Menu Close

Low-tech : après les imaginaires de la sobriété technique, il faut s’intéresser aux usages

Personnes prototypant un poêle auto-constructible.
Prototypage d'un poêle auto-constructible. Julien Lemaistre/Low-tech Lab

Depuis 2020, une pénurie de semi-conducteurs, utilisés par exemple dans les véhicules électriques, frappe l’industrie automobile. Les causes sont multiples : pénurie en eau dans les pays producteurs et modèles de plus en plus gourmands en haute technologie en Europe.

Serait-ce l’occasion de se poser la question du low-tech ? Nous sommes, en effet, face à un paradoxe. En réponse à la crise écologique, les solutions de haute intensité technique sont privilégiées, quand bien même elles augmentent la pression sur les milieux de vie, sont longues à mettre en place et ne résolvent pas les souffrances humaines associées, comme la santé au travail. Il convient donc de questionner notre rapport à la technique dans la réponse à ces enjeux et sa compatibilité avec un monde aux ressources limitées.

Les low-tech, des techniques moins complexes, moins consommatrices, visant un impact le moins négatif possible, tant humain qu’environnemental, sont une piste de sobriété technique à explorer. Cette approche devient de plus en plus crédible, avec l’apparition d’un écosystème structuré et son inclusion dans l’un des scénarios Transition 2050 de l’Ademe.

Un changement technique mais aussi humain

Dans une recherche que nous avons conduite auprès de spécialistes nationaux, nous proposons de définir la low-tech comme

« un ensemble d’objets, de services et de pratiques dont la conception est contrainte par la nécessité de prendre soin des humains et des milieux de production/d’usage dont ils font partie ».

Nous avons également cherché à identifier les caractéristiques qui permettraient de définir cette démarche. Nous en avons dégagé huit principales : une approche située, un renouvellement des méthodes de conception, une transformation psychologique, une émancipation des utilisateurs, une tendance à favoriser la désautomatisation, une posture critique, une utilité radicale et une soutenabilité technique.

Infographie représentant les 8 caractéristiques du low-tech et leur définition
Infographie représentant les 8 caractéristiques du low-tech et leur définition. Auteurs, Fourni par l'auteur

Ces caractéristiques révèlent que la low-tech n’est pas définie uniquement par une différence de degré technique avec la high-tech, mais qu’il s’agit d’une démarche globale qui comprend de fortes dimensions humaines et sociales. Le mouvement ayant été popularisé et développé, en France, par des ingénieurs, le facteur humain y est encore peu pris en compte et théorisé (impact sur l’organisation du travail, facilité d’utilisation, besoins, etc.) ou se limite à la question de l’acceptabilité sociale.

Des freins d’utilisation

Dans un récent rapport, l’Ademe identifie quatre freins au déploiement du low-tech (réglementaire, culturel, économique et sémantique) mais ne tient pas compte des réticences liées à l’utilisabilité.

Ces freins semblent pourtant importants, et ce particulièrement dans le cas du low-tech. Les modèles théoriques de l’acceptation technologique (les modèles qui expliquent les facteurs à l’origine de l’adoption d’une technologie) soulignent que la qualité de l’interaction entre les utilisateurs et les artefacts peut être un obstacle majeur. En effet, ils identifient l’utilité et l’utilisabilité comme des déterminants significatifs du recours aux technologies.

[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]

Pour déterminer plus finement ces freins interactionnels, nous avons mené une étude sur les représentations du public en partenariat avec le Low-Tech Lab, une association qui a vocation à diffuser la démarche low-tech. Les personnes interrogées expriment comme conditions à la transition vers les low-tech : leur accessibilité, la capacité d’utilisation en autonomie et la nécessité d’un changement psychologique, ce qui confirme l’importance des obstacles liés à l’usage.

Cette figure résume les représentations à propos du low-tech à partir d’une analyse textuelle. On constate qu’en plus des enjeux techniques, le low-tech doit répondre à un défi de transition sociétale. Pour faire cette transition vers l’utilisation plus large de système low-tech, les participants identifient principalement des obstacles liés à l’accessibilité et à la facilité d’utilisation. Auteurs, Fourni par l'auteur

Pour aller plus loin, dans un autre travail de recherche, nous avons catégorisé les problèmes que rencontrent les utilisateurs (actuels et potentiels) de dispositifs low-tech.

Des conseils aux concepteurs

Au total, 14 catégories de problèmes apparaissent : compatibilité avec les conditions de vie, performance, plaisir/idéologie, utilité, production/installation, gestion des composants, savoir-faire, sécurité, charge supplémentaire, nuisances, maintien du mode nominal, contrôle, conformité légale et dimension sociale.

Ces catégories trouvent leurs causes dans deux principaux facteurs. D’abord, le low-tech nécessite une plus grande implication des utilisateurs comparé aux technologies classiques. Les dispositifs sont moins automatisés, moins numériques, etc.

L’utilisateur reprend en charge une grande partie de ce qui est actuellement géré par l’automatisation (par exemple, le nettoyage dans le cas des toilettes sèches) ou par des processus industriels standardisés. Cela peut entraîner une charge supplémentaire (cognitive, temporelle) qui peut être compensée, par exemple, en rendant clairement visible et compréhensible les parties inhabituelles du dispositif avec lesquelles l’utilisateur doit interagir.

Ensuite, les dispositifs low-tech ont parfois un aspect rudimentaire ou bricolé. Dans une perspective d’autonomisation, mais aussi de durabilité environnementale, les low-tech ne sont pas nécessairement fabriquées et installées par des professionnels. Cela peut entraîner des conséquences sur leur sécurité d’utilisation (par exemple, lors de manipulation de déchets), et également sur la compréhension de leur fonctionnement, etc.

C’est pourquoi nous avons formalisé sept recommandations de conception permettant aux personnes qui construisent des systèmes low-tech de prendre conscience de ces problèmes d’utilisation pour les éviter. Notre objectif était de guider les praticiens sur les aspects liés à l’interaction entre humains et low-tech, tout en leur donnant la possibilité de rester en phase avec la démarche low-tech. Si certaines recommandations aident à arbitrer sur le juste niveau de technologie à proposer aux utilisateurs, d’autres visent à faciliter leur utilisation.

Des imaginaires aux usages

Alors que le low-tech apparaît comme crédible et pertinent pour aborder la transition écologique et sociale, les freins « humains » à son adoption par une plus large population ne sont pas seulement liés aux « imaginaires » mais aussi à des questions d’utilisation concrètes (accessibilité, utilisabilité, etc.) qui nécessitent de penser la sobriété technique à l’aune des usages.

D’autres freins existent. Par exemple, les « concepteurs » peuvent ne pas être enclins à développer des dispositifs low-tech, car cette approche faisant appel à un « discernement technologique » n’est pas la façon classique leur permettant de valoriser leurs compétences ou celles de leurs entreprises.

Ces dernières années, de nombreuses recherches essaient d’éclairer la démarche low-tech. Restons toutefois modestes. Il ne sera pas possible, ni souhaitable, de « résoudre » tous les problèmes d’utilisation. En effet, le low-tech nous invite à accepter une part de « frictions », à remettre en cause des besoins, à choisir des priorités. Bref, à ne pas reproduire les pratiques de conception qui ont participé à engendrer la crise environnementale actuelle.


Cet article a été co-écrit avec Antoine Martin, docteur en ergonomie et facteurs humains et cofondateur de Sentier Ergonomie.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,000 academics and researchers from 4,940 institutions.

Register now