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Lutte contre le coronavirus : mais où sont passés les vétérinaires ?

Les vétérinaires sont en première ligne dans la prévention des zoonoses. Shutterstock

Depuis plus d’un mois, la France vit confinée, comme une grande majorité de pays. Cette configuration mondiale inédite est la conséquence directe de l’épidémie de Covid-19, provoquée par un virus de la famille des Coronaviridae (genre Betacoronavirus et sous-genre Sarbecovirus), le SARS-CoV-2. Cet agent pathogène jamais observé auparavant (on le qualifiera d’« émergent ») trouve son origine chez des chauves-souris asiatiques du genre Rhinolophus, avec potentiellement un ou plusieurs hôtes intermédiaires ; et après, probablement, quelques évènements de recombinaison – déterminante dans l’évolution des virus – avec d’autres coronavirus.

En tant que vétérinaire, je pense que notre profession peut apporter un éclairage précieux à la situation actuelle. Les vétérinaires ont été et sont régulièrement confrontés à des crises sanitaires frappant durement les animaux domestiques et sauvages. Citons à titre d’exemples, les récentes crises d’influenza aviaire ou de peste porcine africaine, une maladie présente dans de nombreux pays d’Europe et en Asie.

Les vétérinaires français ont également eu à gérer les crises de la maladie de la langue bleue chez les ruminants, la célèbre maladie de la fièvre aphteuse (due à un virus bien plus contagieux que le SARS-CoV-2) et la peste bovine (éradiquée depuis), toutes les trois des maladies virales. En 2014-2015, rappelons-nous d’une très conséquente épidémie de coronavirus – le PEDV, un Alphacoronavirus – qui a durement touché les élevages porcins en Asie et en Amérique du Nord, causant la diarrhée épidémique porcine, une maladie létale pour 99 % des jeunes porcelets. Cette terrible épidémie de coronavirus a pu être stoppée grâce à des mesures de biosécurité strictes, l’implication de tous les acteurs du secteur et l’utilisation de vaccins développés en urgence par une communauté scientifique investie.

Pour prévenir et gérer les crises sanitaires, les vétérinaires et autres professionnels impliqués ont aussi recours aux deux types de tests de détection de la circulation, présente ou passée, des agents pathogènes : les tests directs et les tests sérologiques, qui sont complémentaires.

Vers une « santé globale »

Les vétérinaires suivent une approche d’ensemble des problématiques sanitaires. On pourrait parler d’une « approche holistique » de la santé, précieuse dans le contexte actuel.

Ces professionnels sont en effet amenés à côtoyer différentes espèces animales, à s’intéresser indirectement à la santé humaine par le contrôle des denrées alimentaires, à occuper une place de choix dans la recherche scientifique et à être en première ligne en santé publique dans la prévention des zoonoses. On désigne par ce terme, les maladies transmises de l’animal à l’être humain. Celles-ci sont très fréquentes : plus de 60 % des 400 agents pathogènes émergents répertoriés depuis 1940 ont une origine animale…

Les vétérinaires sont ainsi bien placés pour participer à la mise en œuvre du concept de « One Health » (« Santé globale » ou « Une santé », en français) né au début des années 2000 à New York, lors d’une conférence organisée par la Wildlife Conservation Society qui en a énoncé les grands principes. Cette conférence soulignait notamment les similarités entre médecine humaine et animale et l’importance des collaborations entre disciplines.

Une telle approche s’impose pour éviter la multiplication des crises sanitaires, comme celle que nous connaissons actuellement. L’approche One Health promeut en effet l’idée que la santé humaine et la santé animale sont interdépendantes et liées à la santé des écosystèmes.

Des vétérinaires pas assez sollicités

Les vétérinaires ne sont toutefois pas assez associés au déploiement d’une telle approche.

En France, il a fallu attendre le 5 avril pour que les dizaines de laboratoires vétérinaires départementaux soient officiellement autorisés à réaliser des tests de détection du SARS-CoV-2 ; et mi-avril, des freins (administratifs et techniques) ne leur permettaient toujours pas de fonctionner à plein régime. En Allemagne et au Canada, par exemple, ces blocages n’ont pas eu lieu et les laboratoires vétérinaires, universitaires et industriels compris, ont pu mettre en œuvre rapidement un nombre considérable de tests.

C’est donc, pour la France, une occasion manquée et une sortie de crise sans doute plus lente ; le pays compte pourtant des laboratoires très performants, associés à de nombreux professionnels bien formés.

Les vétérinaires connaissent bien les coronavirus, présents chez nombre d’espèces animales. On peut citer ici l’Alphacoronavirus du chat (responsable de la péritonite infectieuse féline), l’Alphacoronavirus du porc (diarrhée épidémique), le Gammacoronavirus des volailles (bronchite infectieuse) et les Betacoronavirus du chien et du bovin, responsable de troubles respiratoires. Depuis plusieurs années, divers tests directs et indirects existent pour lutter contre ces virus et des vaccins ont été développés, avec plus ou moins de succès.

Une autre occasion manquée concerne la non-sollicitation des nombreux vétérinaires inscrits sur la réserve sanitaire. Dommage, car au-delà du don de matériel, les vétérinaires ont toutes les compétences requises pour prêter main-forte à leurs collègues en médecine humaine, grâce notamment à leur formation large, allant de la médecine générale à la chirurgie.

Soulignons ici que des avancées médicales majeures viennent du monde vétérinaire.

C’est à un professeur de la faculté vétérinaire de l’université de Pennsylvanie (États-Unis), le Dr Brinster, que l’on doit, par exemple, des découvertes majeures concernant le transfert d’embryons dans les années 1960. Plus près de nous, en 1996, l’Australien Peter C. Doherty recevait le prix Nobel de médecine (avec Rolf M. Zinkernagel) pour de remarquables travaux en immunologie – sur le complexe majeur d’histocompatibilité. En France, dans la seconde moitié du XIXe, Auguste Chauveau a conduit des travaux remarquables en microbiologie, notamment sur le passage de la barrière d’espèce ; c’est-à-dire le passage pour un agent pathogène d’une espèce animale à une autre, permettant l’émergence de nouvelles maladies. Citons aussi Camille Guérin, l’inventeur en 1908, avec Albert Calmette, du vaccin contre la tuberculose (le BCG), dans une approche One Health.

Bien que ni vétérinaire ni médecin, impossible ici de ne pas mentionner Louis Pasteur qui, à la fin du XIXe, maîtrisait déjà avec brio toutes les disciplines du vivant, faisant vivre le concept de santé globale bien avant l’heure.

Un cloisonnement néfaste

Comment expliquer le cloisonnement actuel et regrettable entre disciplines de santé alors que, plus que jamais, nous avons besoin d’envisager la santé dans toute sa globalité ?

Plusieurs explications peuvent être avancées. Parmi elles, l’hyper-administration française, la structuration de l’enseignement vétérinaire au niveau national (qui se fait dans de grandes écoles éloignées des campus universitaires et des facultés de médecine limitant ainsi les interactions) et la faible valorisation salariale de la recherche vétérinaire (1 500 à 1 800 euros net mensuels en début de carrière pour les enseignants-chercheurs et chercheurs vétérinaires à Bac +10 et expérience post-doctorale internationale).

Peuvent aussi être cités l’anthropocentrisme extrême du cursus médical humain où l’infectiologie et l’immunologie comparées sont inexistantes, l’absence de prise en compte des fonctions hospitalières vétérinaires en milieu académique, notre rapport à l’animal et la réduction du tissu industriel pharmaceutique. Il faut également souligner un manque chronique de financement dans la recherche animale en France.

Il y a enfin la disponibilité restreinte pour la communauté scientifique d’installations expérimentales animales sécurisées, permettant d’effectuer des recherches sur toutes les espèces animales, y compris les plus grandes (porcs et bovins par exemple). Dans ce domaine, la France a investi modestement, il y a dix ans, une petite vingtaine de millions d’euros dans une installation dédiée. À peu près au même moment, L’Allemagne, au Friedrich Loeffler Institut, et le Canada, à VIDO-InterVac, dépensaient des centaines de millions pour des installations plus performantes.

Face à la multiplication des émergences virales

On le comprend, il y a urgence à revaloriser et décloisonner en France tous les secteurs de la santé, en adoptant une approche One Health.

Vétérinaires, agronomes, écologues, biologistes de la faune sauvage : ces professions sont en première ligne lors d’émergence virale où il est essentiel d’agir vite pour éviter les catastrophes. Or ces émergences sont de plus en plus fréquentes, étant donné notamment les rapports prédateurs que nous entretenons avec notre environnement dans des zones à risques élevées. Citons ici les virus zoonotiques Nipah et Hendra (d’autres virus à ARN de la famille des Paramyxoviridae) passant de chauves-souris au porc et au cheval ; le SARS-CoV-1 et le MERS-Cov, passant de chauves-souris à la civette ou aux dromadaires.

Une recherche de terrain, conduite par des spécialistes de la santé animale et des systèmes de production animale et végétale, alliés aux écologues, biologistes, médecins et infirmiers, est aujourd’hui absolument nécessaire.

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