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Loi de programmation recherche : vers une polarisation du monde universitaire

Sorbonne (Paris, 2018). Ludovic Marin/AFP

Cet article fait suite au dossier consacré par la Revue française de pédagogie à la Loi de programmation recherche (LPR). Retrouvez l’un de ses auteurs, Hugo Harari-Kermadec, maître de conférences en économie à l’ENS Paris-Saclay, lors du webinaire sur les évolutions du métier d’enseignant-chercheur organisé le jeudi 11 mars 2021 à 11h par le Groupe AEF info en partenariat avec la Revue et avec The Conversation.


En France, bien que l’éducation gratuite et laïque soit inscrite dans la Constitution de 1946 comme un « devoir de l’État », un nombre croissant d’exceptions permet aux établissements de l’enseignement supérieur de fixer des frais de scolarité de plusieurs milliers d’euros. Ils concernent désormais un cinquième des étudiants, et devraient rapidement s’étendre avec la hausse drastique (+1 600 %) et généralisée des frais d’inscription pour les étudiants non européens (plan « Bienvenue en France »).

L’importance croissante de ces frais d’inscription augmente progressivement la disparité dans le financement des établissements, suivant leur capacité à attirer des étudiants payant les tarifs les plus élevés. Côté recherche également, les financements s’obtiennent sur une base de plus en plus concurrentielle : l’État met au concours une tranche de financement sur un sujet et appelle les établissements à lui soumettre des projets de recherche. Comme pour les frais d’inscription, certains établissements emportent ces financements plus souvent que d’autres.

La Loi de programmation de la recherche (LPR) pourrait marquer une importante étape dans ce processus de transformation de l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), en réaffirmant la priorité donnée à la compétition internationale sur le plan de la recherche, visant des retombées en termes d’innovation, et la conquête de nouvelles parts du marché des étudiants en migration internationale.

Cette compétition globale concerne essentiellement une dizaine d’établissements français, et relègue au second plan les efforts de tous les autres établissements assurant l’essentiel de la massification de l’accès aux études supérieures.

Financement a posteriori

Si la LPR marque une étape décisive dans ce processus, ce n’est pas du fait d’un « effort sans précédent » pour la recherche, mais par la corrélation entre évaluation et financement qu’elle inaugure. Une corrélation promue par le nouveau président de l’HCERES (Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), Thiery Coulhon, qui entraînera un retournement temporel dans le financement de la recherche, avec des effets similaires et complémentaires à la hausse des frais d’inscription pour l’enseignement supérieur.

Au lieu de financer en amont la recherche, comme c’est le cas avec le financement par appels à projets, mais aussi pour les financements récurrents, la LPR inaugure le financement a posteriori de la recherche, à partir de l’évaluation de ses productions, de même que les frais d’inscription ne sont collectés qu’une fois les inscriptions réalisées. Dans les deux cas, il s’agit de contreparties monétaires à une activité réalisée ou en cours de réalisation.

Ce retournement temporel est décisif dans la mise en marché en ce qu’il fait assumer par les acteurs (établissements, équipes, chercheur.euses) l’intégralité du coût de l’incertitude économique. L’épidémie de la Covid-19 l’a déjà illustré là où l’enseignement supérieur est le plus marchandisé : les établissements dépendant le plus des frais d’inscriptions sont amenés à réduire drastiquement leurs programmes et à licencier, en particulier ceux qui ont parié sur les étudiants en migration internationale.

Concentration des moyens

On assiste là à un phénomène économique d’accumulation primitive, que la LPR pourrait accélérer. Les établissements les mieux positionnés aujourd’hui du point de vue de l’évaluation de la recherche, ceux que retient le classement de Shanghai, verront leurs financements s’accroître mécaniquement, le financement venant valider a posteriori leur recherche déjà réalisée.

De même que le financement concurrentiel par appel à projets concentrait une partie croissante des moyens de recherche, le financement par l’évaluation concentrera le résidu de financements autrefois récurrents.

Avec un effet de levier permis par le retournement temporel, les établissements les plus solvables et entreprenants pouvant désormais s’endetter pour initier de nouveaux champs de recherche ou se positionner rapidement sur les thématiques émergentes, d’autant plus facilement que la LPR permettra d’avoir recours à des contrats plus flexibles.

Les deux versants de cette concentration des moyens, financement par l’évaluation de la recherche d’une part et accumulation de frais d’inscription d’autre part, s’articulent déjà : la recherche participe grandement à établir les classements comme celui de Shanghai.

L’inscription dans les mécanismes de l’évaluation, d’autant plus active que les établissements ont à y gagner, participe à la polarisation du secteur, en augmentant l’écart entre les premiers et les autres, au niveau de la réputation mais surtout matériellement, en termes économiques, dès lors que l’évaluation est corrélée au financement.

La LPR s’adresse explicitement à une part, relativement étroite, de l’enseignement supérieur français : les « scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale », selon les mots du PDG du CNRS Antoine Petit.

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