Quel est le principal enseignement à tirer de la tentative d’assassinat de Donald Trump sur la portée de son pouvoir « charismatique » ?
Deux jours seulement après avoir échappé de peu à la mort, l’ancien président américain apparaissait à la convention républicaine de Milwaukee ce 18 juillet, bandage à l’oreille droite.
Il ne doit sa survie qu’à un léger mouvement latéral de tête, lui ayant permis d’éviter l’impact de la balle sur l’arrière du crâne. Seule l’onde de choc du projectile fit saigner son oreille, amenant des commentateurs américains de tous bords politiques à qualifier de « miraculeuse », la sortie quasi indemne de Trump.
Bien que la puissance symbolique de l’événement ait sans nul doute renforcé la position du candidat républicain face à un Joe Biden extrêmement affaibli et qui n’allait pas tarder à jeter l’éponge de la campagne présidentielle, la démonstration était faite que son pouvoir « charismatique » portait bien au-delà d’une aura de survivant.
Le monde entier a assisté à la démonstration publique de l’inébranlable volonté de l’homme aux multiples provocations, sa solidité face à toute forme d’adversité, même une balle.
« Shooting Makes Me Stronger »
Depuis, des militants ont fièrement adopté, en écho au slogan Make America Great Again, le T-shirt Shooting makes me stronger, commercialisé quelques heures seulement après l’attaque de Trump.
La résilience médiatisée du candidat républicain donne une telle force à sa présence publique que la cérémonie d’investiture de Milwaukee a vu un nouvel élément apparaître dans la panoplie du parfait trumpiste. Outre les habituels « goodies » (pins, casquette rouge et tasse à l’effigie de leur héros) arborés par les supporters, certains d’entre eux n’ont pas hésité à recouvrir leur oreille droite d’un bandage tapageur.
Soutien mimétique à la douleur de leur chef, ce qui se cache derrière « le couronnement délirant du roi Trump » pour reprendre le titre donné à un article du NouvelObs, relève effectivement d’une mystique sacrée où se joue le lien entre le « souverain » Trump, Dieu et les militants.
Une quête spirituelle
Cette attitude collective présente des similitudes avec une quête spirituelle qui n’est pas récente. Elle peut être rapprochée d’une injonction religieuse particulière qui consiste à devoir se conformer le plus près possible de la vie du Christ pour faire face aux tentations d’un monde extérieur, déchiré et violent.
On trouve la description précise de cet idéal de vie spirituelle dans L’imitation de Jésus Christ, œuvre anonyme de piété et d’incitation religieuse datant du début du XVe siècle. Rédigé en latin, le manuscrit fut rétrospectivement attribué à un moine néerlandais, Thomas A. Kempis qui vécut en retrait de la vie sociale. Livre de chevet de plusieurs générations de chrétiens accessible dans des centaines d’éditions différentes, son succès fut tel, depuis la fin du Moyen Âge, qu’il a probablement été le deuxième ouvrage le plus publié au monde après la Bible. Il s’agit d’un appel à la conversion intérieure.
Ainsi, pour répondre aux maux de l’époque, il faut parvenir à « renoncer à nous-mêmes, et (à) imiter Jésus-Christ en portant notre croix ». Demeurer fortement attaché au Christ est le passage obligé pour jouir d’une grande paix intérieure.
La blessure de Trump vaut vénération
Tout comme les stigmates de Jésus sur la croix, la blessure de Trump vaut vénération, et son corps vaut celui du Christ. La fonction mimétique est assurée par le sparadrap sur l’oreille ostensiblement reproduit par les disciples les plus zélés du rédempteur Trump. Ils se préparent à « mourir à soi-même, afin de vivre pour lui éternellement » comme précisé dans L’imitation du Christ.
La photographie du visage maculé de sang après l’échec de l’attentat et de son poing levé dans un signe évident d’appel au combat restera inscrite dans l’histoire politique internationale car elle exprime pleinement cette mythologie christique donnant incarnation au sauveur immortel.
Elle invite ses supporters à « mourir dans ce champ de victoire que lui-même a teint de son sang : la retraite est un crime, et qui sort de son rang souille et trahit tout sa gloire », comme cela est souligné dans le manuel médiéval. Ces disciples doivent ainsi s’offrir en entier sans rien conserver de tout ce qu’ils sont.
Un showman, une image qui fait date
L’ancien showman a conscience des imaginaires qu’il remue en affirmant que Dieu était à ses côtés, et qu’il a souffert pour la démocratie au point de prendre une balle pour la sauver.
S’il n’est pas connu pour son intense spiritualité ni pour une application rigoureuse de sa foi, comme en témoignent les frasques qui l’ont conduit au tribunal, Trump ne manque pas d’afficher des signes extérieurs de religiosité.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
Ses premières années d’éducation religieuse sont passées par l’Église presbytérienne. Par la suite, il s’est rapproché d’un prédicateur protestant prônant une éthique de la réussite entrepreneuriale au service de Dieu. Très influencé par une morale de la prospérité, tant matérielle que spirituelle, son électorat de « droite chrétienne » conservatrice est composé d’un large conglomérat de protestants et de catholiques traditionalistes.
Le processus de désubstantialisation de l’identité personnelle des adeptes trumpistes au profit d’une adhésion mimétique à la figure messianique est un gage de pureté morale. C’est une condition incontournable d’intégration dans le groupe. La puissance charismatique du candidat Trump ne peut donc pas se réduire à un phénomène de « peopolisation » ou de ferveur momentanée s’exprimant dans les rassemblements militants. Sa personne même est profondément inscrite dans l’imaginaire religieux américain qui est au fondement de sa symbolique politique.
L’oreille miraculeuse et la puissance charismatique de Trump
L’oreille ensanglantée, devenue miraculée, efface tous les péchés et fonde un nouveau mythe. Elle devient un rempart aux paniques morales qui travaillent en profondeur la société américaine. On peut se demander si, à certains égards, le trumpisme ne serait pas à rapprocher d’une religion séculière au sens où l’entendait Raymond Aron (dans L’Âge des empires et l’avenir de la France, 1946) d’un courant « prenant dans les âmes de nos contemporains, la place de la foi évanouie » comme le fut de façon, certes différente, la passion collective du bolchevisme.
La ferveur populaire qui confine au fanatisme contraste sans nul doute avec la vie politique française, laquelle souffre d’un déficit d’images symboliques structurantes et se voit débordée par des populismes allant d’idéologies « rupturistes » au culte du management.
Toute confrontation au présent et projection dans un avenir commun deviennent improbables. L’avocat et essayiste Richard Malka explique la montée des sensibilités extrêmes par une certaine paresse de nos partis politiques à invoquer leur mythologie respective qui fasse écho aux attentes des concitoyens. Cela se manifeste par une atrophie progressive du pacte social républicain. Entre l’ultra-piété christique outre-Atlantique et l’illisibilité partisane de nos contrées, la ligne de crête des démocraties libérales continue de s’amincir pour atteindre un seuil critique.