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Loi « Sécurité globale » : un film documentaire pour décrypter trois points sensibles

Interpellation d'une manifestante
Interpellation d'une manifestante contre la loi sécurité globale le 12 décembre 2020. Christophe Archambault/AFP

De la Drôme à Strasbourg en passant par Brest, nombreuses sont encore les manifestations, parfois très localisées et rassemblant de petits noyaux de personnes, s’érigeant contre la proposition de loi « Sécurité globale », qui revient pour une première lecture au Sénat le 16 mars 2021.

Plusieurs mesures sont perçues comme particulièrement problématiques par l’opinion : l’accroissement des pouvoirs des agents de sécurité privés, l’utilisation des drones pour surveiller la population ou encore l’interdiction de diffuser des images de policiers. Le moment singulier choisi pour faire adopter cette loi et le recours à la procédure parlementaire accélérée suscitent aussi de nombreuses interrogations.

Une équipe de chercheurs et de chercheuses décryptent ces questions dans un documentaire de recherche, « Sécurité globale, de quel droit ? ».

De quel droit ? Un film réalisé par Karine Parrot et Stéphane Elmadjian, AGITI Films, 1e février 2021.

La proposition de loi accroît fortement les capacités et pouvoirs de surveillance des forces de l’ordre

L’un des mécanismes proposés est relatif à la fixation de caméras frontales sur les autobus, tramways et tout autre matériel roulant appartenant aux opérateurs de transport public de voyageurs. Alors qu’un système de surveillance existe déjà à l’intérieur des moyens de transport dans les stations de métros, les abribus, etc.(article L. 1632‑2 du code des transports), il s’agit ici de filmer l’ensemble de la voie publique… et même l’intérieur des magasins ouverts au public.

Dès lors, ce n’est plus le seul usager du service de transport qui sera filmé, mais l’ensemble des personnes circulant sur la voie publique. La proposition de loi prévoit seulement une information générale du public sur l’emploi de ces caméras, organisée par le ministre chargé des transports.

Il suffira alors de collecter l’ensemble des données de ces caméras frontales pour reconstituer une surveillance quasiment continue de l’espace public. Annoncé comme expérimental, ce système est bien entendu destiné à être pérennisé : il fait en effet peu de doute que l’acquisition par les entreprises de transports privées d’un matériel de captation extrêmement coûteux devra être rentabilisée.

Des personnes manifestent
Des personnes manifestent contre la loi sécurité globale, à Paris, le 28 novembre 2020. Alain Jocard/AFP

Par ailleurs, l’article 28 ter de la proposition de loi autorise les entreprises à transmettre aux forces de l’ordre les images captées à l’intérieur des moyens de transport de manière inconditionnée, alors que cette transmission était jusqu’à présent limitée à l’existence de circonstances liées à la commission imminente d’une infraction (article L. 1632‑2 du code des transports).

La proposition de loi supprime cette finalité et permet ainsi aux entreprises de transport de transmettre à la police leurs images captées à l’intérieur des transport sans justification particulière. De leur côté, les caméras piétons portées par les forces de l’ordre pourront désormais servir à « informer le public quant aux circonstances de l’intervention ».

Autrement dit, la proposition de loi offre aux forces de l’ordre la possibilité de publier des images officielles de leurs interventions, tout en dépouillant, dans le même temps, les citoyens de ce droit.

Le développement de ce système de surveillance globale passe également par l’utilisation de capteurs sonores, thermiques, d’images qui désormais pourront être embarqués par des drones.

En dehors de tout cadre légal, des pratiques de vidéosurveillance par drones commençaient à s’étendre, donnant l’occasion au Conseil d’État de les sanctionner car portant « une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée » (CE, Ord. Association « La Quadrature du Net » et la LDH, 18 mai 2020, CE, Ord. 22 décembre 2020, Association « La Quadrature du Net »).

Dans son article 22 sur « les caméras aéroportées », la proposition de loi prévoit de légaliser ces pratiques en prévoyant que : « les autorités publiques […] peuvent procéder au traitement d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs », images qui peuvent « être transmises en temps réel au poste de commandement du service concerné ». Alors qu’il s’agit d’un traitement de données personnelles, les règles qui s’y appliquent (RGPD et loi de 1978 modifiée), ne sont pas respectées. Par exemple, si le texte prévoit que le public sera informé « par tout moyen » de l’utilisation de ces dispositifs, c’est pour ajouter immédiatement qu’il ne sera cependant pas informé si « les circonstances l’interdisent » ou si cette information entre « en contradiction avec les objectifs poursuivis ».

Or, un drone qui surveille une manifestation peut être perçu comme un instrument d’intimidation, pouvant dissuader les personnes de manifester par crainte que les images collectées soient ensuite utilisées contre elles, comme l’a souligné la CNCDH (Avis A, 2020, 16). Parce qu’elles peuvent révéler des opinions politiques, syndicales, des convictions religieuses, ces images correspondent à des données sensibles et devraient être particulièrement protégées, ce que la loi ne prévoit pas.

Un drone de la police
Un drone de la police survole, le 24 mars 2020, le marché des Capucins à Marseille. Gérard Julien/AFP

Autrement dit, ces dispositifs ne portent pas seulement atteinte au droit à la vie privée, ils menacent également la liberté d’expression, la liberté d’opinion et la liberté de manifester, comme l’a fait remarquer la CNIL dans son avis du 26 janvier 2021.

Le texte est d’autant plus préoccupant qu’il n’interdit pas le couplage de ces dispositifs avec les technologies de reconnaissance faciale que certaines villes françaises, comme Nice, ont déjà expérimenté malgré les alertes de la CNIL (Avis 17 octobre 2019) et les condamnations du juge administratif (TA Marseille, 3 février 2020).


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Rien, non plus, n’empêche de confier le visionnage voire le traitement des images à des acteurs privés, puisque la sous-traitance n’est pas explicitement interdite par le texte. L’amendement de Philippe Latombe visant à l’interdire a, en effet, été rejeté.

Le recours à ces dispositifs, particulièrement attentatoires aux libertés et par ailleurs très coûteux. Ainsi, à Clamart, commune des Hauts-de-Seine, l’installation d’une caméra coûte environ 25 000 euros (rapport Cour des comptes octobre 2020, p. 67). Il est pourtant encouragé, bien qu’aucune étude n’a démontré leur efficacité sur la baisse de la délinquance ou l’élucidation d’affaires, comme l’a souligné la Cour des comptes dans son rapport d’octobre 2020.

À côté de cette surveillance de masse, la loi chercherait à limiter la diffusion des images représentant les forces de l’ordre

Dans quelle mesure cela est-il possible ?

La disposition la plus controversée de la proposition de loi relative à la sécurité globale est sans aucun doute celle contenue dans l’article 24 qui prévoit de créer un délit de diffusion de l’image d’un policier dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, assorti d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Clairement, il s’agit d’une limite importante à la liberté d’expression et de communication de tout citoyen. Il est vrai que la liberté d’expression n’est pas un droit absolu et qu’il peut y être apporté des limites en cas de dérive ou d’abus, limites qui peuvent prendre la forme d’une incrimination (diffamation, injure par exemple).

Et si la protection de l’intégrité de toute personne en général et de tout policier en particulier est un motif légitime d’incrimination, cela n’autorise pas pour autant la création d’un délit aussi vague.

En effet, le recours au droit pénal ne se fait pas de n’importe quelle manière et doit respecter des conditions en termes de précision du texte et de matérialité du comportement réprimé (art. 111-3 du code pénal).

La loi « sécurité globale » menace-t-elle la démocratie ?

Or, que constate-t-on ici ? Ce n’est pas l’atteinte à l’intégrité qui est réprimée (elle l’est déjà dans le code pénal et de manière aggravée d’ailleurs lorsqu’elle est commise contre un représentant de l’ordre, par exemple en matière de violences volontaires, art. 222-8 du code pénal), ce n’est pas non plus la tentative ni la préparation d’une telle atteinte qui sont réprimées, c’est un comportement complètement déconnecté d’une telle atteinte :

« le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support […] l’image du visage ou tout autre élément d’identification, autre que son numéro d’identification individuel, d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de police municipale ».

En quoi est-ce que le fait de diffuser l’image d’un représentant de l’ordre est nuisible à l’ordre public au point de justifier le recours au droit pénal ? Comment les journalistes pourront-ils, avec un tel texte, continuer à exercer leur métier sereinement, sans s’autocensurer ou risquer d’être placés en garde à vue ? Car il ne faut pas s’y tromper.

Manifestation contre la loi Sécurité globale, 30 janvier 2021. Christophe Archambault/AFP

Le texte est à ce point contraire aux principes fondamentaux du droit pénal qu’il est inapplicable : comment démontrer en effet que cette diffusion est faite « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique » ?

Comment un juge pourrait-il accepter de condamner un individu pour une intention établie de manière divinatoire ? Mais ce texte, tout aussi impuissant qu’il soit à fonder une condamnation, suffira, à partir du moment où il entrera en vigueur, à fonder une intervention policière (pendant une manifestation par exemple) et à placer en garde à vue des individus gênants qui auraient eu la mauvaise idée de filmer ou de photographier des policiers en action.

Le film questionne aussi la manière dont les lois sont fabriquées ces dernières années

À première vue, on pourrait se réjouir : il n’est pas si courant qu’une réforme présentée comme majeure pour un quinquennat présidentiel trouve son origine dans une « proposition de loi » plutôt que dans un « projet de loi », c’est-à-dire dans un texte déposé à l’initiative de parlementaires, et non du gouvernement.

Il est néanmoins très vite apparu que l’initiative parlementaire en question était une tromperie : le gouvernement porte les dispositions de la loi comme s’il s’agissait de son propre projet, au point que, sur certains articles comme l’article 24, le ministre de l’Intérieur en revendique ouvertement la paternité, ainsi que le professeur Molfessis l’a relevé.

On peut parler à ce propos d’un véritable détournement des procédures constitutionnelles de fabrique de la loi : comme le résume la Commission nationale consultative des droits de l’homme :

« en n’assumant pas directement le choix de ces nouvelles orientations sécuritaires, qu’il aurait dû détailler dans un nouveau projet de loi, le gouvernement prive le parlement et la société d’un débat sur leur impact ainsi que d’une expertise juridique du Conseil d’État, préalables requis à l’examen parlementaire de tout projet de loi, mais pas pour une proposition de loi ».

Loin d’un processus plus démocratique de production de la loi, par la prise en charge directe et collective, de la part des représentants de la nation, du travail d’écriture, l’initiative parlementaire joue ici à contresens : la proposition de loi est le produit d’un processus d’une rare obscurité.

Loi sécurité globale : « Je saisirai moi-même le Conseil constitutionnel », promet Castex.

On ne connaît pas précisément, en particulier, les groupes d’intérêts ayant agi sur sa rédaction. Dans le même temps, les instances publiques chargées de veiller au respect des droits fondamentaux en France, tels que la CNIL et le Défenseur des droits ont émis plusieurs réserves.

Les débats à l’Assemblée, au mois de novembre, n’ont pas permis de dévier de cette trajectoire initiale. De façon peu surprenante, les seules discussions qui ont conduit à amender le texte étaient d’ordre technique, et non politique. Dans ces conditions, les tergiversations à propos de la réécriture de l’article 24, concernant la diffusion d’images des forces de l’ordre, ne sont que le point d’aboutissement d’une procédure législative gravement endommagée : si le Premier ministre a ingénument proposé de nommer « une commission indépendante, chargée de proposer à la représentation nationale une nouvelle écriture de l’article 24 », suscitant une gigantesque levée de boucliers, ce n’est pas une simple maladresse politique. C’est le signe qu’au plus haut niveau de l’État, on ne sait plus très bien à quoi sert le Parlement.


Le film, « Sécurité globale, de quel droit ? » (48 minutes, production AGITI Films, janvier 2021) est en accès libre depuis février 2021. Le film est publié sous la licence Creative Common (BY-NC-ND). Il peut être regardé, téléchargé et diffusé gratuitement. Contact presse : loi.securite.globale.le.film@gmail.com.

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