

L’Inde, quatrième producteur mondial d’émissions de GES, jouera un rôle essentiel dans les années à venir, et influera fortement sur les chances de parvenir à un accord satisfaisant lors de la COP21. Heureusement, ses objectifs de développement durable vont plutôt dans le sens d’un accord sur le climat, à condition que la communauté internationale lui fournisse l’aide financière dont elle a besoin.

Une transition rapide

Plutôt que de fixer un plafond global pour ses émissions, l’Inde s’est engagée solennellement devant l’ONU à réduire ses émissions de 33 à 35 % par rapport à 2005, et à produire 40 % de son électricité grâce aux énergies renouvelables d’ici à 2030.

Depuis la nomination de Narendra Modi, le pays a entrepris une transition rapide vers un avenir moins polluant et plus résistant aux changements climatiques. Ce virage est particulièrement manifeste dans les secteurs de l’électricité, de l’agriculture, et des transports urbains et ruraux.

En juin, le gouvernement a approuvé un plan de développement visant à multiplier par cinq les objectifs du pays en matière de production d’énergie solaire, pour atteindre 100 GW en 2022. Cet objectif ambitieux ferait de l’Inde le leader mondial de l’énergie solaire, devant l’Allemagne. L’an dernier, lors de sa campagne électorale, Narendra Modi avait prédit cette mutation de la production d’électricité, saluant l’arrivée d’une « révolution safran » consacrée aux énergies renouvelables.

Tout au long du mois de juin, il a renchéri sur le thème de la révolution, appelant à une « deuxième révolution agricole » pour préparer le pays aux conditions climatiques de plus en plus capricieuses, avec davantage de sécheresses, de canicules et de tempêtes hors saison. Il a également exhorté les paysans à travailler de manière « plus scientifique », en déclarant :

Les adeptes d’une agriculture traditionnelle sont persuadés que les champs doivent être remplis d’eau pour donner de bonnes récoltes. Or, cela reste à démontrer, car la micro-irrigation [et] l’arrosage automatique sont plus efficaces et permettent de réduire la consommation d’eau et la quantité d’engrais utilisés.

En mai 2014, il avait annoncé son intention de rénover 500 agglomérations et de bâtir ex nihilo une centaine de « villes intelligentes », dans le cadre d’une transition vers des espaces urbains « propres et durables ». « Auparavant, les villes étaient bâties le long des rivières, expliquait-il. Dorénavant, on les bâtira en fonction des réseaux de fibre optique et des infrastructures nouvelle génération ».

Narendra Modi. Alain Jocard/AFP

Coût et potentiel

L’ensemble de ces propositions pour l’électricité, l’agriculture et les villes indiennes pourrait offrir de nombreux avantages au niveau social, économique et environnemental, notamment pour les 300 millions d’Indiens qui n’ont pas accès à l’électricité. Ces projets présentent aussi plusieurs autres avantages.

Examinons ainsi celui d’installer des panneaux solaires hors réseau à bas coût dans les villages sans électricité. En plus de fournir de l’énergie, il offrira des perspectives d’emplois qualifiés (ingénierie) et non qualifiés (installation) à la jeunesse indienne, la plus nombreuse au monde. Il permettra peut-être aussi de prévenir des milliers de décès prématurés dus aux infections respiratoires aiguës liées à l’inhalation des fumées produites par la cuisine et le chauffage par biomasse, et évitera dans le même temps une importante augmentation des émissions de GES.

On s’en doute, cette transition coûtera extrêmement cher. Les engagements formels de l’Inde, présentés à l’ONU, estiment que les investissements nécessaires pour mener à bien ces propositions sur le climat et le développement d’ici à 2030 se chiffrent, à l’heure actuelle, à plus de 2 400 milliards d’euros. Bien que le gouvernement de Narendra Modi ait alloué des milliards à la réalisation de ces programmes, et qu’il puisse compter sur le soutien de grandes économies industrielles comme l’Europe et les États-Unis, il en faudra bien davantage pour que le pays atteigne ses objectifs sur le climat.

Pourtant, il y a beaucoup à gagner de cet élan indien vers un avenir faible en CO2, et pas seulement pour l’Inde. Cette transition est l’un des éléments essentiels du programme de Narendra Modi qui, au-delà d’une Inde « moderne », souhaite « améliorer, rebâtir et transformer l’identité du pays » afin que l’Inde ne soit plus considérée comme un « vieux » pays, « pauvre », « malade », « non qualifié », « sale » et « sous-développé ».

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce point de vue correspond quasiment en tous points aux aspirations des Nations unies en matière de politique climatique. Comme l’expliquait Christiana Figueres, négociatrice de l’ONU en charge du climat, lors de son discours d’ouverture à la Conférence de Lima en 2014 :

Il est temps d’abandonner les approches graduelles et d’avoir le courage d’engager le monde dans un processus de transformations profondes et cruciales. La croissance sera transformée par des décisions et des actions ambitieuses pour le climat, qui ouvriront de nouvelles perspectives au lieu de nourrir la pauvreté.

Diverses identités, et donc divers intérêts, pourront ainsi converger. Narendra Modi a besoin du soutien des pays industrialisés pour réaliser son rêve d’une Inde moderne. De son côté, l’ONU et les principaux partisans d’une action pour le climat, comme l’Europe et, aujourd’hui, les États-Unis, ont besoin que cette modernisation se fasse dans le respect de l’environnement, afin de limiter les dangers du réchauffement climatique.

Ces points de ralliement entre différentes identités et intérêts sont source d’espoir pour tous ceux qui espèrent que la conférence de Paris aboutira à un accord mondial fort, appliqué de manière efficace et continue.


Traduit de l’anglais par Guillemette Allard-Bares/Fast for Word

This article was originally published in English

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