Menu Close

Lutter contre la radicalisation : comment la France et le Royaume-Uni s’appuient sur l’école

Hommage à Samuel Paty, le 2 novembre 2020, en présence du Premier ministre Jean Castex. EPA-EFE/THOMAS COEX / POOL MAXPPP OUT

Le meurtre de Samuel Paty – professeur d’histoire-géographie décapité en octobre 2020 par un jeune de 18 ans, Abdoullakh Abouyedovich Anzorov, quelques jours après avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet lors d’un cours d’éducation civique – a provoqué chez les enseignants une onde de choc et une peur bien compréhensibles.

Nombre d’entre eux peinaient déjà à gérer en classe les discussions autour de sujets sensibles comme la publication de ces caricatures controversées par le journal satirique Charlie Hebdo. Désormais, certains craignent pour leur sécurité personnelle.

Ma thèse traite de l’impact du terrorisme islamique sur les politiques éducatives en France et en Angleterre. Alors que ma recherche touche à sa fin, les événements récents suscitent une fâcheuse impression de déjà-vu.

Critiques et polémiques

J’ai commencé à m’intéresser à ce sujet après les attaques des bureaux de Charlie Hebdo en janvier 2015. Les entretiens que j’ai réalisés ces trois dernières années révèlent que ces caricatures continuent de susciter colère et mécontentement chez certains élèves musulmans.

Lors de l’hommage rendu à Samuel Paty dans les établissements scolaires début novembre, 400 élèves auraient refusé de participer à la minute de silence, selon les chiffres communiqués par le ministère de l’Education nationale.

Depuis cet assassinat, on parle beaucoup de l’approche « daltonienne » de la France vis-à-vis de la diversité culturelle, mettant l’accent sur l’égalité de droits entre les citoyens. Une approche souvent considérée à l’opposé du multiculturalisme en cours dans des pays comme le Royaume-Uni, laissant plus de place à l’expression des cultures et religions minoritaires.

Face aux critiques internationales sur la réaction de son gouvernement, le président de la République Emmanuel Macron a insisté sur les spécificités françaises, et l’incapacité des commentateurs anglo-saxons à la comprendre.

Ce faisant, on oublie qu’il y a de fortes similitudes dans la manière dont les gouvernements anglais et français s’appuient sur l’école pour promouvoir la cohésion sociale et protéger leur jeunesse des risques de radicalisation.

Valeurs fondamentales

Dans chacun des deux pays, les gouvernements ont cherché à mettre l’accent dans le système éducatif sur leurs valeurs communes. Depuis 2014, les écoles en Angleterre sont tenues de promouvoir les « valeurs britanniques fondamentales » de la démocratie, de l’État de droit, de la liberté individuelle, du respect mutuel et de la tolérance à l’égard des personnes de confession différente.

Dans les écoles françaises, depuis les attentats de janvier 2015, on s’attache à remettre l’accent sur la promotion des valeurs de liberté, égalité, fraternité et sur la laïcité – qui limite l’expression des croyances religieuses dans les espaces publics comme l’école.

D’autres politiques, dans les deux pays, ciblent les élèves exposés à un risque de radicalisation. Dans ce cas, les enseignants sont tenus de faire remonter leurs inquiétudes à la direction de l’école ou à certains organismes externes. Les acteurs du monde éducatif sont également formés à repérer les signes de radicalisation – cette approche étant toutefois bien plus développée au Royaume-Uni qu’en France.

Les questions soulevées par les actes atroces comme le meurtre de Samuel Paty ont également des conséquences sur la manière dont les enseignants gèrent leurs classes, en Angleterre comme en France.

Discussions houleuses

Dans le cas de la France, les attentats contre Charlie Hebdo ont souligné les difficultés que les enseignants éprouvaient déjà à gérer les discussions sur des sujets comme la laïcité ou la liberté d’expression.

En Angleterre, des problèmes similaires se sont révélés lors de débats sur certaines questions contemporaines, dans le cadre de la politique autour des valeurs britanniques fondamentales, et lors de discussions sur les attentats terroristes récents.

Les enseignants, les chefs d’établissement et les responsables politiques des deux pays déclarent fréquemment que tous les professeurs n’ont pas une connaissance assez approfondie de ces sujets qu’ils sont amenés à traiter plus souvent en classe. En outre, beaucoup craignent de ne pas réussir à canaliser les émotions que ces questions sensibles peuvent quelquefois générer chez les élèves, et, finalement, de perdre le contrôle de la situation.

C’est une préoccupation qui se manifeste tout particulièrement chez certaines personnes sollicitées pour ces travaux de recherche en France qui estiment qu’en raison d’une tradition éducative trop centrée sur le cours magistral, certains de leurs collègues peuvent éprouver une forme de nervosité quand il leur faut gérer des débats en classe.

Formation des enseignants et laïcité (France 3 Nouvelle-Aquitaine, octobre 2020).

En Angleterre, l’important déclin de l’éducation à la citoyenneté dans le système éducatif limite les possibilités d’engagement autour des valeurs civiques et des questions contemporaines. Cette situation est aggravée, comme le fait remarquer un responsable d’établissement, par le fait que les programmes officiels restent très succincts sur la manière de promouvoir ces valeurs britanniques fondamentales.

Mes recherches montrent que les enseignants doivent être mieux préparés à ces discussions compliquées. Cette préparation devrait s’intégrer à la formation initiale des enseignants et à leur formation continue.

Cela est d’ores et déjà pratiqué dans certaines académies en France et en Angleterre. En France, des formateurs accompagnent par exemple sur de longues périodes des équipes d’enseignants autour de thèmes comme l’animation de débat, les croyances religieuses des élèves, la façon d’aborder le sujet du terrorisme avec des jeunes.

Dans un établissement du secondaire que j’ai visité à Londres, les enseignants organisent des journées d’éducation à la citoyenneté qu’ils animent collectivement. Cela leur permet de bénéficier d’un meilleur soutien si des situations difficiles surviennent.

Les personnes rencontrées lors de mes recherches soulignent aussi combien il est essentiel de respecter les élèves lors de ces conversations. Certains chefs d’établissement et formateurs d’enseignants en France ont le sentiment que les croyances personnelles des professeurs et la manière dont ils les expriment en classe ont pu contribuer à envenimer certaines confrontations.

Il semblerait que, de part et d’autre de la Manche, les enseignants ne soient pas à l’abri d’un climat plus large d’anxiété autour de l’Islam et de suspicion vis-à-vis des populations musulmanes. Cela peut conduire certains enseignants à engager certaines discussions avec une forme d’hostilité.

Il faudra faire passer ce message avec précaution. Dans un contexte où les enseignants peuvent craindre pour leur sécurité, il est important que de tels avertissements ne soient pas perçus comme des critiques. Mais il serait aussi regrettable que l’horrible meurtre de Samuel Paty rende impossible le débat sur ces questions urgentes, au cœur des défis actuels.

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 181,000 academics and researchers from 4,921 institutions.

Register now