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L’industrie pharmaceutique peut-elle vraiment restaurer sa réputation avec la pandémie ?

Une seringue et un flacon de vaccin.
La première dose de vaccin Pfizer-BioNTech contre le Covid-19 au Canada est prête à être utilisée au Michener Institute de Toronto à la mi-décembre 2020, soit moins d'un an après que l'Organisation mondiale de la santé ait déclaré le Covid-19 pandémique. Frank Gunn/Canadian Press

La course au développement des vaccins contre le Covid-19 a placé le rôle des laboratoires pharmaceutiques sur le devant de la scène.

Ces derniers mois, le monde entier a été témoin non seulement de la rapidité avec laquelle ils ont mené les essais cliniques et ont obtenu les autorisations de mise sur le marché de plusieurs vaccins très efficaces, à l’instar de Pfizer, Moderna et AstraZeneca. Une réussite sans précédent qui n’aurait pas été possible sans les partenariats établis au sein de l’industrie, que ce soit au niveau national ou international.

Cette stratégie a eu une conséquence somme toute inattendue, à savoir la nette amélioration de la réputation des labos pharmaceutiques depuis début 2020. En effet, selon une enquête de février 2021, près des deux tiers des Américains en ont désormais une opinion favorable.

Cependant, le spectre de la disgrâce continue de planer alors même que les grands labos sont considérés comme des héros de la pandémie.

La controverse sur les effets secondaires potentiellement graves du vaccin d’AstraZeneca en est le parfait exemple. L’entreprise anglaise a subi un véritable retour de bâton en raison de l’absence d’un plan de réponse à la crise et des messages contradictoires délivrés par les différentes parties prenantes.

AstraZeneca sign on the side of a building
Le siège mondial d’AstraZeneca à Londres. Kirsty Wigglesworth/AP

L’élan de popularité actuel permettra-t-il à l’industrie pharmaceutique de changer en profondeur une image publique entachée ? En tant que chercheur en relations publiques, je pense que les laboratoires ne redoreront leur blason que s’ils donnent la priorité aux pratiques socialement responsables.

Une réputation entachée

Avant la crise sanitaire, l’industrie pharmaceutique était sous le feu des attaques depuis plusieurs années. Aux États-Unis, sa réputation avait notamment sombré dans l’enquête réalisée par l’institut de sondage Gallup en août 2019, où elle enregistrait à peine 27 % d’opinions favorables. Le coût élevé des médicaments, les dépenses massives de publicité et de lobbying et la crise des opiacés avaient largement terni son image.

Un constat en phase avec les recherches menées en Europe puisque dans une analyse qualitative publiée par Public Relations Inquiry, une équipe de chercheurs de l’université de Gand a étudié la manière dont les entreprises pharmaceutiques belges réagissaient à la mauvaise image qu’elles véhiculaient.

Il en ressort que cette perception négative reflète des problèmes de société plus larges, notamment des écarts croissants en matière de revenus et de santé. Le grand public attend des labos qu’ils sauvent des vies en développant des médicaments innovants, abordables et efficaces. Si leurs actions et motivations sont en contradiction avec de telles attentes, ils perdent sa confiance. Toutefois, celle-ci peut facilement revenir via la publication de rapports sur la responsabilité des entreprises, et des campagnes de communication.

La réputation de l’industrie pharmaceutique est aussi liée au traitement qu’en font les médias. Une enquête de 2020 sur la couverture médiatique des grands labos a montré que la majorité des articles étaient neutres et portaient sur des sujets tels que les capitaux, la valorisation boursière, les bénéfices, les fusions, acquisitions et restructurations, et que cette couverture devenait plus négative lorsqu’elle traitait, de manière plus épisodique, sur des sujets sensibles.

En d’autres termes, les médias parlent davantage des grands labos sous l’angle des affaires plutôt que sous celui de la société et de la santé publique. Ce manque d’attention à l’égard des responsabilités sociales de l’industrie a contribué à la méfiance croissante du public à son égard ces dernières années.

Un homme tient une pancarte sur laquelle on peut lire ‘Les toxicomanes méritent des soins de santé’ avec un cœur.
Un homme tient une pancarte lors d’une manifestation à Vancouver en 2017, lors de la première Journée nationale de sensibilisation aux surdoses d’opiacés. The Canadian Press/Darryl Dyck

Un regain de réputation grâce aux vaccins, mais un regain fragile

Au vu de ces facteurs, il n’est pas surprenant que les efforts déployés par l’industrie pharmaceutique en faveur des vaccins contre le Covid-19, combinés à une vaste couverture médiatique, aient entraîné une amélioration substantielle de son image dans l’opinion publique. Selon une enquête menée par le groupe de réflexion Data for Progress en mars 2021, 56 % des personnes interrogées avaient une opinion favorable des labos pharmaceutiques, soit le double de l’indice du sondage Gallup de 2019.

Néanmoins, un examen plus approfondi des données les met doublement en garde.

D’abord, le prix des médicaments reste la principale préoccupation du public. Dans l’enquête Data for Progress, 72 % des électeurs américains soutiennent les mesures politiques susceptibles de réduire le prix des médicaments sur ordonnance. De son côté, l’industrie pharmaceutique insiste sur le fait que les prix actuels des vaccins contre le Covid-19 ne resteront pas aussi bas très longtemps.

Les prix des vaccins vont-ils augmenter ?

En février, Frank D’Amelio, directeur financier de Pfizer, a déclaré lors d’une conférence téléphonique avec des analystes de Wall Street que son groupe allait « s’intéresser davantage aux prix » après la pandémie, et laissé entendre que celui de son vaccin contre le Covid-19 subirait une hausse substantielle.

Des dirigeants de Pfizer Canada lors d’une conférence de presse à Montréal en 2012
Des dirigeants de Pfizer Canada lors d’une conférence de presse à Montréal en 2012. The Canadian Press/Graham Hughes

L’entreprise facture actuellement 19,50 dollars par dose, alors que le prix habituel des autres vaccins oscille entre 150 et 175 dollars. Si elle était mise en œuvre, cette politique de prix agressive susciterait sans aucun doute des critiques de la part du grand public, notamment des pays en développement qui ont déjà été négligés lors du premier cycle de distribution des vaccins.

Ensuite, la vitesse remarquable de la recherche et de l’innovation atteinte au cours du développement du vaccin contre le Covid-19 est due principalement aux aides publiques et aux différents partenariats. Il n’est pas certain que ces mesures exceptionnelles annoncent l’émergence d’un nouveau modèle où les gouvernements amélioreraient la réglementation relative au contrôle des brevets, à la publicité, à la transparence des données cliniques et aux dépenses de lobbying.

S’ils veulent vraiment redorer leur image, les grands labos doivent profiter de leur popularité actuelle pour privilégier les pratiques socialement responsables. À commencer par une tarification plus équitable des médicaments et un véritable engagement contre les disparités en matière de santé publique.


Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour Fast ForWord

This article was originally published in English

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