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Lionel Bonaventure / AFP

Loi de bioéthique : les apports d’une révision majeure pour la biomédecine

La loi « relative à la bioéthique », validée par le Conseil constitutionnel, a été publiée au Journal officiel le 3 août 2021.

Ce texte représente l’aboutissement de deux années de navette parlementaire, marquées par l’échec de la Commission mixte paritaire (chargée de trouver un compromis entre les deux chambres) et par le refus du Sénat de procéder à une dernière lecture.,

Cette révision marquera l’histoire de la biomédecine en raison des profondes transformations qu’elle apporte à l’encadrement des techniques biomédicales, dont certaines viennent répondre par la positive à plusieurs demandes sociétales.

La loi nouvelle se trouve composée de 7 titres. Les intitulés de ces derniers, qui reprennent les notions de solidarité, de principes éthiques, d’autonomie, de liberté et de responsabilité, traduisent la volonté législative d’une évolution conduite dans le respect des valeurs essentielles de notre société.

L’extension de l’assistance médicale à la procréation

En tête du texte, on trouve la mesure phare de la loi : l’extension de l’accès de l’assistance médicale à la procréation (AMP – parfois qualifiée de « procréation médicalement assistée » ou PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires, sans aucune différence de traitement selon l’orientation sexuelle du couple ou le statut de femme célibataire (CSP., art. L. 2141-2).

Dans le prolongement de cette mesure est institué un système inédit d’établissement de la filiation pour les enfants des couples de femmes. La filiation est, de façon tout à fait classique, établie à l’égard de la femme qui accouche par sa désignation dans l’acte de naissance. Mais elle est désormais également établie vis-à-vis de l’autre mère par une reconnaissance conjointe anticipée faite devant notaire lors du recueil des consentements, puis transmise à l’officier d’état civil au moment de la naissance (C. civ., art. 342-11).

Un couple de femmes dont l’enfant serait né d’une AMP pratiquée à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi peut aussi recourir à ce mécanisme de la reconnaissance conjointe lorsque la filiation de l’enfant n’est établie qu’à l’égard de celle qui a accouché.

Autre disposition majeure concernant l’AMP : la condition selon laquelle un embryon ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d’un au moins des membres du couple disparaît. Les couples dont la situation le nécessite pourront donc désormais bénéficier d’un don double don de gamètes masculin et féminin, afin qu’un embryon soit constitué à leur attention (CSP., art., L. 2141-3).

Les limites à l’AMP

L’AMP post mortem continue d’être interdite et la ROPA (réception de l’ovocyte par la partenaire), qui permet à une femme de porter l’enfant conçu avec l’ovocyte de sa partenaire, n’est pas autorisée.

La gestation pour autrui (GPA), qui consiste pour une femme « désignée généralement sous le nom de « mère porteuse », à porter un enfant pour le compte d’un « couple de parents d’intention » à qui il sera remis après sa naissance », reste strictement interdite.

Concernant la question de la transcription sur les registres de l’état civil français des actes de naissance des enfants nés à l’étranger de cette technique, un amendement exige que la reconnaissance de la filiation soit « appréciée au regard de la loi française », ce qui empêche la transcription automatique du parent qui n’est pas biologiquement lié avec l’enfant. Pour voir sa parenté reconnue sur le sol français, ce dernier devra recourir à l’adoption (C. civ., art. 47).

La loi reconnaît aux personnes majeures le droit de procéder à l’autoconservation de leurs gamètes en dehors d’un quelconque motif médical, en vue de la réalisation ultérieure, à leur bénéfice, d’une AMP. En revanche, la disposition au travers de laquelle un donneur n’ayant pas encore procréé se voyait proposer le recueil et la conservation d’une partie de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue d’une éventuelle AMP future pour lui-même, est supprimée.

Le droit d’accès aux origines

Un droit d’accès aux origines personnelles des personnes conçues par dons de gamètes et d’embryons est créé : toute personne conçue par AMP avec tiers donneur pourra, à sa majorité, accéder à l’identité et aux données non identifiantes du tiers donneur définies à l’article L. 2143 3 (âge, état général tel qu’elles le décrivent au moment du don, caractéristiques physiques, situation familiale et professionnelle, nationalité, motivations du don rédigées par leurs soins).

Désormais, tout donneur de gamètes ou tout couple décidant de proposer un embryon à l’accueil devront, expressément et préalablement au don, consentir à ce que ces données soient communiquées à l’enfant devenu majeur s’il en fait la demande. En cas de refus, ces personnes ne pourront procéder au don (CSP., art. L. 2143-2). Une commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur, placée auprès du ministre chargé de la santé, sera en charge des demandes relatives à l’accès aux origines des personnes conçues par AMP exogène (AMP faisant intervenir un tiers donneur via un don de spermatozoïdes, d’ovocytes ou d’embryon).

Les personnes conçues antérieurement à la loi nouvelle, dès lors qu’elles souhaitent accéder leurs origines, bénéficient de deux mesures. Primo, elles peuvent effectuer une demande en ce sens auprès de la commission d’accès aux données précitée. Secondo, les donneurs ayant fait un don avant l’entrée en vigueur de la loi pourront se manifester auprès de cette commission (CSP., art. L. 2143-6).

Des évolutions majeures en matière de dons d’organes et de tissus

Les débats autour de l’assistance médicale à la procréation ont eu tendance à monopoliser la scène publique. Pourtant, d’autres secteurs de la biomédecine connaissent d’importantes évolutions suite à ce texte. C’est en particulier le cas pour les greffes.

Dans l’objectif affiché d’accroître la possibilité de dons croisés (technique réunissant plusieurs couples de donneurs/receveurs compatibles entre eux lorsque le proche donneur n’est pas compatible avec le patient), le nombre maximal de paires de donneurs et de receveurs consécutifs est porté de deux à 6. Imaginons qu’une personne A souhaite donner à son proche (receveur 1) mais n’est pas compatible avec lui et qu’une personne B est dans la même situation avec l’un de ses proches (receveur 2). Si le donneur A est compatible avec le receveur 2 et que la personne B est compatible avec le receveur 1, une greffe peut désormais être envisagée entre le donneur A et le receveur 2 et une autre entre le donneur B et le receveur 1.

Il peut aussi désormais être fait recours à un organe prélevé sur une personne décédée « pour augmenter les possibilités d’appariement entre donneurs et receveurs engagés dans un don croisé et en substitution au prélèvement de l’un des donneurs vivants », afin d’augmenter les possibilités d’appariement (CSP., art. L. 1231-1, II).

Les personnes majeures protégées (tutelle, curatelle, habilitation familiale, mandat de protection future en application) sont autorisées à faire un don de leur vivant, à l’exclusion de celles qui font l’objet d’une mesure de représentation à la personne (CSP, art. L.1231-2).

Le don de cellules hématopoïétiques (don « de moelle osseuse »), strictement encadré en raison de son caractère invasif, est élargi, de façon exceptionnelle, d’une part aux père et mère d’une personne mineure, d’autre part aux père et mère ou enfants d’une personne majeure faisant l’objet d’une protection à la personne (CSP, art. L. 1241-3 et L. 1241-4).

Dans le cadre du don de sang, toute différence de traitement des donneurs fondée sur leur orientation sexuelle est proscrite. Il est donc mis fin au délai d’abstinence de quatre mois auparavant imposé aux hommes entretenant des relations avec les autres hommes. À l’instar du don de cellules hématopoïétiques, le cercle des donneurs de sang est élargi aux personnes majeures faisant l’objet d’une mesure de protection autre qu’avec représentation à la personne.

Le don de corps est désormais légalement encadré. Les établissements de santé autorisés à recevoir ce type de dons « s’engagent à apporter respect et dignité aux corps qui leur sont confiés » (CSP., art. L. 1261-1).

À lire aussi : Don de corps à la médecine : comment éviter que dissection ne rime avec transgression ?

Le retour de la technique du « bébé-médicament »

La technique du diagnostic préimplantatoire – typage HLA (DPI-HLA), plus couramment dénommée « bébé-médicament » ou « bébé du double espoir », qui avait été supprimée en première lecture, reste autorisée. Il s’agit de permettre à des parents de concevoir un enfant indemne de la maladie génétique familiale qui a atteint son aîné et est susceptible de soigner cet ainé malade de façon définitive grâce aux cellules souches du sang placentaire prélevées dans le cordon ombilical ou, plus tard, de la moelle osseuse.

La loi facilite la pratique en rendant inopposable à ce dispositif la règle selon laquelle un couple dont des embryons ont été conservés ne peut bénéficier d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert de ceux-ci (CSP, art. L. 2131-4-1).

La facilitation des examens génétiques

Le secteur des examens génétiques et de la transmission des informations qui en découlent connaît des modifications justifiées par l’intérêt de la personne sur laquelle l’examen est pratiqué et, aussi, par la volonté de permettre aux proches de bénéficier de mesures de prévention ou de soin.

Dans cette ligne d’idées, un examen génétique peut être entrepris sur une personne décédée ou hors d’état de s’exprimer, sous réserve qu’elle ne s’y soit pas opposée antérieurement (CSP., art. L. 1130-4).

Les conditions d’information de la parentèle sont précisées : la personne chez qui a été diagnostiquée une anomalie génétique pouvant être responsable d’une affection grave se trouve dans l’obligation d’informer les membres de sa famille potentiellement concernés dont elle possède (ou peut obtenir) les coordonnées, dès lors que des mesures de prévention ou de soins peuvent leur être proposées. Elle dispose cependant d’une option quant aux moyens de remplir cette obligation, puisqu’elle peut procéder elle-même à l’information des proches concernés ou demander au médecin de le faire (. CSP., art. L. 1131-1. – I.).

La loi permet d’informer le patient, à condition de son assentiment, de découvertes de caractéristiques génétiques incidentes, sans relation avec l’indication initiale de l’examen, dès lors que ces informations permettent à la personne ou aux membres de sa famille de bénéficier de mesures de prévention – y compris de conseil génétique – ou de soins (C. civ., art. 16-10).

La transmission d’informations à caractère génétique relative à une anomalie pouvant être responsable d’une affection grave justifiant des mesures de prévention – y compris de conseil génétique – ou de soins, est organisée tant à l’égard des donneurs de gamètes que des enfants issus de leurs dons, de même qu’en cas d’accouchement sous X. (CSP, art. L.1131-1-2).

Des droits et des garanties des patients en matière de données massives sont prévues. L’information du patient préalable à l’utilisation d’un dispositif médical comportant un traitement algorithmique de données massives (intelligence artificielle) est assurée. Il revient au médecin qui pratique l’examen de s’assurer que la personne a été informée et qu’elle est, le cas échéant, avertie de l’interprétation qui en résulte (CSP, art. L.4001-3).

D’importantes évolutions pour la recherche

D’un point de vue administratif, le délai maximum de culture des embryons sur lesquels une recherche est menée passe de 7 à 14 jours (CSP, art. L.2151-5, IV). D’un point de vue scientifique, afin d’augmenter les possibilités de recherche, la recherche sur les cellules souches embryonnaires se trouve facilitée : l’obligation pour les chercheurs d’obtenir une autorisation leur permettant de mener leurs expérimentations a été levée en faveur d’une simple déclaration (CSP., art. L. 2151-6. – I).

L’interdiction de création d’embryons transgéniques (obtenus par l’introduction dans le génome d’une séquence d’ADN étrangère à l’organisme concerné) ou chimériques (dans lequel on a intégré quelques cellules provenant d’une autre espèce) est supprimée. Il n’en subsiste que l’interdiction de modifier un embryon humain par l’adjonction de cellules qui proviendraient d’autres espèces (CSP., art. L. 2151-2).

Enfin, le texte précise que l’imagerie cérébrale fonctionnelle, destinée à l’observation de l’activité cérébrale pour en déduire des conséquences sur le psychisme, ne peut être utilisée qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique. Elle est interdite dans le cadre d’expertises judiciaires (C. civ., art. 16-14).

D’autres évolutions importantes

Parmi les autres mesures à retenir, on peut noter que la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital est améliorée, le délai de mention du sexe à l’état civil est allongé, de même que les conditions de rectification du sexe ou des prénoms à l’état civil sont facilitées. (CSP., art. L.2131-6 et C. civ., art. 57).

L’interruption médicalisée de grossesse connaît également quelques modifications. Parmi elles, la suppression du délai de réflexion d’une semaine à respecter pour la femme avant de procéder à ladite interruption. Le texte encadre aussi la pratique de l’interruption médicale de grossesse partielle qui vise, en cas de grossesse multiple mettant en péril la santé de la femme, à interrompre le développement d’un ou plusieurs embryons (CSP, art. L. 2213-1).

Le texte définitif de la loi relative à la bioéthique a suscité des réactions pour le moins diverses.

Il a été accueilli par les uns comme « une évolution salutaire qui reste à consolider », selon les termes de Jean‑François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) et Pierre-Henri Duée, président de la section technique du CCNE. D’autres ont dénoncé un « scientisme sans limite », dans une tribune signée par 80 députés LR et UDI.

La loi devrait être révisée d’ici un délai de 7 ans.

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