Le Portugais Antonio Guterres est le prochain Secrétaire général de l’ONU. Face à neuf autres candidats, il a pris l’avantage lors des auditions passées en avril dernier devant l’Assemblée générale de l’ONU (une innovation, pour introduire plus de transparence dans le processus de recrutement), et a obtenu le plus de voix favorables lors des tours de scrutin successifs qui se sont déroulés au Conseil de Sécurité. Ainsi, alors que beaucoup de pays souhaitaient que, pour la première fois, une femme arrive à ce poste, et que la Russie militait pour une personnalité d’Europe de l’Est, c’est lui qui l’a emporté, bien qu’il ne corresponde pas à ces deux critères.
Socialiste modéré, il est aussi un fervent catholique – ce qui l’a amené à défendre des positions pas toujours progressistes, par exemple en s’engageant contre l’avortement dans son pays. Il a pour atout d’avoir le verbe facile, il est d’ailleurs surnommé dans son pays le « marteau piqueur parlant », surnom qui fait allusion à sa capacité de parole rapide et prolongée !
Il a aussi comme expérience d’avoir dirigé pendant dix ans, de 2005 à 2015, le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (UNHCR). Cette instance onusienne, créée en 1951 suite à l’adoption cette année-là de la Convention de Genève sur les réfugiés, s’occupe de leur protection dans le monde. À ce poste, Guterres a réduit d’un tiers le personnel du UNHCR basé à Genève pour augmenter sa capacité d’action sur le terrain.
Cette expérience est très importante. En effet la question des réfugiés est devenue cruciale aujourd’hui, où l’on fait face à la plus grande crise depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : il y a, aujourd’hui, plus de 65 millions de réfugiés dans le monde – soit quasiment l’équivalent de toute la population de la France !
Une ONU plus efficace et plus démocratique
Antonio Guterres aura pour défi de rendre l’ONU plus efficace et démocratique :
Efficace, car il faut donner plus de pouvoir d’application pratique à toutes ses décisions, ses résolutions, ses conventions, qui sont de beaux textes mais qui souvent restent lettre morte.
Démocratique, car il faut rendre plus transparent le recrutement, et il faut mettre fin à l’injustice du veto, qui est un privilège que possèdent les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité (France, États-Unis, Royaume-Uni, Chine, Russie). Il bloque souvent l’ONU, comme actuellement avec la crise en Syrie, où la Russie vient, pour la cinquième fois, d’opposer son veto à la proposition d’arrêter les frappes en Syrie.
C’est pour résoudre ce problème que Kofi Annan, en 2006, soutenu par la France, avait proposé que le droit de veto soit suspendu lorsque l’ONU traite de questions où il y a des crimes de masse. Cette idée n’a pas réussi à s’imposer alors, mais fait son chemin dans les esprits à présent.
L’instance la plus universelle
L’ONU a un rôle majeur à jouer au XXIe siècle, car avec la mondialisation, beaucoup de problèmes transcendent les frontières étatiques. C’est notamment le cas des conflits. Aujourd’hui, le conflit en Syrie a des répercussions sur les autres pays (pensons aux attentats en Europe). On peut citer aussi le problème des inégalités dans le monde, qui ne cessent de s’accroître, ou encore celui de la finance (qu’il faudrait réglementer), ceux de l’évasion fiscale (qu’il faudrait interdire), de la mafia, de l’environnement, etc.
Loin de perdre confiance en l’ONU à cause de ses imperfections et de sa fréquente inefficacité, il faut la soutenir, et l’aider à s’améliorer, car c’est l’organisation internationale la plus démocratique. Avec son Assemblée générale où quasiment chaque État du monde est représenté (193 États membres), elle est l’instance la plus universelle, bien plus que l’OCDE par exemple qui ne rassemble que 35 pays, parmi les plus riches du monde, ou que le G7, G8, G20 qui ne sont que des clubs de pays riches. L’ONU, avec son système « un État = une voix » (à l’Assemblée générale) est également plus démocratique que des organisations comme le FMI qui ont un système de vote pondéré, c’est-à-dire où ce sont les pays les plus riches qui disposent de davantage de voix.
Dans le domaine du maintien de la paix, en particulier, l’ONU – en tant qu’organisation universelle – est plus légitime que l’OTAN, dominée par les États-Unis qui tend de plus en plus à se présenter comme l’agence la plus à même de régler les conflits dans le monde. L’ONU doit se réaffirmer face à l’Alliance atlantique et face à certaines grandes puissances qui décident d’agir seules en intervenant unilatéralement dans les grands conflits mondiaux, comme l’ont fait les États-Unis depuis 2003 en Irak, ou comme tend à le faire la Russie aujourd’hui en Syrie.
L’idéal multilatéraliste
La création de l’ONU en 1945 était la victoire de l’esprit pacifiste, l’affirmation du multilatéralisme, belle idée progressiste. Il faut maintenir cet idéal multilatéraliste face aux velléités d’unilatéralisme. Comme l’exprime le sociologue suisse Jean Ziegler, qui a siégé pendant de longues années dans des instances onusiennes, dans son dernier livre Chemins d’espérance (2016), il faut garder l’optimisme et l’espoir en l’ONU. Cette institution est réformable et peut être améliorée.
Par exemple, on pourrait essayer de faire en sorte que le système de sécurité collective qui avait été pensé par les pères fondateurs de l’ONU en 1945, et qui est exprimé dans le chapitre VII de la Charte voie enfin le jour. Autrement dit, que l’ONU puisse déployer de véritables forces militaires en cas de menaces contre la paix, et pas seulement des Casques bleus dépourvus du droit d’intervenir réellement dans les affrontements.
L’ONU possède, on le sait peu, un véritable Comité d’état-major, composé de militaires, qui se réunit toutes les deux semaines. Or, ce Comité est entré en sommeil depuis 1947, comme l’a analysé la chercheuse Alexandra Novosseloff. Ce serait une bonne idée de le réactiver, et de donner ainsi une vraie force militaire à l’ONU.
Il faudrait aussi donner plus de pouvoir d’application aux grands textes de l’ONU. Ainsi, la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et la Convention de l’OIT sur l’abolition du travail forcé (1957) ont été régulièrement bafouées. Autre exemple : plusieurs sites classés sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco ont été détruits, comme Palmyre en 2015, alors qu’ils étaient censés être protégés par l’agence culturelle de l’ONU. Il faudrait que les États ou les personnes qui enfreignent les règles et valeurs de l’ONU soient sanctionnés.
Il faudrait aussi faire davantage connaître l’ONU et ses agences, faire en sorte qu’on en parle davantage dans les médias, dans l’éducation, dans la vie politique, économique, sociale et culturelle.
Antonio Guterres aura donc la lourde tâche de tenter de combler ces lacunes, ce compliance gap de l’ONU, et à tenter de rendre cette organisation plus proche de l’opinion publique mondiale. Pour que cette institution puisse vraiment jouer son rôle de paix, de progrès social et de démocratie dans le monde.