Tandis que la flamme olympique s’est éteinte à Paris, tous les regards se tournent désormais vers Los Angeles pour les Jeux olympiques de 2028. La ville hôte a promis que les prochains Jeux d’été seraient « sans voiture ».
Pour qui connaît Los Angeles, cela semble exagérément optimiste. La voiture reste le principal mode de transport à Los Angeles, malgré le développement des transports en commun.
Lorsque Los Angeles a accueilli les Jeux en 1932, elle disposait d’un vaste réseau de transport public, avec des bus et un réseau étendu de tramways électriques. Aujourd’hui, les trolleys ont disparu depuis longtemps, les usagers disent que les bus de la ville n’arrivent pas à l’heure prévue et que les arrêts sont sales. Que s’est-il passé ?
Cette question me fascine, car j’étudie les raisons pour lesquelles la société abandonne puis revient parfois à certaines technologies, telles que les disques vinyles, les téléphones fixes et la petite monnaie. La disparition des tramways électriques à Los Angeles et les tentatives contemporaines de les remettre en service démontrent de manière frappante les défis que posent de telles renaissances.
Tramways rouges et jaunes
Les transports sont une priorité essentielle dans toute ville, et en particulier à Los Angeles, qui a toujours été une métropole tentaculaire.
Au début des années 1900, le magnat des chemins de fer Henry Huntington, qui possédait de vastes étendues de terres autour de Los Angeles, a commencé à subdiviser ses propriétés en petites parcelles et à construire des maisons. Afin d’attirer les acheteurs, il a également mis en place un système de trolley pour transporter les habitants depuis ces zones périphériques vers les emplois et les magasins du centre-ville.
Dans les années 1930, Los Angeles disposait d’un réseau de transport public dynamique, avec plus de 1 600 kilomètres (1 000 miles) de tramways électriques, exploités par deux compagnies : Pacific Electric Railway avec ses « Red Cars », et Los Angeles Railway avec ses « Yellow Cars ».
Le système n’était pas parfait, loin s’en faut. De nombreuses personnes estimaient que les tramways n’étaient pas pratiques et qu’ils étaient malsains lorsqu’ils étaient bondés. En outre, les tramways étaient lents parce qu’ils devaient partager la route avec les automobiles. Avec la généralisation de l’automobile et l’augmentation de l’encombrement des routes, la durée des trajets s’est allongée.
Ce qui n’a pas empêché de nombreux habitants de Los Angeles d’emprunter ces tramways, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’essence était rationnée et que les usines automobiles se consacraient à la production de véhicules militaires.
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La chute des transports publics après la guerre
La fin de la guerre a marqué la fin des tramways à Los Angeles. Entre-temps, l’effort de guerre avait transformé les compagnies pétrolières, les fabricants de pneus et les constructeurs automobiles en mastodontes. Ces industries avaient désormais besoin de nouveaux acheteurs pour les produits qui sortaient en masse des énormes usines qu’elles avaient construites pour la production militaire. Les civils et les soldats, de retour au pays, étaient fatigués du rationnement et des privations de la guerre, et ils voulaient dépenser de l’argent pour des biens tels que les voitures.
Après des années d’utilisation intensive pendant la guerre, le réseau de tramways de Los Angeles avait besoin d’une modernisation coûteuse. Plutôt que d’entreprendre celle-ci, la majeure partie du réseau fut vendue, au milieu des années 1940, à une société appelée National City Lines. Celle-ci appartenait pour partie au constructeur automobile General Motors, aux compagnies pétrolières Standard Oil of California et Phillips Petroleum, ainsi qu’à la société de pneumatiques Firestone.
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Ces puissantes forces n’avaient aucune raison d’entretenir ou d’améliorer l’ancien système de tramways électriques. National City a d’ailleurs arraché les voies et remplacé les tramways par des bus construits par General Motors, équipés de pneus Firestone et fonctionnant à l’essence.
Il existe un débat académique de longue date quant au fait de savoir si les intérêts privés de ces sociétés ont tué le réseau de tramway de Los Angeles de façon délibérée ou non. Certains chercheurs affirment que le système serait mort de lui-même, comme beaucoup d’autres réseaux de tramways dans le monde.
La controverse a même débordé dans la pop culture avec le film Qui veut la peau de Roger Rabbit (1988), qui s’est fermement rangé du côté de la thèse de la conspiration.
Ce qui est incontestable, c’est qu’à partir du milieu des années 40, de puissantes forces sociales ont transformé Los Angeles de sorte que les banlieusards n’avaient plus que deux choix : conduire ou prendre un bus public. En conséquence, Los Angeles est devenue tellement encombrée par la circulation qu’il fallait souvent des heures pour traverser la ville.
En 1990, le Los Angeles Times a rapporté que les gens prenaient des réfrigérateurs, des bureaux et des télévisions dans leurs voitures pour faire face aux embouteillages. De nombreux films, de Chute libre à Clueless en passant par La La Land, ont mis en scène le défi de taille que représente la conduite à Los Angeles.
Déjà en 1984, autre année où Los Angeles a accueilli les Jeux d’été, la circulation routière était un sujet de préoccupation, mais ceux-ci se sont finalement déroulés sans encombre. Les organisateurs avaient réussi à convaincre plus d’un million de personnes de prendre le bus et obtenu que de nombreux camions circulent en dehors des heures de pointe.
À noter toutefois que les Jeux de 2028 verront la participation d’environ 50 % d’athlètes supplémentaires, ce qui signifie des milliers d’entraîneurs, de familles, d’amis et de spectateurs en plus. Il ne suffit donc pas de dépoussiérer les plans d’il y a 40 ans pour que cela fonctionne.
Le plan de Los Angeles pour les transports pendant les Jeux
Aujourd’hui, Los Angeles reconstruit lentement un système de transport public plus robuste. En plus des bus, la ville compte désormais quatre lignes de métro léger – le nouveau nom des tramways électriques – et deux métros. Nombre d’entre eux suivent les mêmes itinéraires que les trolleys électriques d’autrefois. La reconstruction de ce réseau coûte des milliards d’argent public, car l’ancien système a été entièrement démantelé.
Trois améliorations majeures sont prévues pour les Jeux olympiques.
Les terminaux de l’aéroport de Los Angeles doivent être reliés au système ferroviaire.
Le comité d’organisation de Los Angeles prévoit d’utiliser massivement les bus pour le transport des personnes. Pour ce faire, il réaffectera certaines voies de circulation qui seront interdites aux voitures et les mettra à la disposition de 3 000 bus supplémentaires, qui seront empruntés à d’autres endroits.
Enfin, il est prévu d’augmenter de façon permanente le nombre de pistes cyclables dans la ville. Toutefois, une initiative majeure, une piste cyclable le long du fleuve Los Angeles, fait toujours l’objet d’un examen environnemental qui pourrait ne pas être achevé d’ici 2028.
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Une ville privée de voitures pendant 17 jours ?
Je m’attends à ce que les organisateurs réussissent à organiser des Jeux olympiques sans voiture, tout simplement en rendant les conditions de circulation et de stationnement si épouvantables pendant les Jeux que les gens seront obligés de prendre les transports en commun pour se rendre sur les sites sportifs de la ville. Toutefois, une fois les Jeux terminés, il est probable que la majeure partie de Los Angeles revienne rapidement à ses habitudes centrées sur la voiture.
Comme l’a récemment déclaré Casey Wasserman, président du comité d’organisation de LA 2028 :
« Ce qui est unique avec les Jeux olympiques, c’est que pendant 17 jours, on peut régler beaucoup de problèmes en fixant les règles – pour la circulation, pour les supporters, pour le commerce – que pendant une journée normale à Los Angeles. »