« Je le dis clairement : nous pouvons remporter ce combat à condition de ne rien laisser passer, de ne rien céder. »
C’est ainsi que le président de la République, Emmanuel Macron s’exprimait récemment au moment de présenter toute une série de mesures visant à lutter contre le harcèlement scolaire.
Par harcèlement scolaire, on désigne des comportements nuisibles et répétitifs perpétrés par des pairs à l’école à l’encontre d’un camarade. Il s’agit bien là d’un problème de santé publique. Les risques socio-psychologiques s’avèrent en effet importants (décrochage scolaire, isolement, symptômes dépressifs, troubles alimentaires, insomnie, somatisation avec maux de tête ou de ventre, etc.). La part d’enfants et d’adolescents impliqués en tant que victimes ou harceleurs peut varier de 10 % à 30 % ; ce chiffre peut différer selon la façon dont cette implication est mesurée. Claire Hédon, défenseure des droits, soulignait récemment que cela touchait près de 700 000 victimes par an en France.
La lutte contre le phénomène concerne plusieurs domaines de recherche. Si l’on pense plus spontanément à ceux de la psychologie, de la sociologie, ou du droit, il n’en faudrait pas pour autant oublier l’importance du marketing. En effet, subir une insulte par rapport à la tenue vestimentaire constitue l’une des attaques les plus fréquemment identifiées par les jeunes à l’école.
Les marques arborées, le style vestimentaire et la culture de consommation peuvent être à l’origine de la division des groupes de jeunes à l’école et peuvent conduire à tourner en ridicule des camarades perçus comme non conformes puis à les rejeter. Lorsque cela devient répétitif, cela peut aboutir à un discrédit social qui amène la victime à se sentir dévalorisée, affectant ainsi son identité.
Pourtant, il semble que les travaux de la discipline aient très peu traité, de façon centrale, du rôle de la consommation dans le développement du harcèlement à l’école chez les enfants et les adolescents. Dans notre recherche, nous avons tenté de comprendre ce sujet en portant un regard attentif au rôle des pairs dans le phénomène.
Effet « cour de récréation »
L’école apparaît comme le lieu le plus favorable aux commentaires sur les choix de consommation des uns et des autres, avec une place prépondérante des marques comme objets d’humiliations pouvant amener certains jeunes à être tournés en ridicule, rejetés voire ostracisés. Pensez par exemple aux collections de cartes (Pokémon, Yu-Gi-Oh ou Panini pour ne citer que celles-ci) qui génèrent des discussions, des jeux et des échanges entre les enfants dans la cour de récréation. Un enfant qui n’est pas collectionneur peut être perçu comme différent et le mener à être exclu.
Plus généralement, l’effet « cour de récréation » concourt à la diffusion de nouveaux produits.Téléphones portables,vêtements, sacs à dos, collections de cartes, la pression exercée par les pairs à l’école aboutit à encourager l’utilisation des « bonnes » marques et à décourager celle des marques vues comme « incorrectes », et ce de différentes façons entre l’élémentaire, le collège et le lycée.
La compréhension de la signification symbolique des objets de consommation évolue en effet au cours des différentes périodes de l’enfance et de l’adolescence. Entre 7 et 11 ans, l’enfant passe d’une pensée perceptuelle à une pensée plus symbolique, prenant ainsi progressivement conscience que les produits qu’il possède sont utilisés par ses camarades pour le juger, mais aussi qu’ils peuvent constituer un moyen de communiquer son identité aux autres et de se forger une image de soi.
Le changement le plus important a lieu à partir de 11 ans environ, lors du passage au collège. Un jeune se préoccupe alors davantage des significations sociales de la consommation. Avec une estime de soi qui s’affaiblit au début de l’adolescence, la recherche de conformité devient très élevée à cette période.
Les collégiens ont ainsi une plus grande tendance à choisir des marques et des produits identiques à ceux de leurs pairs. De leur côté, les lycéens osent davantage affirmer leur individualité et deviennent ainsi plus indulgents aux différences affichées par leurs camarades.
De façon générale, les enfants issus de familles à faibles revenus s’avèrent très vulnérables aux pressions matérialistes qui s’exercent sur eux. Ceux-ci accordent en effet une grande importance aux marques pour compenser leur faible niveau socioéconomique. Ne pas avoir les « bonnes » marques à l’école risque d’indiquer aux autres leur appartenance à un milieu modeste, et conduire ces jeunes à être socialement isolés et/ou stigmatisés.
Mobiliser les chercheurs en marketing…
Face à ce phénomène de harcèlement scolaire lié à des aspects relatifs à la consommation, les chercheurs pourront à l’avenir développer des travaux dans le domaine du marketing social, avec l’ambition d’encourager les jeunes à s’engager dans des alternatives comportementales socialement bénéfiques pour endiguer le phénomène. Mener plus d’études sur l’influence négative du groupe de pairs sur la consommation des jeunes peut aider, en outre, les décideurs publics à mettre en place des réglementations, ainsi que des actions de prévention adaptées.
Afin de renforcer le programme PHARE (Programme de lutte contre le harcèlement à l’école) mis en place par l’exécutif français, les heures d’apprentissage consacrées au harcèlement scolaire dans sa globalité pourraient être renforcées en insistant spécifiquement sur les aspects liés à la consommation.
De plus, de façon similaire aux messages sanitaires intégrés dans les annonces publicitaires pour une grande majorité des produits alimentaires, l’intégration de messages adaptés dans les publicités pour tous les produits ciblant les jeunes consommateurs pourrait être envisagée.
Notons enfin que le ministère de l’Éducation nationale s’appuie sur un comité d’experts pluridisciplinaires, spécialistes du sujet du harcèlement scolaire. La participation de chercheurs en marketing semblerait pertinente afin d’accompagner la prise en compte des aspects sensibles liés à la consommation et de contribuer à l’optimisation des supports de prévention.
… et les marques
La vulnérabilité des jeunes à des pressions répétitives sur des aspects relatifs à leur consommation doit amener les marques qui les ciblent à mener de leur côté des réflexions en termes d’éthique des pratiques et à intégrer des démarches de marketing responsable, sans pour autant délaisser leur objectif de rentabilité.
Les marques peuvent ainsi recourir à différents leviers d’action pour apporter leur contribution à la prévention du harcèlement scolaire. À l’image de la marque Boy Meets Girl qui a récemment mené une campagne #StopHate et réalisé une collection dédiée composée entre autres d’un tee-shirt avec la mention « Stop Bullying End Hate Be Nice That’s It Bye » (« Arrêtez le harcèlement Cessez la haine Soyez gentil C’est tout Au revoir »).
Ce parti pris a également été celui de la marque d’articles de papeterie Clairefontaine en 2019 ou cette année, celui de la chaîne de fast-food Burger King en réaction au mouvement #Anti2010 caractérisé par des moqueries et insultes visant les élèves en classe de sixième sur les réseaux sociaux.
Des programmes courts d’éducation diffusés à la télévision ou sur Internet, pour le public jeune, oscillant entre publicité commerciale et message de sensibilisation, peuvent aussi être envisagés collectivement par le biais des organismes professionnels, plusieurs marques ou à l’initiative d’une seule entreprise.
Enfin, les réseaux sociaux, environnement virtuel favorable à la diffusion d’une culture de l’apparence entre jeunes qui intègre leur culture de consommation, constituent une caisse à résonnance du harcèlement exercé à l’école. Leur soutien à la prévention du harcèlement scolaire, et en particulier lorsqu’il est lié à des aspects relatifs à la consommation, apparaît légitime. On peut citer à titre d’exemple la contribution du réseau social TikTok en novembre 2020, en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, qui a déployé diverses actions autour du hashtag #NonAuHarcelement.