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L’union de la gauche a-t-elle un avenir ?

Manifestation à Rennes en 2016, contre le recours à l'article 49.3 par le gouvernement dans un contexte social tendu sur la loi travail. DAMIEN MEYER / AFP

La gauche partira finalement unie dans les Hauts-de-France pour les élections régionales de juin prochain : le Parti socialiste, le Parti communiste, la France Insoumise et Europe Écologie-Les Verts se sont rassemblés derrière l'écologiste Karima Delli.

Mais cette union peut-elle se généraliser à d'autres régions et, surtout, à l'élection présidentielle, qui approche à grand pas ?

À l'automne dernier, déjà, François Hollande, Lionel Jospin et Anne Hidalgo ont, chacun de leur côté, réclamé une social-démocratie rénovée, soulignant en creux que la crise du socialisme français ouverte par la présidence Hollande était loin d’être résorbée. Au cours des cinq années d’exercice du pouvoir, la démission de plusieurs ministres, l’émergence de « frondeurs » au sein du groupe parlementaire et la division du Parti socialiste (PS) au moment de l’élection présidentielle de 2017 ont profondément fracturé cette famille politique.

Plusieurs ténors du gouvernement refusèrent de soutenir la candidature du vainqueur de la primaire socialiste, Benoît Hamon, et 9 % des cadres du parti rallièrent le mouvement En Marche d’Emmanuel Macron.

Un mécanisme classique dans l’histoire socialiste s’enclencha alors après la défaite de 2017, celui des appels à la refondation et à l’unité de la gauche.

Rebâtir la gauche

À l’instar de François Hollande, Lionel Jospin et Anne Hidalgo, des personnalités au centre, aux marges ou en dehors du PS appellent à la rebâtir sur un projet conciliant efficacité économique, justice sociale, transition écologique et respect des valeurs démocratiques – avec des nuances importantes sur le contenu et la stratégie pour y parvenir.

Dès juillet 2017, Benoît Hamon fonde le mouvement Génération·s dont l’objectif affiché est de « refaire la gauche ». Au PS, la nouvelle direction ambitionne de construire la « gauche d’après », thème central de sa récente université d’été.

Si la gravité de cette crise est indéniable, la replacer dans une perspective historique de longue durée permet de nuancer sa singularité et d’éviter de céder à la thèse trop simple de la « mort » du socialisme politique en France, énoncée par certains commentateurs comme une évidence.

Une crise inscrite dans une histoire longue

Depuis les dernières années du quinquennat Hollande, les effectifs du PS n’ont cessé de décliner, ce qui n’avait pas été le cas lors des précédentes crises de 1993 (défaite historique aux élections législatives), du 21 avril 2002 ou encore de 2005, lorsque le parti s’était divisé au moment du référendum pour l’adoption d’une Constitution européenne. En janvier 2016, le PS comptait environ 100 000 adhérents à jour de cotisations.

Ils n’étaient plus que 40 000 fin 2017.

Comme le relevait justement l’ancien sénateur Henri Weber, fin connaisseur de l’histoire et de la doctrine socialistes récemment disparu, l’ampleur de cette hémorragie militante n’est comparable qu’à celle qui frappa la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) à l’issue du congrès de Tours de décembre 1920 entérinant la scission entre socialistes et communistes.

Deux tiers environ de ses 178 000 militants la quittèrent alors pour fonder la Section française de l’Internationale communiste (SFIC) et adhérer au Komintern créé un an plus tôt par Lénine.

Léon Blum, la vie mouvementée d’un humaniste.

Dès 1923 cependant, le Parti socialiste redevint le premier parti ouvrier français. De nombreux militants communistes, hostiles à la discipline exercée par Moscou sur les structures et la presse du nouveau parti, réintégrèrent la « vieille maison » (Léon Blum), qui maintenait son identité révolutionnaire tout en garantissant le respect des principes démocratiques dans ses débats internes.

Un tel retour de flamme militant apparaît improbable en 2021 et aucune des personnalités appelant à la refondation ne l’envisage sérieusement.

Le PS, une force parmi d’autres

La configuration politique de la gauche post-2017 est en effet fort différente de celle de 1920. Le PS est désormais une force parmi d’autres et subit la concurrence d’EELV et de La France insoumise (LFI), cette dernière dominant la gauche de la gauche loin devant le Parti communiste (PCF).

Il faut remonter à la période antérieure à l’« ère Mitterrand » (1965-1995) pour trouver une situation comparable.

La SFIO est alors très affaiblie. Le silence face à l’usage de la torture en Algérie par le gouvernement de Guy Mollet (1956-1957), secrétaire général de l’organisation, suivie quelques mois plus tard du ralliement de la direction à la Ve République du général De Gaulle provoquèrent une scission dans ses rangs.

À partir de 1960, elle doit ainsi faire face à la concurrence du Parti socialiste unifié (PSU). De très loin la principale force de gauche, le PCF maintient quant à lui la position adoptée depuis les débuts de la guerre froide en 1947, à savoir le refus de tout rapprochement durable avec les organisations socialistes, qui ne l’empêchait cependant pas, depuis la mort de Staline en 1953, de soutenir ponctuellement des candidats de gauche au niveau local et national.

Ses députés se prononcèrent ainsi pour la nomination de Pierre Mendès France à la tête du gouvernement en 1954 et votèrent l’investiture du gouvernement Mollet en 1956.

Pierre Mendès-France au centre, signe un document lors d’un conseil de l’OTAN tenu au Palais de Chaillot le 22 octobre 1954 concernant l’admission de l’Allemagne de l’Ouest au sein de la jeune organisation. Intercontinentale/AFP

Sans pousser trop loin la comparaison, la situation actuelle de la gauche évoque cette période sur plusieurs points. Si LFI ne jouit pas du même rayonnement intellectuel et militant que le PCF de l’époque, elle apparaît difficilement contournable dans la perspective d’une reconquête du pouvoir.

EELV présente quant à lui un air de famille avec le PSU : faibles effectifs, tendance aux divisions et place importante accordée à la réflexion intellectuelle qui lui permet d’être un laboratoire d’idées pour la gauche, les dérèglements climatiques renforçant sa légitimité.

Par-delà les limites de cette comparaison qu’il convient maintenant de préciser, la manière dont la gauche se recomposa dans les années 1960 peut donner à réfléchir à son héritière.

Sortir de la crise

Une première différence majeure tient à la relation qu’entretient le PS avec EELV et LFI. Préoccupée avant tout par ses rapports avec le PCF, la SFIO d’alors considérait le PSU comme une composante négligeable et un frein à l’union.

De même, le PS a longtemps vu dans les Verts une simple force d’appoint qu’il pouvait être utile d’avoir avec soi mais à qui les concessions accordées tant au niveau des postes gouvernementaux que des idées restaient mineures – que l’on songe à la « gauche plurielle » du gouvernement Jospin ou à la place des écologistes dans le gouvernement Ayrault (2012-2014).

François Hollande lors d’une étape du Tour de France, entre Chauvigny et Sarran, le 10 septembre 2020. Stephane Mahe/AFP

Les confidences candides de François Hollande aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme concernant l’écologie ne laissent guère de doute sur son rapport principalement instrumental à EELV tout au long du quinquennat :

« Je me suis intéressé à ce sujet tardivement, quand on a eu la COP 21 […]. Ségolène est beaucoup plus écolo que moi. Elle faisait du tri sélectif […]. Moi, je laissais faire. […] Les poubelles, je les descendais, mais elle faisait le tri. Je pensais que l’écologie était un sujet, mais qu’il n’y avait pas de traduction électorale. »

Les succès municipaux d’EELV, auxquels s’ajoutent ceux obtenus lors des dernières élections européennes, ont changé la donne pour une organisation considérée jusqu’à peu comme un « petit parti de gouvernement » particulièrement « vulnérable aux OPA politiques à l’heure où chacun peut se dire écologiste ».

Éric Piolle (maire de Grenoble, EELV) avec le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure à Blois en août 2020. Guillaume Souvant/AFP

Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, qui se positionne en faveur d’une candidature unique de la gauche, envisage la possibilité que son parti se range derrière un candidat ne sortant pas de ses rangs lors de la prochaine élection présidentielle.

La relation entre le PS et LFI est également très différente de celle prévalant entre la SFIO et le PCF. On peut toutefois rappeler que l’hostilité radicale du PCF à toute union de la gauche, stratégie aujourd’hui privilégiée par Jean‑Luc Mélenchon, évolua rapidement face à la menace d’une hégémonie gaulliste sur la vie politique nationale.

En 1962, la direction du PCF accepta la proposition de Guy Mollet de renouer un dialogue idéologique avec la SFIO.

Après la mort de Maurice Thorez en 1964, le nouveau secrétaire général du PCF, Waldeck Rochet, approfondit cette stratégie d’ouverture, dont le résultat le plus visible fut le soutien apporté par les communistes au candidat unique de la gauche à l’élection présidentielle de 1965, François Mitterrand.

Waldeck Rochet annonce le soutien de son parti à François Mitterand, 23 septembre 1965, INA.

Un rassemblement autour des partis passé de mode ?

Ce rassemblement des gauches orchestré par les partis semble toutefois passé de mode. Une deuxième différence importante entre les années 1960 et la période actuelle réside en effet dans le discrédit de cette structure politique.

À l’image de LFI, qui se définit comme un mouvement, beaucoup de ténors socialistes, en particulier ses grands édiles, considèrent que le PS doit se fondre dans un ensemble plus large et horizontal, fortement implanté dans les milieux associatifs.

L’originalité de cette approche ne doit cependant pas être surestimée. La SFIO et le PS ne furent jamais des partis de masse ; leur audience reposa toujours sur un enracinement dans des réseaux et des milieux dépassant largement le cadre partisan, par exemple dans le Nord au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

La symbiose entre le PS et de larges couches de la société fut aussi particulièrement forte dans les années suivant la refondation de l’organisation lors du congrès d’Épinay de 1971. Sa popularité dans les milieux syndicaux (notamment la CFDT) et associatifs lui permit de vivre jusqu’en 1981 une parenthèse militante rare dans son histoire.

Cette implantation dans la société s’est progressivement relâchée, notamment après 2002 où le PS devient clairement un parti dominé par les élus locaux et leurs collaborateurs.

Cette mutation sociologique lourde, qui l’éloigne voire le coupe des milieux populaires et intellectuels dans certains territoires, explique le déclin des engagements multiples de ses militants. Comme le constate le politiste Rémi Lefebvre :

« Être adhérent implique moins que par le passé d’être syndiqué (les statuts l’exigent pourtant toujours), membre d’une association de parents d’élèves, de militer dans l’éducation populaire »

Dans leur enquête sur les adhérents socialistes, les politistes Claude Dargent et Henri Rey soulignent quant à eux que 38 % seulement des adhérents du PS étaient syndiqués en 2011 contre 64 % en 1998 et 71 % en 1985.

Quel enracinement sociétal pour demain ?

Le renouvellement idéologique promu par tous ceux qui appellent à la refondation permettra-t-il à cette organisation de retrouver un ancrage social comparable à celui des années 1970 ?

Un consensus semble en tout cas émerger autour d’un projet où les questions sociétales, environnementales et régaliennes seraient plus centrales et mieux articulées à la problématique des inégalités sociales.

A contrario, des thématiques conflictuelles comme la laïcité, l’identité ou l’économie apparaissent volontairement mises en retrait. Cette marginalisation stratégique s’explique par les divisions profondes et anciennes des gauches sur ces sujets.

L’économie en offre un bel exemple. Depuis les années 1980, la régulation de la mondialisation et le rapport à l’UE constituent une pomme de discorde récurrente entre le PS et la gauche de la gauche. Les positions apparaissant irréconciliables à court terme, les « refondateurs » font le choix de mettre ces questions en sourdine.

Jean‑Luc Mélenchon et son parti soutiennent une vision anticapitaliste de l’économie, ici lors d’un discours à Chateauneuf-sur-Isère le 23 août 2020. Philippe Desmazes/AFP

François Mitterrand avait tenu un raisonnement comparable en 1965. Au cours de cette campagne qui le vit mettre de manière assez inattendue le général de Gaulle en ballottage, il entretint un flou volontaire sur sa politique économique, très éloignée de celle du PCF, afin de ne pas s’aliéner son soutien.

L’évocation de cette candidature unique de 1965 permet de revenir sur la dimension probablement la plus cruciale pour la « gauche d’après », celle de son incarnation. Recourant à une rhétorique classique dans le jeu politique, les « refondateurs » socialistes appellent aujourd’hui leur camp à s’accorder d’abord sur les idées avant de désigner celui ou celle qui incarnera le projet.

À l’heure de la personnalisation toujours plus forte du pouvoir en démocratie, notamment sous la pression des divers mouvements populistes et dans une Ve République où prédomine le pouvoir exécutif, ce souhait s’apparente à un vœu pieu.

L’élection présidentielle est en effet bien plus centrale pour la gauche actuelle qu’elle ne l’était pour celle des années 1960. François Mitterrand, qui en faisait dès 1962 l’objectif prioritaire de sa carrière politique, constituait alors une exception et non la norme : le PCF ne jugeait pas utile de présenter un candidat ; Guy Mollet ne souhaitait pas engager sa formation dans la conquête du pouvoir tandis que Pierre Mendès France, la personnalité la plus rassembleuse à gauche, ne cachait pas son animosité à l’égard du suffrage universel direct.

Ce rapport à l’élection présidentielle tranche avec la situation présente, marquée par un afflux de prétendants (Jean‑Luc Mélenchon, Yannick Jadot voire de manière plus hypothétique Anne Hidalgo) rendant bien incertaine la perspective d’une candidature unique en 2022.

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