Même s’il est difficile de l’admettre, c’est un fait historique incontestable que les grandes pandémies entraînent fréquemment une réforme sociale.
Les historiens nous rappellent que c’est à la suite de la peste bubonique, également connue sous le vocable de Peste noire, entre 1347 et 1351, que les conditions de vies et de travail des travailleurs à faibles revenus se sont améliorées, ce qui s’est ensuite traduit par une alimentation plus saine et une plus grande résistance aux épisodes pandémiques subséquents.

L’épidémie de choléra de 1854 a permis à l’épidémiologiste John Snow d’établir une corrélation entre l’eau potable et la maladie, ce qui a poussé par la suite les gouvernements à investir dans des infrastructures hydrauliques et sanitaires.
Tout comme la peste bubonique et le choléra, l’épidémie dite de grippe espagnole de 1918-19 a été une « maladie de foules » nourrie par les inégalités sociales. Ceux qui vivaient dans des habitations surpeuplées, ou combattaient dans les tranchées de la Première Guerre mondiale souffraient de malnutrition et du froid et, de ce fait, ont été plus réceptifs à la maladie.
À la suite de cette pandémie, vieille désormais d’un siècle, de nombreux pays ont reconnu l’importance d’un système de santé universel et de meilleures conditions de logement. Aux États-Unis où la main-d’œuvre masculine a été décimée en raison de l’absence de distanciation sociale, les femmes qui l’ont remplacée ont acquis une certaine indépendance financière, ce qui a fait avancer le mouvement des suffragettes.
Faire face aux besoins élémentaires
Au cours de chacun de ces épisodes, il est apparu évident que le confort des plus privilégiés dépendait de la capacité à répondre aux besoins de base des plus démunis.
Or, où en sommes-nous au Canada, à peine quelques semaines d’une pandémie qui pourrait durer des mois et se déployer en plusieurs vagues ?
Voici quelques faits saillants
Des dizaines de milliers de sans-abri, y compris ceux qui vivent dans des foyers d’accueil, sont dans la rue ou dans des logements inadéquats, véritables nids d’infection, sans aucune possibilité de s’isoler s’ils présentent des symptômes.
Les 83 pour cent des Canadiens travaillant dans le secteur des services ont été affectés par la fermeture des restaurants, boutiques, hôtels, théâtres et universités ;
Près d’un tiers des Canadiens disposent de l’équivalent de moins d’un mois d’épargne, et beaucoup d’entre eux, proches de l’âge de la retraite, ont vu fondre la valeur de leurs portefeuilles.
Des failles dans l’infrastructure de santé
Le coronavirus nous permet aussi de voir comment nos infrastructures de soins dépérissent :
Le pourcentage de lits d’hôpitaux disponibles par Canadien a baissé de 6,75 pour 1000 en 1976 à 2,5 pour 1000 en 2018.
Entre 1974 et 1986, plus de 220 000 logements sociaux ont été construits avec le soutien des trois paliers de gouvernement. Mais le nombre d’habitations à loyer modique est en nette diminution depuis trois décennies (du début des années 90 jusqu’à 2017) en raison du soutien accordé par le gouvernement fédéral aux acheteurs, au détriment des locataires les plus pauvres. Ce qui a exacerbé les problèmes des sans-abri et causé un stress considérable à la population à faible revenu qui vit d’une paie à l’autre, de ses économies pour la retraite, ou de subsides gouvernementaux pour assurer sa survie. Le logement étant un déterminant social de santé, il est impossible de rester en bonne santé sans un logement adéquat.
Que faire ?
La Covid-19 a mis au grand jour la menace que représentent toutes ces lacunes de notre filet de sécurité sociale. Alors, que faire maintenant ?
Pour faire face aux crises économique et sanitaire provoquées par le Covid-19, une réponse fondée sur les droits collectifs est indispensable si le Canada veut avoir une chance d’éviter des morts par milliers et l’effondrement social. Pour sauver les vies des plus fragiles, les mesures d’urgence doivent inclure :
Dans les foyers d’accueil, un système permettant de placer en quarantaine les sans-abris malades, tout en protégeant ceux qui ne sont pas infectés.
L’arrêt immédiat de toute procédure d’éviction ou d’interruption de services essentiels pour les locataires en retard de paiement.
Des mesures sanitaires temporaires comme les centres de tests mobiles.
De l’aide alimentaire, en particulier pour les personnes âgées ou handicapées, et des mesures énergiques contre l’accumulation de marchandises, quitte à recourir au rationnement.
Des mesures à long terme
Les mesures à moyen terme (de six mois à cinq ans) devraient comprendre les éléments suivants :
Le revenu de base universel d’urgence pour les foyers à faible revenu.
Les gouvernements devraient profiter du ralentissement des transactions immobilières sur les condos et appartements ainsi que de faibles taux d’intérêt pour les acquérir et les transformer en logements sociaux.
Un « New Deal » vert afin de stimuler l’économie. Ce pacte de relance économique et écologique pourrait compenser les manques criants en matière d’infrastructure, et inclurait des cibles plus élevées pour la construction ou la rénovation de logements à loyers modiques, de préférence à but non lucratif pour des raisons d’efficacité économique. Ce plan pourrait également soutenir l’amélioration des infrastructures publiques de santé et un plan ambitieux de reforestation qui favoriserait à la fois la lutte contre les changements climatiques et la création d’emplois.
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- Une meilleure intégration de la planification entre les gouvernements locaux, provinciaux et fédéral pour se prémunir contre les crises sanitaires à venir (qui se multiplieront vraisemblablement dans une ère de changement climatique accélérée et de transports internationaux).
Il faut croire à la science
Nous assistons à l’émergence de changements à long terme. Notre recours au leadership et aux conseils scientifiques fiables de l’Organisation mondiale de la santé souligne l’importance d’une collaboration internationale et du partage des informations.
Mais le manque de personnel médical capable de répondre aux urgences sociétales semble indiquer le besoin solutions nationales sur le long terme.

L’échec lamentable de l’approche égoïste et paniquée d’accumulation de marchandises contraste avec les succès rencontrés par la Corée du Sud et Singapour grâce à leur coordination nationale et un contrat social basé sur la confiance.
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Le Canada se doit de rebâtir son filet de sécurité sociale érodé par trois décennies d’idéologie néolibérale. Cet effort devrait être financé par un retour à une fiscalité progressive des individus et entreprises fortunées.
Le Canada a rapidement mis en place un plan d’intervention économique pour répondre au Covid-19. Même si les risques sanitaires varient en fonction de l’âge et des conditions de logement, les pandémies sont une menace pour nous tous. La seule façon de nous en sortir est de se mettre ensemble pour rebâtir.