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L’Irlande du Nord dans l’impasse

Jeffrey Donaldson devant plusieurs micros
Le leader du Parti unioniste démocratique (DUP) d’Irlande du Nord, Jeffrey Donaldson, s’adresse aux médias à Belfast, le 17 février 2023, après une entrevue avec le premier ministre britannique Rishi Sunak. Les unionistes nord-irlandais bloquent depuis plus d’un an le fonctionnement des institutions politiques de la province. Paul Faith/AFP

Le 18 mai 2023, le Sinn Féin, parti favorable à la réunification de l’île d’Irlande, divisée depuis 1921 entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord (partie constitutive du Royaume-Uni) est arrivé en tête des élections locales nord-irlandaises. Avec 30,9 % des voix, il affiche une progression de 7,7 % par rapport à 2019 et, surtout, détrône, une fois de plus, le DUP (Democratic Unionist Party), le principal parti unioniste (c’est-à-dire attaché au maintien de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni).

La campagne électorale a largement tourné autour de l’avenir de l’Assemblée d’Irlande du Nord, souvent bloquée depuis sa création en 1998 dans le cadre des Accords du Vendredi saint, et complètement paralysée depuis février 2022 par le DUP. Celui-ci est en effet profondément hostile aux accords post-Brexit signés entre le Royaume-Uni et l’UE, qui prévoient un statut à part pour l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni. Aux yeux des unionistes, ces dispositions mettraient en danger l’identité britannique de la Province.

Cette situation a donné à ces élections locales une autre dimension : celle d’un référendum sur le blocage politique causé par le DUP.

Pour rappel, depuis le Brexit, l’Irlande du Nord, en sa qualité de composante du Royaume-Uni, n’est plus membre de l’UE. Elle demeure cependant soumise à certaines règles régissant le marché unique européen, afin de protéger l’économie de l’île et l’Accord de Belfast de 1998.

Le Sinn Féin tire son épingle du jeu

L’année dernière déjà, lors d’une victoire historique, le Sinn Féin était arrivé en tête des élections à l’Assemblée nord-irlandaise de mai 2022 (en obtenant 29 % des suffrages), destituant ainsi le DUP de son titre de premier parti politique de la Province.

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À l’issue de ces élections, Michelle O’Neill (vice-présidente du Sinn Féin) aurait dû devenir Première ministre de l’Irlande du Nord avec, à ses côtés, Jeffrey Donaldson, chef du DUP, en tant que vice-Premier ministre. C’était sans compter avec un contexte politique post-Brexit tendu qui a conduit Jeffrey Donaldson à refuser de former un exécutif tant que les inquiétudes des unionistes au regard du statut de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni ne seraient pas apaisées.

En effet, suite à la négociation du Protocole nord-irlandais de 2020, puis des Accords de Windsor cette année, qui ont établi la frontière douanière entre le Royaume-Uni et l’UE en mer d’Irlande (soit entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni), le DUP a annoncé, en signe de protestation, qu’il renonçait à siéger au sein des institutions politiques nord-irlandaises. De fait, l’Irlande du Nord se trouve sans exécutif depuis février 2022.

Se posent dès lors les questions suivantes : la défaite du DUP aux élections locales du 18 mai dernier signifie-t-elle que, aux yeux de la population, le parti fait fausse route en bloquant les institutions politiques nord-irlandaises ? Quels ont été les ressorts de la campagne victorieuse du Sinn Féin ? Enfin, ce succès peut-il faciliter la formation d’une nouvelle Assemblée nord-irlandaise où partisans et opposants de la réunification siégeraient côté à côte ?

L’intransigeance du DUP, cause de son recul politique ?

Si l’on s’en tient strictement aux chiffres des résultats aux élections du 18 mai, on constate que le DUP n’a reculé que de 0,8 % par rapport aux élections locales précédentes, remportant 23,3 % des suffrages et a obtenu exactement le même nombre d’élus locaux qu’en 2019 (122). Le recul – limité – du parti ne serait donc, a priori, pas assimilable à un vote sanction.

De plus, si l’on se réfère aux sondages du site Lucid Talk, effectués quelques semaines avant les élections locales, il ne semble pas que l’électorat du DUP ait véritablement sanctionné ce dernier en raison de son blocage des institutions politiques nord-irlandaises. En effet, à la question « Le DUP devrait-il accepter les Accords de Windsor et réintégrer l’Assemblée nord-irlandaise ? », 76 % des sympathisants du DUP avaient répondu que le parti devait poursuivre le blocage, 17 % seulement préférant un retour au partage du pouvoir dans la Province, afin de renégocier les Accords.

Aussi, l’opinion générale des unionistes (les électeurs du DUP, du plus conservateur TUV – Traditional Unionist Voice – et du plus modéré UUP – Ulster Unionist Party – confondus) à l’égard des accords de Windsor semble s’être durcie, 62 % des électeurs unionistes se disant favorables au blocage des institutions politiques tant que les Accords de Windsor ne seront pas annulés.

Le recul du DUP peut être expliqué par la progression des unionistes conservateurs du TUV, dont le score a augmenté de 1,7 % aux dernières élections. Une progression qui s’inscrit dans la logique du durcissement de la position des unionistes face aux accords commerciaux nés du Brexit.

Surtout, et même si l’écart entre le Sinn Féin et le DUP s’est resserré (il était de 8 points aux élections à l’Assemblée nord-irlandaise de mai 2022 et de seulement 4 points aux élections locales du 18 mai 2023) le succès électoral du parti pro-réunification est indéniable. Le recul du DUP à la deuxième place de ces élections s’explique sans doute, au moins en partie, par l’augmentation significative des votes en faveur du Sinn Féin.

Les campagnes du Sinn Féin et du DUP : deux visions contrastées

Le Sinn Féin n’a pas tant fait campagne sur le sujet de la réunification irlandaise que sur des thèmes concrets d’une grande actualité : l’emploi, la santé, le pouvoir d’achat, le logement et la représentation du peuple nord-irlandais au sein d’institutions politiques fonctionnelles.

Sur ce dernier point, l’approche constructive adoptée par le parti a séduit une large partie de l’électorat. Dans le manifeste électoral du Sinn Féin, sa présidente Mary Lou McDonald déclare en effet : « Nous sommes déterminés à remettre l’exécutif sur pied, à offrir un gouvernement pour tous », propos précisés par la vice-présidente, Michelle O’Neill : « Nous sommes prêts à former un exécutif depuis les élections à l’Assemblée nord-irlandaise de mai dernier, et à travailler avec les autres partis pour apporter des solutions aux travailleurs et aux familles. »

Par ailleurs, le parti a su convaincre la jeune génération. Selon de récents sondages, il est la formation politique la plus populaire auprès des personnes nées après les Accords de paix de 1998. Il serait soutenu par 36,5 % des électeurs âgés de moins de 35 ans, mais seulement par 9,3 % des électeurs âgés de plus de 60 ans.

De son côté, le DUP a largement axé sa campagne sur la la nécessité de renégocier les Accords de Windsor, dont il estime qu’ils menacent le statut de la Province au sein du Royaume-Uni.

Il a également insisté sur la justice pour les victimes du conflit nord-irlandais ; l’accès à des services de qualité ; la coopération avec les autres partis unionistes afin de préserver la culture et l’héritage de la population « pro-union » en Irlande du Nord ; ou encore la remise en cause du droit à l’avortement, lequel n’a été dépénalisé en Irlande du Nord qu’en 2019. Des thèmes ayant visiblement moins séduit, si ce n’est un électorat plus âgé que celui du Sinn Féin, puisque les trois quarts des électeurs du parti de Jeffrey Donaldson sont âgés de plus de 35 ans, ce qui reflète un vieillissement de l’électorat du DUP.

La fin du blocage politique est-elle envisageable ?

Le DUP a certes reculé au rang de deuxième parti derrière le Sinn Féin, mais il reste le porte-parole principal de la communauté unioniste. Il est donc peu probable que le blocage des institutions politiques nord-irlandaises soit levé, d’autant que Jeffrey Donaldson a interprété le résultat enregistré par sa formation comme une validation de l’opposition du DUP aux accords commerciaux post-Brexit (et par conséquent de son blocage des institutions politiques), et risque donc de persévérer dans cette stratégie.

Pour Michelle O’Neill, en revanche, « il est clair que la population nord-irlandaise a saisi l’opportunité d’envoyer un signal clair, qu’il est temps de remettre l’Assemblée sur pied » dans la mesure où le Sinn Féin a une fois de plus devancé le DUP.

À défaut de mettre fin au blocage des institutions politiques dans la Province, ces élections ont au moins permis d’élire des autorités locales qui peuvent fonctionner indépendamment de celles de l’Assemblée nord-irlandaise à Stormont et travailler pour la population. Espérons toutefois qu’un compromis politique puisse être trouvé prochainement…

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