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L’oenologie, une discipline en constante évolution

Des visiteurs dégustent du vin rouge lors d'une séance de dégustation de vin au château Carbonnieux à Cadaujac, près de Bordeaux, en 2019. AFP

Cet article aurait aussi bien pu s’intituler : « Comment Louis Pasteur a inventé l’oenologie ». Mais si dès 1856 Louis Pasteur a révélé que des micro-organismes sont à l’origine de la fermentation alcoolique, il n’a en réalité pas inventé l’oenologie. Avant le début du XIXe siècle, la production du vin était encore empirique et basée sur l’observation et ce n’est qu’avec l’essor des sciences que naîtra l’ambition de « gouverner le vin ».

Le terme « oenologie » est utilisé pour la première fois en 1636, mais il ne prend un caractère scientifique qu’en 1807. Dans L’art de faire le vin, Chaptal décrit l’oenologie comme la « science qui s’occupe de la fabrication et la conservation du vin ». L’oenologie quitte le champ de l’agronomie pour celui de la chimie.

Le vin médecin

Le vin est l’objet d’étude de nombreux hommes de sciences, comme le montre très bien l’historienne Sénia Fedoul. L’oenologie se construit comme science en devenir grâce à des pharmaciens (qui procèdent à l’analyse des vins et au dosage des produits oenologiques), des chimistes et des médecins. Jusqu’au début du XXe siècle, le corps médical dans sa grande majorité attribue au vin des vertus sanitaires. Chez certains spécialistes, selon sa quantité, son origine ou sa typologie, un vin guérira tel ou tel symptôme. Le Projet de codex oenothérapique du Dr Eylaud publié en 1935 illustre très clairement le mouvement. Au XIXe siècle quoi qu’il en soit, à cause du développement incontrôlé des bactéries, la consommation d’eau reste souvent plus dangereuse que celle du vin. Ce qui explique que Pasteur déclarait encore en 1866 : « le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons ».

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Les travaux de Pasteur, commandés par Napoléon III, étaient liés à des enjeux économiques nationaux. En trouvant une solution à la conservation des vins, l’Empire serait à même de satisfaire les exigences du négoce en termes de qualité. Assurer la stabilité des vins durant leur voyage constituerait un avantage décisif sur les concurrents à l’export dans le cadre des accords de libre-échange signés dans les années 1860.

Le vin peut fermenter deux fois sans se transformer en vinaigre

Revenons à la fermentation et à l’importante découverte de Pasteur : en plaçant les vignes sous des serres, il observe que la fermentation alcoolique ne démarre pas. Il en déduit l’importance des levures naturellement présentes sur la peau des baies dans le processus de fermentation alcoolique. La fermentation alcoolique est la transformation des sucres en alcool, elle démarre dès que la pulpe du raisin est en contact avec la partie externe de la peau des grains.

Pasteur découvre également dès le milieu du XIXe siècle l’existence de ferments lactiques auxquels il attribue la responsabilité de maladies dans le vin. Pour lui, les levures font le vin et les bactéries l’endommagent.

Cette idée que les micro-organismes qui transforment l’acide malique naturellement présent dans le vin en acide lactique sont préjudiciables au vin va donc perdurer. Elle perpétuera une perception négative du phénomène jusqu’au milieu de XXe siècle en dépit de nombreux travaux constatant la fermentation malolactique.


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Selon l’œnologue Michèle Guilloux-Benatier, un changement de perspective s’opère pour la première fois avec Louis Ferré en 1928. Le directeur de la Station œnologique de Beaune estime que la fermentation malolactique « conduit le plus souvent à une amélioration de la qualité des vins rouges ». Mais les idées de Pasteur ont la vie dure et il faudra attendre les travaux des Bordelais Ribéreau-Gayon et Peynaud en 1937 et 1944 pour que s’opère un changement de paradigme. L’existence générale et normale d’une diminution de l’acidité des vins par les bactéries est ainsi mise en évidence et prend un caractère définitivement positif. Pour eux « Sans fermentation malolactique, il n’y aurait pas de grand vin rouge de Bordeaux ». Cette désacidification biologique du vin sous l’action de bactéries est aujourd’hui utilisée très largement pour conférer aux vins souplesse, rondeur et stabilité microbiologique.

Chai. Unsplash

Du décryptage de l’activité fermentaire des levures à l’oenologie contemporaine

Avant la Seconde Guerre mondiale, un premier mouvement s’opère en lien avec la densification des réglementations. L’oenologie analytique pratiquée par les chimistes – les laboratoires de la répression des fraudes en particulier – pour détecter le malversations et les produits non marchands conduit les scientifiques à contrôler davantage la qualité des productions avant leur mise en marché. Le quasi-monopole des négociants dans les activités de production, d’élevage et de vente des vins est dans l’entre deux guerres remis en question par l’émergence de nouveaux opérateurs : les vignerons et les coopératives commencent eux aussi à produire et commercialiser leurs vins.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la relation directe entre les vignerons et les consommateurs est encore limitée et l’asymétrie d’information prévaut sur le marché du vin. La volonté des pouvoirs publics de développer les vins d’Apellation d’Origine Controlée (AOC) et les Vins Délimités de Qualité Supérieure (VDQS) combinée à l’essor des nouveaux opérateurs provoque un rapprochement entre le monde de la production et les oenologues. Puisqu’il s’agit de respecter les contraintes normatives caractérisant la qualité des vins (acidité, volatile, degré alcoolique…) les scientifiques multiplient les formations et entrent même progressivement dans le chais.

Au milieu du vingtième siècle, l’industrialisation croissante entraîne des changements scientifiques et techniques, ainsi qu’une augmentation de la compétitivité et de l’internationalisation de l’industrie alimentaire. Ce phénomène conduit au développement ou à la création d’organisations capables de prescrire et d’uniformiser les normes de plus en plus nombreuses imposées aux production alimentaires.

La fondation de l’organisation internationale de normalisation (ISO) en 1947 et le renforcement des actions de l’Office International du Vin (OIV) sont emblématiques de ce processus de standardisation. Il favorise le développement des sciences sensorielles basée sur des techniques d’évaluation standardisées. Les premiers praticiens de l’analyse descriptive (brasseurs, parfumeurs et mais aussi les oenologues américains) commencent à développer l’analyse descriptive en utilisant une méthodologie quantitative. Lors de la création du diplôme national d’oenologue (DNO) en 1955, professeurs et élèves pratiquent encore essentiellement une oenologie analytique de laboratoire très centrée sur les défauts des vins. Mais les transformation sociales, économiques et techniques entraînent une évolution rapide de la science oenologique et de ses applications.

De l’oenologie de laboratoire à l’oenologie conseil

Les années 1970 constituent un tournant pour l’agriculture française, avec le renforcement des réglementations normatives et le passage d’une économie de l’offre à une économie de la demande. Les premières associations de consommateurs, apparues dans les années 1950, à l’instar de l’Union Fédérale des Consommateurs prennent de l’ampleur. Leur émergence, couplée à la montée en puissance du service de répression des fraudes et la multiplication des supermarchés poussent les producteurs à normaliser la qualité de leurs produits. Pour répondre à la demande du marché les producteurs doivent se spécialiser davantage et naît le besoin d’une oenologie de conseil.


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Depuis Pasteur, l’oenologie de laboratoire permet grâce aux analyses effectuées d’adapter les actions des viticulteurs et des négociants dans les chais. Dans les années 1970, l’oenologue Emile Peynaud sera l’un des premiers à se déplacer directement chez ses clients pour suivre la vinification. Mais il ne se contente pas de quitter son laboratoire, devenant un oenologue de terrain, il accompagne également les domaines pour lesquels il travaille, devenant du même coup un des premiers flying winemakers (oenologue conseil) de sa génération. Il souligne notamment l’importance de la maturité phénolique et du contrôle de la température lors de la fermentation sur la qualité des vins. Les noms de Château Margaux, Château Leoville Las Cases, Château Lagrange ou Château Pontet-Canet vous sont familiers ? Ils ont tous été ses clients.

L’avenir de l’oenologie

Depuis ses débuts, l’oenologie est une discipline dont le périmètre n’a cessé d’évoluer. Le passage d’une oenologie empirique puis analytique de laboratoire à une oenologie de conseil et d’intervention reflète les évolutions de la filière. On observe une structuration de la filière autour de l’oenologie. Il est aujourd’hui pratiquement indispensable de justifier d’un diplôme viticole pour reprendre une exploitation (des cours d’oenologie y sont nécessairement dispensés). La quasi-totalité des domaines viticoles font aujourd’hui appel à des oenologues pour la production de leurs cuvées. Certains oenologues conseils agissent eux-mêmes comme un signal de qualité pour les marques qui les emploient. Ces dernières n’hésitent pas à mettre en avant des noms d’oenologues français comme Michel Rolland (qui conseille pas moins de 240 domaines dans 14 pays différents) ou Stéphane Derenoncourt (qui conseille 147 domaines dans 17 pays).

L’avenir de l’oenologie réside peut-être partiellement dans le développement de l’oenologue comme marque et élément clef du système de représentation de valeur.

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