La rentrée scolaire est un rituel bien institué qui véhicule son lot d’images et de personnages emblématiques : les salles de classe impeccables, les cours d’école pimpantes, les enfants avec leurs sacs d’école tout neufs sur le dos, et beaucoup d’émotions du côté des parents et des enseignants.
Il est pourtant un personnage dont on parle peu alors qu’il est central dans la vie des écoles maternelles, et fortement mis à contribution pour la mise en œuvre de la rentrée en maternelle : l’Atsem, ou agente territoriale spécialisée des écoles maternelles – le féminin s’imposant pour ces emplois à 99 % occupés par des femmes.
Longtemps invisibles, car très dominées dans l’espace social de l’école, les Atsem entrent petit à petit dans la lumière, mais restent en position de faiblesse dans les rapports sociaux au travail. Alors qu'elles sont en grève en cette rentrée 2022 pour une meilleure reconnaissance de leurs missions et une revalorisation de leurs salaires, revenons sur le cœur de ce métier et son quotidien, pour mieux comprendre à quelles tensions il est soumis aujourd’hui.
Vers un rôle éducatif
La présence d’une « femme de service » apparait dès 1838 dans la législation sur la salle d’asile. Cette institution philanthropique a précédé l’école maternelle instituée par les lois scolaires des années 1880, dites lois Ferry. La femme de service doit balayer, aérer, allumer le poêle le matin (et donc arriver une heure avant). Mais dès le XIXe siècle, comme l’a montré Henri Petit, dans des établissements où les enfants sont nombreux et où l’encadrement est faible, on lui confie des tâches qui la rapprochent des enfants. Elles vont les garder (en fin de journée, les jours fériés, quand la directrice est occupée, etc.), puis, progressivement, se charger des soins corporels.
Dans la deuxième partie du XXe siècle, l’école maternelle se massifie et se transforme. L’introduction d’un abondant matériel pédagogique dans les classes rend nécessaires de nouvelles tâches d’entretien (nettoyage, préparation, rangement). Celles-ci sont attribuées aux femmes de service. Leur statut d’emploi évolue vers celui de fonctionnaires territoriales, dans le sillage des lois de décentralisation : elles deviennent Asem (agentes spécialisées des écoles maternelles) avec l’arrêté du 27 avril 1971 sur les emplois communaux, puis Atsem (t pour territorial) avec le décret du 28 aout 1992 qui va cadrer et définir officiellement leur métier pendant vingt-six ans.
Dans les dernières décennies du XXe siècle, l’école maternelle devient une étape propédeutique (préparatoire) à l’école élémentaire, et le langage y devient une priorité. Les enseignements se densifient et des activités en petits groupes très exigeantes sur le plan langagier et cognitif sont prescrites aux enseignant·e·s (conversations, phonologie, jeux mathématiques, etc.). Les Atsem entrent alors progressivement dans les classes : on leur confie l’installation puis, petit à petit, l’animation d’activités manuelles puis d’« ateliers de graphisme ».
Des enjeux de reconnaissance
Cette évolution vers un métier de plus en plus éducatif est emblématique d’un processus décrit en sociologie du travail par Everett Hughes qui étudia les infirmières hospitalières aux États-Unis dans les années 1950. Une division du travail socialement hiérarchisée s’établit entre différents métiers plus ou moins prestigieux (soin vs médecine ; entretien et hygiène vs pédagogie et enseignement).
Elle se recompose au fur et à mesure que les métiers évoluent avec l’augmentation des connaissances et la reconfiguration des attentes sociales. Ainsi, les travailleurs subalternes se voient confier des tâches autrefois réservées aux métiers plus prestigieux qu’ils côtoient : tout comme les infirmières hospitalières des années 1950-60 aux États-Unis accèdent à des tâches techniques préalablement réalisées par les médecins, les femmes de service accèdent à des tâches éducatives au fur et à mesure que l’école maternelle et le métier d’enseignant·e en maternelle évoluent.
C’est un premier ressort de la visibilisation des Atsem : elles sont désormais reconnues comme personnel éducatif de l’école maternelle. Néanmoins, cette reconnaissance n’efface pas leur domination dans les rapports sociaux au travail et vis-à-vis de l’emploi. Tout d’abord, leur place dans l’école maternelle se décline de manière hétérogène selon les territoires : si certaines enquêtes montrent qu’un binôme enseignant·e-Atsem associé à leur forte présence dans la classe et à la reconnaissance de leurs compétences éducatives semble la norme, d’autres montrent qu’ailleurs toutes les classes maternelles ne sont pas dotées d’une Atsem et que leur place reste plus proche du pôle du nettoyage et de la surveillance que du pôle pédagogique.
De fait, la porosité de leur statut avec celui des agent·e·s d’entretien et de restauration est forte, d’autant qu’elles entrent souvent dans le métier par ces emplois et qu’une bonne partie d’entre elles conservent le statut d’agente de service alors qu’elles font fonction d’Atsem. Cela a des conséquences sur leur stabilité d’emploi, leurs rémunérations et leurs carrières et les rend vulnérables vis-à-vis de leur employeur : « retourner faire du ménage » (et seulement ça) est une menace qui pèse lourd sur une partie d’entre elles.
Problèmes de pénibilité
De plus, l’évolution de leurs missions vers des tâches éducatives et même proprement pédagogiques n’a pas pour autant fait disparaître leurs tâches historiques d’entretien des locaux, des matériels et d’hygiène des enfants (une mise à contribution exacerbée par la crise sanitaire), alors même que leurs prérogatives s’étendent à présent à l’accueil des enfants à besoin éducatifs particuliers, aux animations périscolaires et même aux accueils de loisirs.
L’accès aux missions éducatives se paye donc au prix d’une extension impressionnante de leurs tâches, comme le montre l’article 1 du décret du 1ᵉʳ mars 2018 qui cadre et définit désormais leur travail :
« Les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles sont chargés de l’assistance au personnel enseignant pour l’accueil et l’hygiène des enfants des classes maternelles ou enfantines ainsi que de la préparation et la mise en état de propreté des locaux et du matériel servant directement à ces enfants.
[…] Ils peuvent participer à la mise en œuvre des activités pédagogiques prévues par les enseignants et sous la responsabilité de ces derniers. Ils peuvent également assister les enseignants dans les classes ou établissements accueillant des enfants à besoins éducatifs particuliers.
En outre, ils peuvent être chargés de la surveillance des enfants des classes maternelles ou enfantines dans les lieux de restauration scolaire. Ils peuvent également être chargés, en journée, des missions prévues au premier alinéa et de l’animation dans le temps périscolaire ou lors des accueils de loisirs en dehors du domicile parental de ces enfants. »
Ce phénomène est au principe d’un autre ressort de leur visibilisation : les Atsem se rendent visibles pour revendiquer d’une part la reconnaissance symbolique à laquelle elles estiment avoir droit au regard du travail qu’elles réalisent et d’autre part l’amélioration de leurs conditions de travail eu égard à la charge et à la pénibilité de ce travail (périodes et durées de travail, multiplicité et polyvalence des tâches, pénibilité spécifique du travail auprès des jeunes enfants).
Très présentes sur les réseaux sociaux depuis quelques années, notamment à travers un collectif Atsem de France créé en janvier 2016, elles tissent des liens et échangent au-delà du seul périmètre de leur école et de leur commune, décrivent la réalité de leur travail, organisent une Journée nationale des Atsem en mars et impulsent ou soutiennent des mouvements sociaux, comme celui qui a opposé les Atsem de Montpellier à leur employeur sur la question, justement, de l’extension de leur durée quotidienne de travail, et qui a été très soutenu.